INTERVIEW« Je ne vois pas l’intérêt pour Kita de rester », estime Eric Carrière

FC Nantes : « Je ne vois pas l’intérêt pour Kita de rester », estime l’ex-Canari Eric Carrière

INTERVIEWLe consultant de Canal+ s’exprime peu sur le FC Nantes. Ce mardi, il nous a accordé près de cinquante minutes pour évoquer la situation du club dans lequel il s’est révélé en pro
David Phelippeau

Propos recueillis par David Phelippeau

L'essentiel

  • Eric Carrière, ex-joueur du FCN et désormais consultant pour Canal+, analyse longuement la situation actuelle du club nantais.
  • Il pointe du doigt la gestion du président Waldemar Kita et regrette le choix de prendre Raymond Domenech comme coach.
  • L’ancien milieu de terrain international estime que le mal du club a commencé au tout début des années 2000 avec l’arrivée de la Socpresse à la tête du club.

Sa parole est rare. Surtout sur le club qui l’a révélé au plus haut niveau. Ce mardi matin, l’ex-Canari Eric Carrière (1996-2001) a bousculé son emploi du temps chargé de chef d’entreprise dans le vin à Dijon pour évoquer pendant près de cinquante minutes la situation du FC Nantes (17e de Ligue 1 et à Metz dimanche). Les mots sont posés et pesés. Pendant cet entretien, le consultant de Canal+, qui n’imagine pas du tout un come-back au FCN pour un quelconque poste, rembobine l’histoire pour revenir au début des années 2000, là où les racines du mal ont commencé à ronger l’octuple champion de France.



Quel regard portez-vous sur la situation de votre ancien club ?

On entend souvent parler de projet ou d’absence de projet dans les clubs. C’est plutôt la deuxième option que je perçois à Nantes depuis pas mal d’années. Comme le projet n’est pas très identifié en termes de jeu, il n’y a pas de profil de joueurs identifié. Ce qui fait qu’il y a plus de chance de se tromper. A l’époque, Jean-Claude Suaudeau et Raynald Denoueix avaient une identité forte. Ils voulaient des joueurs qui réfléchissaient, qui avaient une vraie perception du jeu. Ils se sont trompés parfois, mais cette ligne directrice et cette philosophie leur permettaient de moins se tromper. Je ne vais pas citer de joueurs, mais certains sont venus à Nantes ces dernières années, jamais ils ne seraient venus à l’époque. Ce club mise un peu dans différents domaines : on fait des transferts, on veut sortir des jeunes et on fait de temps en temps de la post-formation. L’identité est perdue.

Le président Kita est montré du doigt…

Il fait partie des présidents qui savent. Lui, il sait. A priori, c’est quelqu’un qui a réussi dans les affaires donc parfois on peut se laisser griser et penser qu’on va réussir partout. Même des techniciens qui connaissent bien le foot peuvent se tromper. Alors ceux qui ne sont pas issus de ce milieu, vous imaginez, c’est compliqué. Lui, il fait partie de ces présidents qui savent et qui en plus ont le pouvoir de prendre des joueurs.

Et il se trompe souvent ?

On va dire qu’il prend rarement les bonnes décisions. J’ai toujours le respect de ceux qui viennent dans un club et qui mettent de l’argent. Maintenant, quand on analyse les résultats depuis son arrivée [en 2007]… Les chiffres sur plusieurs années, ça ne ment pas. Quand tu prends autant d’entraîneurs… [Domenech est le 18e en comptant deux fois Der Zakarian et les intérims]

Certains pensent que ça ne marchera jamais avec le président Kita…

Je pense aussi que ça ne fonctionnera jamais. A l’image de son dernier choix : la venue de Domenech. Un choix logique finalement car Kita aime faire le buzz. Mais, Domenech ou un autre, quand on a bientôt 70 ans, c’est difficile de dire qu’on construit. Ce sont des choix pas cohérents.

Connaissez-vous Raymond Domenech ?

