FOOTBALLLes derniers jours de Téléfoot entre découragement et amertume

Droits TV : « Tout le monde a ramené ses notes de frais »... Les derniers jours de Téléfoot entre découragement et amertume

FOOTBALLAmbiance pesante dans les locaux de la chaîne de Mediapro, où les salariés doivent encore assurer la diffusion de la Ligue 1 au moins pendant dix jours de plus
Julien Laloye

Julien Laloye

L'essentiel

  • La chaîne Téléfoot va bientôt fermer mais elle doit diffuser la Ligue 1 jusqu’au 23 décembre au moins.
  • Désabusés, certains salariés ont utilisé l’arme de l’humour en plateau pour dénoncer la situation.
  • Plusieurs journalistes et techniciens entendent protester contre Jaume Roures et le groupe Mediapro devant le tribunal jeudi.

Paul de Saint-Sernin ne reviendra pas mercredi pour le prochain multiplex de Ligue 1 sur Téléfoot. Rassurez-vous, le frère jumeau d’Adrien Rabiot, qui ne travaille que le dimanche pour éviter de visiter le seigneur, n’a pas reçu sa lettre de licenciement lundi en mangeant ses chocapics. Il semblerait même que la chronique drolatique de l’humoriste, partagée avec Jenny Demay, ait bien amusé Jean-Michel Roussier, le patron opérationnel de la chaîne. Pour ceux qui l’ont ratée ? Le récit réussi du pot d’adieu fictif de Mediapro, du moins son carton d’invitation, quatre mois à peine après la pendaison de crémaillère.

Trois minutes d’exutoire collectif, où même les nerfs d’Anne-Laure Bonnet ont fini par lâcher prise. Un technicien présent en plateau : « Tout le monde a applaudi à la fin. On a vécu un vrai moment de télé et vu le contexte, ça faisait du bien de se détendre un peu ». Ceux qui bossaient sur le terrain ont tous envoyé un texto de soutien. Court, le plus souvent : « Merci, on en avait besoin ».

L’accès à ce contenu a été bloqué afin de respecter votre choix de consentement

En cliquant sur« J’accepte », vous acceptez le dépôt de cookies par des services externes et aurez ainsi accès aux contenus de nos partenaires.

Plus d’informations sur la pagePolitique de gestion des cookies

« J’espère qu’il aura les c… de venir en personne ».

Le contexte, donc. 150 journalistes, techniciens, consultants, et leurs sous-traitants floués comme tout le monde par Jaume Roures. Le dirigeant catalan était passé dans les bureaux fin octobre pour remobiliser les troupes avec une promesse. Dans le pire des cas, « Mediapro ne laissera personne sur le carreau ». Vendredi dernier, il n’était pas présent pour signer le certificat de décès. Injoignable, même pour les pontes de la chaîne. Commentaire de l’un d’entre deux au moment d’annoncer la terrible nouvelle : « J’espère qu’il aura les c… de venir vous expliquer pourquoi ça ferme en personne ».

Difficile de préparer le match du week-end après un tel coup de massue. D’autant qu’il faut faire la queue à la photocopieuse. « Tout le monde s’est ramené avec ses notes de frais », témoigne un salarié. Se faire rembourser au plus vite, avant la banqueroute ? Jusqu’ici, personne n’a eu à déplorer de retards de salaires. Y compris les pigistes, qui sont envoyés au feu le lendemain sur la Ligue 2.

Les plus inquiets passent un coup de fil au club qu’ils sont censés commenter. « J’ai mis les pieds dans le plat directement. Je leur ai dit " Ecoutez vous savez que j’y suis pour rien, j’espère qu’on pourra collaborer comme on l’a fait jusqu’à maintenant " ». Aucun incident à signaler dans l’ensemble. Mieux que ça, les bagnards de Mediapro soulignent un rapport plus cordial que d’habitude. « Trois jours avant, on se faisait lyncher, certains disaient que PSG-Lyon ne serait même pas diffusé, mais c’est comme si l’émotion de la nouvelle avait tout emporté. Il y avait une forme de bienveillance à notre égard ».

