FOOTBALLPSG-Basaksehir peut-il être un tournant anti-raciste dans le foot ?

PSG-Basaksehir peut-il être un tournant anti-raciste dans le foot ?

FOOTBALLY aura-t-il un avant et un après PSG-Basaksehir ?
B.V. avec W.P

B.V. avec W.P

L'essentiel

  • Plusieurs anciens joueurs ont été marqués par la décision des joueurs du PSG et de Basaksehir d'arrêter la rencontre mardi.
  • S'ils y voient un signe d'espoir, ils se demandent de quoi la suite du combat anti-raciste dans le foot sera fait.
  • Certains joueurs, comme Louis Saha, sont prêts à s'engager.

Retour plateau. Il est un peu plus de 21h25 dans un Parc des Princes congelé quand les commentateurs de RMC Sports, diffuseur du match, rendent l’antenne. Le match est arrêté depuis dix minutes et les deux équipes, qui refusent de reprendre le jeu avec un arbitre qu’elles accusent de racisme, sont déjà rentrées aux vestiaires. Calme et composé, l’ancien joueur et consultant Louis Saha tente en direct de comprendre et de mesurer ce qu’il vient de se produire devant ses yeux. « Avec le recul, j’ai eu l’impression de vivre l’histoire, nous explique-t-il après une nuit de sommeil. J’ai envie de leur tirer mon chapeau aux joueurs : dans une situation comme celle-là, où on se retrouve à prendre des décisions à chaud, dans un océan d’émotions, ils ont été géniaux. J’ai été touché. »

Interviewé par l’Equipe après l’arrêt du match, l’ancien joueur Olivier Dacourt, auteur d’un documentaire sur le racisme dans le foot, va plus loin. « Ce match va faire date dans le foot et même le monde du sport. De ces propos scandaleux de l’arbitre roumain est né un acte fort. Cet arrêt va marquer un tournant et peut-être l’histoire. »

« Quelque chose de nouveau »

L’image restera, forcément. Sa portée, elle, ne s’analysera que sur le long terme. Le football – et le sport en général – se bat contre ses problèmes de racisme depuis trop longtemps pour s’imaginer qu’on n'entendra plus le moindre cri de singe depuis une tribune ou la moindre insulte d’un joueur ayant moyennement goûté les crampons d’un autre. Mais il s’est passé quelque chose, mardi soir. Pour la première fois, deux équipes ont collectivement choisi d’arrêter de jouer face au racisme.

« On est passé du joueur qui proteste tout seul à l’équipe, estime l’ancien gardien mythique camerounais Joseph-Antoine Bell. Et là, on est même passé d’une équipe à deux équipes, c’est absolument magnifique. Je me rappelle que quand je reviens à Marseille et que je suis insulté au Vélodrome parce que je suis noir, à l’OM il y a Angloma, Boli et Abedi et eux, limite ils ne sentent pas concernés, ils sont presque amusés. Que ceux de Basaksehir et ceux de PSG se sentent concernés c’est déjà un pas formidable. »

Ou, comme le dirait Olivier Dacourt, « un symbole extrêmement fort […] de fraternité et de solidarité ». « C’est un fait historique, c’est la première fois qu’on assiste à un consensus des deux équipes qui décident d’arrêter, c’est très fort, souligne l’historien du sport Claude Boli, frère des anciens joueurs Basile et Roger Boli. On assiste à quelque chose de nouveau, de très singulier. »

Qui peut créer un précédent. Désormais, les joueurs de foot savent que si ceux du PSG et de Basaksehir ont décidé de ne plus jouer, ils peuvent le faire. Là où le jeu avait jusque-là toujours suivi son cours, comme lorsque Mario Balotelli avait menacé en vain de quitter le terrain après des insultes racistes à Brescia.

« Cela marque un tournant, car dorénavant les joueurs savent qu’ils peuvent arrêter un match, explique pour 20 Minutes le champion du monde 1998 Lilian Thuram. Très souvent, on demandait aux joueurs qui étaient victimes ce qu’il fallait faire, mais le match continuait quand même. La prochaine fois on attendra des joueurs qu’ils aient cette attitude, et s’ils ne le font pas, on leur demandera pourquoi ils ne l’ont pas fait. C’est un acte qui incite à la responsabilité. A ne plus être dans la neutralité. Et qui dit : dorénavant, vous avez l’obligation de vous lever. Et c’est pour cela que c’est puissant. »

Et l’UEFA ?

Claude Boli nuance : « On peut insister sur le caractère consensuel de la réaction sur le phénomène du racisme. De là à dire que ça va faire jurisprudence, je suis moins optimiste. Il faut attendre que l’UEFA réagisse, il faut voir comment les joueurs vont réagir. »

Les joueurs ont posé un genou au sol avant le coup d'envoi de ce PSG-Basaksehir acte II.
Les joueurs ont posé un genou au sol avant le coup d'envoi de ce PSG-Basaksehir acte II.  - FRANCK FIFE / AFP

Mardi soir, Kylian Mbappé ou Neymar étaient en première ligne pour demander des explications à l’arbitre et prendre la décision de refuser de jouer. Sur une ligne, relativement récente, où les stars du foot prennent de plus en plus part aux débats sociétaux, comme peuvent le faire celles du sport américain, dans la lignée du mouvement Black Lives Matter. « Il a toujours été super-compliqué de s’exprimer pour un footballeur, soulève Louis Saha. Le changement, il est palpable par les effets de société : il a fallu que des milliers de personnes soient dans les rues pour changer la perception des sponsors, des décideurs, du grand public. »

« L’étape suivante, c’est la conscientisation des joueurs, résume Joseph-Antoine Bell. Il faut qu’ils réagissent spontanément, pas comme des acteurs de cinéma. On veut qu’ils se sentent concernés, pas qu’ils jouent un rôle. Qu’ils disent : je suis confronté au racisme, on ne peut pas laisser le racisme s’exprimer comme ça dans la société. »

Un collectif pour « faire bouger l’institution » ?

Voilà pour les joueurs. Reste la question des instances. La Fifa évidemment, mais aussi l’UEFA, dont le conseiller de crise devait avoir posé une RTT mardi soir. « Ils ont pris plus de 1h30 pour réagir, ça me désole, souffle Saha. En termes d’exemple, c’est ne faire preuve d’aucune empathie, c’est ne pas comprendre l’impact d’un tel geste, c’est aberrant. »

« On va voir les mesures que va prendre l’UEFA ou pas, poursuit Ricardo Faty. C’est bien beau de mettre “no to racism” sur les manches si derrière t’assumes pas. Autrement, c’est de l’hypocrisie. La sanction, elle sera là pour l’arbitre, mais après ? » Saha avoue avoir les mêmes doutes contre une institution qui « n’écoute pas, n’aborde pas les sujets de la bonne manière. »

Saha, qui échange régulièrement avec Demba Ba, Lilian Thuram ou Samuel Eto’o, assure se sentir prêt à faire partie d’un collectif capable d’amener ces sujets sur la table, autour d’athlètes et d’influenceurs, pour « faire bouger l’institution ». Il conclut : « Mardi soir, il y a quelque part eu une prise de conscience qu’il y a des opportunités pour faire changer les choses avec du soutien, de la solidarité, de l’engagement. Mais pour ça, il fallait l’unité. » C’est ce qu’ont offert les joueurs du PSG et Basaksehir.