Je le connais très peu. Je n’ai pas bossé avec lui. Ce que je vois de lui c’est qu’il aime être sur le devant de la scène. C’est bien pour protéger les joueurs parfois… Il peut permettre au club de se sauver, car il y a plus faible que Nantes. Mais ensuite ? Pour aller où ? Pareil, Christian Gourcuff quand il avait repris le FCN, c’était quoi l’issue ? Pourquoi ne pas l’avoir pris deux ans et ne pas lui avoir demandé de former un adjoint ? C’est cohérent ça à la rigueur.

Comprenez-vous que Waldemar Kita persiste autant ?

Je ne vois pas l’intérêt pour lui de rester. Je ne comprends pas sa logique. Il subit beaucoup de choses depuis longtemps. C’est quelqu’un qui aime bien le conflit, je pense. Il faut vraiment aimer ça. Il a pris un entraîneur qui aime ça aussi… (rires)

Beaucoup d’observateurs estiment que le club a basculé du mauvais côté fin 2001 quand Denoueix a été limogé. Qu’en pensez-vous ?

Depuis cette période-là, ce n’est pas cohérent. Dès la reprise du club par la Socpresse [été 2000], il y a eu une inversion avec des présidents mis en place qui savaient… Historiquement, les présidents étaient pourtant plutôt effacés à Nantes avec de fortes figures au niveau technique.

Les techniciens sont passés au second plan ?

C’était déjà le cas sous la Socpresse, et maintenant avec Kita. On s’est retrouvé avec des présidents qui voulaient exister. Un Bernard Tapie, on est fan ou pas fan, mais sa personnalité rejaillissait sur Marseille. Comme Jean-Michel Aulas à Lyon. C’est un mode de fonctionnement qui peut marcher, mais pas à Nantes. Là-bas, c’est d’abord le style de jeu, l’identité que les supporteurs attendent. On sent qu’il y a un énorme décalage entre la personnalité de Kita et les valeurs du club. Là, il y a eu erreur de sa part et de la part de ceux qui lui ont vendu le club.

La rupture était finalement bien avant Kita alors ?

Oui, avec le recul, le FCN n’a pas su prendre un virage et une transformation qui étaient nécessaires. On entend toujours parler de jeu à la nantaise, d’identité nantaise, mais tout ça pour le conserver, il fallait plus d’argent qu’à l’époque. Des valeurs de jeu, beaucoup d’entraîneurs en ont et beaucoup de clubs essaient d’en avoir, mais sans argent, ce n’est plus possible au plus haut niveau. Avant, c’était moins dur de conserver des joueurs. A l’époque, des joueurs faisaient toute leur carrière dans le même club, mais ce n’est plus possible maintenant. Le danger est de se dire qu’on veut faire comme c’était avant. A mon sens, ce n’est plus possible.

Les techniciens n’ont pas su s’adapter à un changement de modèle avec l’afflux croissant de l’argent ?

Le secteur sportif aurait dû dire : « Oui, vous avez raison. On a plus besoin d’argent qu’avant et ce n’est pas notre façon de former les jeunes qui va pouvoir sauver seul le club et le faire grimper. » Pourquoi ? Car il y a plus de vingt ans, il y avait combien de centres de formation qui bossaient bien ? Très peu. Tout le monde forme et met l’accent dessus maintenant. Pour se différencier, il faut quand même faire venir des bons joueurs. Il faut de l’argent. Ces deux mondes-là auraient dû mieux communiquer : les dirigeants sur la partie économique et les techniciens.

C’est-à-dire ?

J’estime que beaucoup de techniciens ne devraient pas prendre de haut les dirigeants parce que c’est la même équipe. C’est l’intérêt général qui est en jeu et qui prime. C’est utopique de penser que l’argent est secondaire dans le foot. L’argent est nécessaire dans le foot mais pas suffisant, mais on peut dire la même chose sur la partie technique, savoir jouer au foot et former, c’est nécessaire mais pas suffisant.