Pas de basse vengeance dans les clubs

Christophe Galtier, l’entraîneur de Lille, résume le sentiment général à l’antenne : « J’espère que je vais tous vous retrouver, je ne sais pas où, mais j’espère qu’on aura toujours l’occasion d’échanger, partager, parce que vous avez été très très professionnels, tout au long de cette période, je le sais, difficile pour vous ». En dehors d’un ou deux tournages annulés pour des raisons fallacieuses, une seule prise de bec est remontée de Bretagne : montée de toutes pièces ou presque, elle raconte un peu du drame humain qui se joue jusque dans les clubs, autant à cause du Covid que de Mediapro.

Dans le détail ? Un collègue qui ne fait pas sa demande en temps et en heure pour avoir un joueur en interview d’avant-match comme c’est l’usage, et un interlocuteur surmené qui le reprend un peu vertement. Ce dernier doit se démultiplier alors que le club, comme beaucoup, est forcé d’avoir recours au chômage partiel. Certains salariés de 30 ans, pas les mieux rémunérés, sont rentrés chez eux en pleurant quand ils ont su que la prime de Noël sautait, cette année.

Ceux de Téléfoot n’en sont pas encore là, obligés par leur professionnalisme. Il reste au moins trois journées à commenter, si ce n’est plus, le temps que la Ligue se mette d’accord avec un nouveau diffuseur. Dans les bureaux d’Aubervilliers, les plannings sont affichés jusqu’au 15 janvier, même si personne n’y croit vraiment. « Dans ma tête, dimanche c’est la dernière », souffle une journaliste, qui ira faire son job en bord terrain sans état d’âme mercredi sur un match de L1, « en donnant le max et avec le sourire, si possible ».

Un mouvement devant le tribunal de Nanterre ?

Elle s’arrangera pour rejoindre les camarades jeudi devant le tribunal de Nanterre. Mediapro et la LFP doivent y entériner l’accord de cession des droits, mais les salariés ont décidé de marquer le coup. Pas tellement pour récupérer des indemnités mirobolantes, après quatre mois d’ancienneté à peine, mais au moins pour le principe : « Il faut dénoncer ce qui se passe, prévient l’un d’entre eux. Dénoncer ce modèle spéculatif et dénoncer la manière dont sont gérés les business plans sur les droits sportifs ».

Certains ont proposé un geste plus fort, comme un boycott de la journée du 23 décembre : « On se demande si ça sert à quelque chose d’y aller alors que l’entreprise nous la fait à l’envers ». L’option a été balayée, en partie parce qu’il faut faire la différence entre Roures et Roussier, aussi désabusé que les autres depuis quelques jours. « Lui a fait son boulot, le défend un commentateur. Les plannings de tournage, les tarifs des piges, l’organisation, il n’y a rien à dire, tout est hyperpro ». « Je voulais voir à quoi ressemblait une aventure partie de rien, regrette un des consultants révélés par la chaîne, eh bien je n’ai pas été déçu. J’ai vu une équipe qui se construit et qui forme un ensemble très enthousiaste et très convivial. Maintenant, il n’y a aucun relâchement, mais ce sera dur d’être dans ce no man’s land encore longtemps ».

« Je ne sais pas comment on va rebondir »

Tout le monde a actualisé son profil sur LinkedIn, évidemment, mais la période n’est pas très porteuse, pour le dire gentiment. RMC et BeIN finalisent un plan social, et si Canal est sur les rangs pour récupérer les droits, la chaîne cryptée n’a pas vraiment besoin de recruter. « Il y a tellement de monde là-bas qu’ils sont limite en sous-emploi, persifle un journaliste. Et puis ils savent que la soupe est bonne ». Cela reste à prouver, toutefois, si l’on considère qu’un petit mot de soutien innocent à un confrère qui a osé critiquer CNews peut mener le commentateur phare du groupe au bord du licenciement. « Certains n’auront pas trop de mal à se recaser, mais pour ceux comme moi qui ne sont pas connus dans le milieu et qui n’ont pas un CV long comme le bras, je ne sais pas comment on va rebondir », se désespère un collègue.

S’agissant de Paul de Saint-Sernin, cela ne devrait pas supposer un obstacle insurmontable. L’humoriste reconnaît qu’il a reçu quelques propositions depuis son feu d’artifice de dimanche soir. Mais il ne souhaite pas s’exposer d’avantage après une interview accordée à l’Equipe, lundi, « pour ne pas desservir la cause qu’il prétend défendre ». Lui, le spécialiste de l’improvisation, ne pense qu’à sa chronique de dimanche prochain, qu’il promet « propre et classe ». On a hâte de voir ça.