OM : Après les dégradations à la Commanderie, les « mesures de répressions ne régleront en rien le problème »
FOOTBALL•Le club de l’Olympique de Marseille a choisi la violence institutionnelle en réponse à la violence de certains supporters, ce qui ne va pas du tout vers l’apaisement, juge le sociologue Ludovic LestrelinAdrien Max
L'essentiel
- Environ 300 supporters de l’OM ont manifesté leur colère contre la direction du club, avant, pour certains, de pénétrer dans le centre d’entraînement de la Commanderie et d’y commettre des dégradations.
- Franck McCourt, le propriétaire du club, a condamné les violences tout en comparant les incidents de la Commanderie à ceux du Capitole, à Washington.
- Après la violence physique de certains supporters, le club choisi la violence institutionnelle en évoquant des « groupuscules de voyous », et non pas des « supporters ».
Les réactions, et condamnations, s’enchaînent à Marseille depuis les incidents survenus à la Commanderie, le centre d’entraînement de l'Olympique de Marseille, samedi après-midi. Environ 300 supporters, de tous les groupes confondus, se sont réunis pour manifester leur colère contre la direction du club, et certains joueurs, avant de pénétrer et de commettre des dégradations à la Commanderie. L’OM parle de « vols et dégradations de voitures ». Des vitres ont été cassées et des cyprès incendiés après une pluie de fumigènes. La LFP a même décidé de reporter le match, tandis que 18 personnes sont toujours en garde à vue.
Après la condamnation de ces violences par communiqué, le club s’est de nouveau exprimé ce dimanche matin, par la voix de son propriétaire Franck McCourt. Il ne tolère pas ces comportements violents commis par des « groupuscules de voyous », avant de comparer les incidents de la Commanderie, à l’attaque du Capitole à Washington par des militants pros Trump.
« L’analyse part mal »
« Dans un sens on peut comprendre que les premières réactions relèvent de l’émotion et de l’affecte. A chaud, c’est assez logique de condamner ces violences. Par contre ça ne va pas du tout vers l’apaisement, ça risque de jeter de l’huile sur le feu. C’est un défaut d’analyse de dire que ce ne sont pas des supporters, il y a des membres connus de groupe. L’analyse part mal », juge Ludovic Lestrelin, auteur de L’autre public des matchs de football. Sociologie des supporters à distance de l’Olympique de Marseille.
Pour le sociologue, ces qualificatifs relèvent aussi d’une certaine violence. « Oui c’est une forme de violence symbolique, qui attise le mécontentement. C’est une problématique importante, qui ne se réglera pas uniquement en faisant un communiqué sur le ton de la fermeté, en prenant des mesures de sécurisation et de répressions, ça ne réglera en rien le problème », poursuit-il.
« Déficit d’analyse de ce qu’est le foot »
Et cette problématique vient d’une méconnaissance des dirigeants de l’OM dans ce cas précis, mais des dirigeants des clubs français plus globalement. « L’OM se caractérise par une forme d’instabilité chronique, le seul pôle de stabilité ce sont les groupes de supporters. Qu’est ce qui a permis au club de se maintenir à flot ? Ce sont les ambiances créées par les supporters. Si vous envisagez les supporters comme des agents d’ambiance, comme une clientèle, vous passez à côté de ce qu’est un club, sa place sans la vie des gens, sa place dans la ville. Il faut intégrer cette dimension culturelle, sociale, puiser dans l’histoire. Derrière ce qui s’est passé à Marseille, c’est révélateur d’une tension vive. Il y a en France un déficit d’analyse et d’intellectualisation de ce qu’est le sport et le foot professionnel. Et quand vous ne le comprenez pas, vous ne pouvez pas bien travailler », explique Ludovic Lestrelin.
Et son analyse rejoint la colère des supporters qui reprochent à la direction de ne pas comprendre leur spécificité, et la spécificité de ce club. Au-delà du discours servi à volonté d’un Franck McCourt tombé amoureux de Marseille devant les similitudes de la ville avec la sienne de Boston, le fossé ne cesse de se creuser entre l’institution et ses supporters. La dernière goutte qui a fait déborder le vase ? La déclaration de Jacques-Henri Eyraud, qui s’est dit surpris de voir à son arrivée à l’OM le nombre de supporters au sein de l’entreprise et que cela représentait un « risque ».
Problématique plus profonde
« Le club doit créer du lien avec le public, le respecter, lui rendre des choses. Vous devez être à l’écoute, avec une forme de reconnaissance. Le lien entre le club et le public n’est pas qu’un rapport commercial. Il attend beaucoup du public, qu’il paye, qu’il encourage, mais qu’est ce qu’il donne en retour ? Ça doit être un don contre don. Je ne suis pas sûr qu’on estime à juste niveau le profond mécontentement du côté du public. Il est latent, et pas uniquement dans les groupes ultras, la partie visible et qui s’exprime de manière radicale. Il y a une problématique plus profonde, avec plein de signaux. Et les dirigeants devraient être plus à l’écoute de ces signaux. Il y avait des signes avant coureur de ce qu’il s’est passé à Marseille », rappelle-t-il.
Les innombrables banderoles hostiles à la direction, et à certains joueurs comme Payet ou Thauvin, qui ont fleuri partout dans Marseille depuis plusieurs semaines sonnaient justement comme ces signes avant coureur. Mais Eyraud avait préféré s’en amuser avant la défaite contre Nîmes, le 16 janvier dernier, lors de la traditionnelle galette des rois avec la presse. On voit le résultat 15 jours plus tard.