Crash de Romain Grosjean : « S’il n’y a pas de halo, Romain n’est plus là », décrypte Franck Montagny
FORMULE 1•L'ancien pilote, désormais consultant pour Canal +, analyse les progrès effectués par la Formule 1 en matière de sécuritéPropos recueillis par Nicolas Camus
L'essentiel
- Romain Grosjean est sorti indemne d’un crash très impressionnant dimanche lors du Grand Prix de Bahreïn.
- Le pilote français peut remercier les dernières innovations de la F1 en matière de sécurité, qui lui ont sauvé la vie.
- Consultant pour Canal+, Franck Montagny décrypte tous les progrès effectués ces dernières années et ce qu’il reste encore à améliorer.
Une collision dans une barrière à 220 km/h, une voiture coupée en deux, une explosion du réservoir qui déclenche immédiatement un spectaculaire incendie et seulement une poignée de secondes pour sortir de l’habitacle… De notre fenêtre, Romain Grosjean est un vrai miraculé après son terrible crash dimanche dans le premier tour du Grand Prix de Bahreïn. « Je crois plutôt qu’il s’agit d’une preuve du travail incessant de tous ceux qui se sont engagés pour la sécurité au sein de la F1, de la FIA et sur tous les circuits du monde », a réagi dimanche soir Michael Masi, le directeur de course de la Fédération internationale.
Il est vrai que ces dernières années, les progrès réalisés en Formule 1 en matière de sécurité sont spectaculaires. Et c’est l’ensemble des nouvelles normes qui a permis à Romain Grosjean de s’en sortir avec seulement quelques brûlures aux mains. Ce crash est « une première pour notre génération », selon les mots de Pierre Gasly.
« Tous les systèmes que nous avons développés – le halo, les barrières de sécurité, les ceintures – ont fonctionné comme prévu, a souligné Alan van der Merwe, qui pilote la voiture médicale depuis 2009. Sans un seul de ces éléments, le résultat aurait pu être très différent. » Franck Montagny, ancien pilote désormais consultant pour la chaîne Canal+, nous aide à y voir plus clair dans les éléments qui ont sauvé la vie du pilote français de l’écurie Haas.
De quand datent les principaux progrès en termes de sécurité ?
Il y a eu un gros bond en avant à partir des années 2000. La FIA a lancé le mouvement, et ensuite quand les constructeurs sont entrés en F1, ça a beaucoup évolué. Car ce qui est testé en Formule 1 sert ensuite pour les voitures des particuliers. C’est un bon laboratoire. La première chose a été d’améliorer tout ce qui est autour du pilote. Aujourd’hui, tout est en carbone. On a installé ce qu’on appelle une cellule de survie, c’est-à-dire une zone où il est très difficile d’entrer pour des éléments extérieurs. Les jambes, les pieds, le bas du corps jusqu’aux épaules, tout ça est en sécurité quasiment à 100 %, alors que ces zones étaient beaucoup touchées avant.
Et au niveau de la tête ?
L’évolution est plus récente. Des améliorations ont été apportées sur les casques. Ils sont maintenant « bullet proof » («pare-balles » en VF), tout en restant très léger, environ 1 kg. Les visières ont aussi été développées car il y avait eu un accident avec Felipe Massa, qui avait eu l’œil abîmé après avoir pris un ressort perdu par une autre voiture dans la tête [en 2009].
Jusqu’à en venir au fameux halo, introduit en 2018…
C’est une réflexion qui avait commencé avant mais qui s’est accélérée après la mort de Jules Bianchi [le Français avait percuté une dépanneuse lors du GP du Japon en octobre 2014, il était mort neuf mois plus tard]. C’est une partie en carbone, solidaire du châssis, qui protège la tête des pilotes lors des gros crashs. Au début, personne n’en voulait parce que ce n’est pas très beau, que ça dénaturait la F1, que ça rajoutait du poids, etc. Mais on ne peut que constater son efficacité. S’il n’y a pas de halo, Romain n’est plus là. On craignait aussi qu’il ne gêne la vision, mais la barre de devant est très proche, et comme les pilotes ne regardent pas ce qu’il y a immédiatement devant eux, ils s’y sont faits rapidement.
Quels sont les domaines où il y a encore des progrès à faire ?
Sur la sécurité extérieure, par exemple. On a vu que les rails s’étaient ouverts. II faut bosser là-dessus pour arriver au risque minimal, même si cela restera toujours un sport à risque, avec des voitures qui vont à 300 km/h et qui peuvent se rentrer dedans. Les combinaisons ignifugées ont connu de gros progrès aussi, mais on peut toujours aller plus loin, notamment au niveau des jointures, des coutures, des gants.
On a vu, d’ailleurs, que la voiture de Romain a pris feu. Pourtant, ça aussi, ça a changé, les réservoirs ne sont plus solides mais mous, avec une mousse tout autour du réservoir pour capturer les liquides et empêcher que ça s’enflamme. Et à chaque partie raccordée à ce réservoir, il y a une double sécurité pour empêcher toute sortie des liquides. Mais là, comme la voiture s’est complètement coupée en deux, le réservoir a pu prendre feu. Ce cas va être étudié.
Comment tire-t-on, justement, les enseignements de ce type d’accident ?
La voiture de Grosjean va passer en analyse. On appelle ça la quarantaine. Chaque pièce va être amenée dans une usine de Haas, et là une armée d’ingénieurs va tout passer au peigne fin. Dans une écurie comme celle-là, ils vont être environ 400 à bosser dessus, mais chez Mercedes par exemple, c’est 1.500 personnes. Dans l’usine, il y aura des zones avec des rubalises, comme une scène de crime en fait, avec les pièces rangées par catégorie : développement aérodynamique, développement mécanique, développement dynamique. Chaque ingénieur va venir pour étudier les pièces, refaire des tests, les passer sous infrarouge, etc., pour comprendre ce qu’il s’est passé et améliorer encore la voiture. Il y aura aussi des ingénieurs de la FIA, et même de l’extérieur si besoin.