Mort de Christophe Dominici : « Peut-être que jusqu’au bout on n’a pas su bien le saisir »
DRAME•L'ancienne légende du XV de France s'est donnée la mort à 48 ans, après une vie émaillée de hauts et de basJulien Laloye
L'essentiel
- L'ancienne légende du XV de France Christophe Dominici a été retrouvé mort mardi en région parisienne, à 48 ans.
- Tout au long de sa vie, le héros de Twickenham avait souffert de fragilités phychologiques.
- Ses amis regrettent de ne pas avoir plus fait pour l'aider.
Il y a des coups d’œil aux archives qui font encore plus mal que la réalité. La dernière fois qu’on a parlé à Christophe Dominici, c’était pour commenter un autre drame dans notre mythologie personnelle de la grande histoire du rugby. La mort de Jonah Lomu, quelques jours après les attentats de 2015. « Domi », le tourmenteur du géant néo-zélandais pour l’éternité, avait eu cette phrase si cruelle pour ce qu’elle signifie aujourd’hui : « Il avait beaucoup de pudeur, il souffrait tout seul ».
Christophe Dominici aussi a souffert en silence, très tôt dans sa vie, jusqu’à peut-être mettre fin à ses jours ce triste mardi de novembre au Parc de Saint-Cloud (la piste de l'accident n'est pas écartée), si près à vol d’oiseau des pelouses qui l’ont vu réussir ses plus belles percées avec les Bleus et le Stade Français. La déflagration originelle remonte à l’adolescence. Pascale, la grande sœur adorée, disparaît dans un accident de voiture, quand il a 14 ans.
Un deuil à porter avant l’adolescence
« A sa mort, je me suis mis en autodéfense. J’en voulais à la terre entière, se souvient-il dans un vieil article de Libération. Je voulais prouver à mes parents que j’étais encore là, moi. Mais je ne savais plus que détruire. » Mauvaises fréquentations, bagarres qui tournent mal et vols de bagnole qui l’envoient souvent au commissariat. Le rugby le sauve la première fois, avant de le faire replonger. Une dépression nerveuse qui suit son explosion médiatique après la coupe du monde 99. 25 jours sans dormir après le départ de sa femme, l’élément déclencheur. Il remonte la pente grâce à la kinésiologie, mélange de médecine chinoise et de neuropsychologie, mais sa fragilité est désormais connue de tous.
« C’était un mec un peu fou, dans l’excès, mais en même temps très chaleureux, qui marchait à l’affectif », explique Bernat-Salles, le compère de Twickenham, aussi abasourdi que nous par la nouvelle. « On n’était plus trop en contact mais on se voyait une fois par an pour un match des anciens ou un match des Bleus, et on se faisait une bonne bringue ensemble. Je savais qu’il avait des soucis, mais pas à ce point-là ». L’ancien ailier du BO évoque spontanément la reprise de Béziers, « un projet qui lui tenait à cœur ». Il s’agit de la dernière apparition publique du petit blond peroxydé qui a enchanté quelques-uns de nos après-midis du Six Nations. Dominici avait promis monts et merveilles, des joueurs de renom, pour faire de Béziers un grand d’Europe, avant de se faire damer le pion par l’ancien président toulousain René Bouscatel.
« Les gens qui ont bavé sur lui vont dire qu’il était fantastique »
Les mauvaises langues s’en donnent alors à cœur joie, et pour être juste, les bruits qui nous remontent aux oreilles ne feront pas honneur à la mémoire du garçon, comme cette histoire incompréhensible de vol de panama dans une boutique de Sanary-sur-Mer révélée par le Canard Enchaîné l’été dernier. Richard Dourthe, un autre écorché vif du rugby français, a la tristesse rageuse : « C’est dur, c’est tout. Il n’y a rien à dire, juste à subir. Alors forcément, on va entendre tous ces gens qui l’ont critiqué en faire des éloges, " il était super, machin, truc ". Et ça, ça me rend dingue. Les gens qui ont bavé sur lui, sur l’histoire de Béziers, sur sa façon d’être, et là ils vont dire qu’il est fantastique. Ils disaient " c’est un branque, un con ", mais maintenant Domi il n’est plus là. C’est ça qui est dur ».
Les amis de toujours essaient de comprendre. Comprendre comment ils n’ont pas vu la détresse d’un homme qui a plutôt réussi son après rugby, entre son entreprise de viticulture Monte Bacco (25 salariés et 12 millions d’euros de CA en 2019) et son écurie de chevaux. Sur RMC, Benazzi est renvoyé dans ses 22 quand il évoque un accompagnement défaillant de la Fédération au moment de sa dépression, qu’il avait pourtant surmontée pour redevenir un joueur décisif en fin de carrière. Olivier Brouzet, ancien équipier chez les Bleus et au Stade Français, se sent coupable malgré lui.
« Ce qu’on se disait avec mes amis, c’est qu’on n’était malheureusement pas assez proches et aujourd’hui on se le reproche parce qu’on aurait peut-être pu mieux ressentir les choses. C’est ce qu’on vient de se dire avec Romain Magellan [un autre stadiste, ndlr] il y a cinq minutes, on aurait dû l’appeler, rester plus en contact car on aurait pu subodorer cette triste fin. C’est quelque chose de compliqué. Christophe était quelqu’un qui entreprenait énormément, c’était un touche à tout, et évidemment quand on entreprend beaucoup, on a parfois des désillusions. Je ne sais pas si c’est la raison pour laquelle Christophe a décidé de partir mais… ».
L’échec de la reprise de Béziers lui était restée en travers de la gorge
Les fidèles parmi les fidèles du Stade Français ne parviennent pas à articuler un mot, paralysés par le chagrin. Max Guazzini y arrive tant bien que mal sur RMC : « Je suis bouleversé, je ne peux pas parler, c’est tellement violent. Il donnait l’impression d’être très sûr de lui mais Christophe était très fragile. Je ne sais pas quelle est l’incidence de l’échec de la reprise du club de Béziers sur son geste. Mais c’est terrible pour sa femme, ses filles. C’est d’une violence absolue ». C’est finalement Olivier Brouzet qui a les mots les plus justes, au moment de raccrocher : « Christophe était un funambule, il était insaisissable et voilà, peut-être que jusqu’au bout on n’a pas su bien le saisir. C’est bien dommage, la mort l’arrache à nous et on est bouleversé ».