Mort de Maradona : « Il a rendu possible l'impossible »... L'éternelle passion de Naples pour son idole ultime
FOOTBALL•La ville de Naples est viscéralement liée à Diego MaradonaWilliam Pereira
L'essentiel
- Diego Maradona s'est éteint à 60 ans.
- L'Argentin a marqué de son empreinte le club et la ville de Naples.
- En retour, les Napolitains lui vouent un véritable culte.
Il faut avoir vécu un jour de match à Naples, et pas seulement au San Paolo, pour comprendre ce que représentait Diego Armando Maradona, décédé mercredi, aux yeux des habitants de cette ville. Ça nous est arrivé en 2018, un jour de novembre. Le PSG se rendait au pied du Vésuve pour jouer un match de Ligue des champions. Marek Hamsik, nouveau meilleur buteur de l’histoire du Napoli, et Edinson Cavani, revenant en terre sainte, sont en tête de gondole dans les points de vente à la sauvette autour du stade. A leur droite, l’image impérissable d’un dieu éternel demeure. 27 ans après son dernier match à Naples, on continue de vendre l’ancien maillot floqué du numéro 10 pour cinq balles.
« Le sponsor de l’époque, NR, ayant fait faillite, il est tombé dans le domaine public et il est possible d’en trouver de bonne qualité à ce prix », explique Mirko, supporter historique qui préfère être cité comme napolitain, point barre. « Ça va au-delà du foot », comme tout ce qui touche au Pibe de Oro et cette ville, deux entités irrationnelles dont le mariage ne pouvait que fonctionner, même si la légende raconte que Maradona aspirait à une certaine tranquillité en signant là-bas. Raté avant l’heure. « Mes parents m’ont raconté que la nuit où les rumeurs sur son transfert ont commencé à circuler, ils sortaient du resto, et tout le monde faisait la fête, poursuit Mirko, voix chevrotante. Les gens sortaient dans la rue comme s’ils fêtaient un titre. C’est l’équivalent de Mbappé qui débarquerait au FC Séville, au centuple. »
70.000 personnes l’accueilleront au San Paolo pour sa présentation après avoir été transféré du Barça pour 12 millions d’euros, record absolu à l’époque. L’avenir donnera un sens à cette effervescence précoce. En Italie, il gagnera une coupe de l’UEFA, une supercoupe d’Italie, une coupe d’Italie et surtout deux Scudetti.
« « Il a gagné deux championnats dans la Ligue la plus relevée de l’époque où jouaient tous les meilleurs joueurs du monde. Zico, Platini, les trois Allemands de l’Inter, Falcão…. Il gagne l’UEFA en éliminant la Juve en quart en perdant 2-0 là-bas. Un match plus tard, prolongation puis à la 120e ça fait 3-0 pour nous. Ma grand-mère habitait dans l’immeuble en face et elle me disait que ce soir-là elle croyait que l’immeuble allait s’écrouler. Il a fait venir Careca à Naples qui était le meilleur 9 avec Van Basten alors qu’il aurait pu signer ailleurs pour gagner beaucoup plus d’argent. Et aujourd’hui Careca dit que c’est le meilleur joueur de l’histoire alors que c’est presque un blasphème au Brésil de Pelé. Il a rendu possible l’impossible. » »
La tentative de putsch de 1990
S’il ignore presque tout de la ville où il pose les pieds au moment d’y débarquer en 1984, Maradona s’y identifie très vite par sa ressemblance avec le Buenos Aires de son enfance. Naples a encore du mal à se remettre du séisme de 1980 en Irpinia et est frappée de plein fouet par le chômage. Surtout, elle est regardée de haut par les élites du Nord. « J’avais l’impression de représenter une partie de l’Italie qui ne comptait pour personne », livrera-t-il dans le film d’Asif Kapadia (2019). A tel point qu’au moment de défier la Squadra Azzurra en demi-finale du Mondial 1990 avec l’Albiceleste au San Paolo, il proclamera son indépendance.
« Amis napolitains, pendant 364 jours par an, vous êtes considérés comme des étrangers dans votre propre pays. Aujourd’hui, vous devez faire ce qu’ils veulent que vous fassiez, en supportant l’équipe d’Italie. À l’inverse, moi, je suis napolitain pendant 365 jours par an. » Il avait tout fait pour rallier le stade à la cause argentine, y compris descendre du bus de la sélection vêtu de la tunique napolitaine. L'Italie du Nord prendra sa revanche en finale. Ce 3 juillet 1990, Maradona est hué du début la fin, au point d'en pleurer pendant les hymnes. Il quittera l'Italie un an et un contrôle positif à la cocaïne plus tard.
Sans rancune, Naples finira logiquement par retirer son numéro 10 début des années 2000, alors que le club entrevoit un retour en Serie A après un séjour en enfer. « il a tellement donné qu’on en ferme parfois les yeux, concède notre supporter. Ici, il a toujours été accepté avec ses défauts et ses qualités. » Les propos du président Aurelio De Laurentiis au micro d’RMC vont dans ce sens. « Maradona, c’était une légende. Le phénomène le plus important du football. Il n’y a pas de comparaison avec quiconque. Lui, c’était unique. Un génie, un peintre du football : maudit et formidable, un peu caravagesque. »
« Le Covid va passer en 10e plan »
Il ne sera probablement jamais oublié comme il ne le fut jamais vraiment depuis son départ en 1991. Aujourd’hui, on continue de baptiser des Diego à Naples, et, prévient Mirko « il faudra surveiller les registres pour les naissances à venir parce que les petits Diego vont fleurir. » Ce ne serait que pure logique tant les Napolitain ont jusqu’ici su cultiver la mémoire de leur idole à travers les générations. « Tout le monde sait qui il est, ce qu’il représente, même chez les gosses. » Il faut dire que les parents avaient bien préparé le terrain.
Gennaro Montuori, ultra napolitain cité dans le film d’Asif Kapadia : « tous les Napolitains avaient chez eux une photo de Diego. Chez certains, elle était même accrochée au-dessus du lit à côté de Jésus », preuve d’une vénération illimitée que l’annonce du décès de l’Argentin mercredi est venue raviver à la lumière de fumigènes allumés dans les rues d’une ville qui s’emballe. Son maire, Luigi de Magistris, n’a pas attendu longtemps pour faire savoir qu’il voulait rebaptiser le stade San Paolo au nom de Diego Maradona. De Laurentiis, lui, veut afficher le visage de D10S pendant le match de Ligue Europa de son équipe, jeudi. Naples pleure et fête son idole au-delà du raisonnable. « Le Covid à Naples, ça va passer au dixième plan, prédit Mirko. Les autorités pourront rien faire, c’est surnaturel. » C’est Diego, quoi.