Elections à la FFR : Bernard Laporte va-t-il être battu après une campagne délétère ?
FEDERATION•L’ancien ministre veut rempiler pour un deuxième mandat, mais la cote de son challenger Florian Grill a pris de l’ampleur au cours d’une campagne électorale heurtéeJulien Laloye
L'essentiel
- Les 1900 présidents de clubs vont élire le nouveau président de la Fédération française de rugby par vote électronique.
- Largement favori à sa propre succession, Bernard Laporte a vu son avance fondre après une dernière semaine de campagne rocambolesque.
- L'ancien sélectionneur des Bleus est persuadé qu'il l'emportera quand même face à Florian Grill, malgré ses ennuis judiciaires.
On ne sait plus vraiment quand cette campagne est partie en vrille, mais il était temps que ça se termine, vraiment. Enfin, surtout pour Bernard Laporte. Le président sortant de la FFR, candidat à sa réélection samedi, envoie valser toutes les convenances depuis sa sortie de garde à vue. Pour ce qui est des journalistes, « qu’il faudrait virer » si les sondages le donnant perdant d’une courte tête s’avèrent finalement trompeurs, disons qu’on a l’habitude.
Mais même certains de ses soutiens les plus ardents ont été gênés aux entournures par ses larmes de crocodile à Saint-Jean de Védas la semaine passée, et sa violente diatribe à l’encontre de Florian Grill, son challenger : « Je le savais lâche sur un terrain car j’ai des potes qui ont joué avec lui. Mais là, ça confirme sa mentalité. Il faut vite qu’il parte de notre sport. »
Les outrances de Bernard Laporte
Rapport à une interview de Grill parue dans Le Figaro le matin même de l’audition surprise de Bernard Laporte au siège de la Brigade de répression de la délinquance économique (BRDE), comme si le président de la Ligue Ile-de-France dirigeait à la fois l’agenda médiatique et judiciaire depuis son donjon maléfique. « C’était une convocation critiquable sur le timing mais la police a fait son boulot et ils sont ressortis libres, évalue un partisan de l’ancien sélectionneur. Ce n’était pas la peine de s’étaler. »
Ni sous-entendre avec la discrétion d’un troupeau d’éléphants qu’il s’agissait d’un complot ourdi par la Ligue et l’opposition : Laporte connaissait depuis l’été sa date de convocation, initialement prévue avant le Covid.
Dans le camp Grill, on met cette agressivité sur le compte d’un début de panique. « Il s’en est pris à Florian parce qu’il sent que l’élection est en train de lui échapper. Ce n’est pas pour rien qu’il a refusé de reporter les élections. » Dans une interview qu’il nous avait accordée à la mi-septembre, l’intéressé jurait déjà sentir le vent tourner en sa faveur. « Chaque fois qu’on a vu des gens, on les a convaincus. Ce sera très serré, n’en déplaise à tous les moyens déployés contre nous et les promesses démultipliées un peu partout. »
Les dernières polémiques semblent plutôt avoir figé les positions. Lors des derniers meetings de Laporte, cette semaine, de nombreux présidents de club ont spontanément pris la parole pour assurer « Bernie » de leurs voix malgré ses déboires, alors que d’autres ont taclé les deux camps, exaspérés par le climat de la campagne.
Le monde amateur satisfait de l’action de la FFR ?
Vu de l’extérieur, il est assez fascinant de constater à quel point les différentes « affaires » qui ont encombré Bernard Laporte tout au long de son mandat semblent glisser sur sa candidature. Petit détail croustillant à cette étape du récit, l’ancien secrétaire d’État aux Sports a refusé toutes les interviews comportant des questions « négatives » sur lesdites affaires. Il faut dire qu’il y a de quoi faire une série sur Canal, entre le coup de fil à la commission d’appel de la Ligue pour alléger les sanctions du club d’Altrad, à l’origine de sa garde à vue, les voyages payés par ce même Altrad pour obtenir l’organisation de la Coupe du monde 2023 (aussi dans le viseur de la justice), la BMW de la Fédération prêtée sans raison à un espoir toulonnais, ou le licenciement brutal de Guy Novès à l’issue d’un audit fantôme.
Florian Grill, qui a toujours refusé de commenter l’enquête visant le président de la FFR, est en revanche beaucoup plus prolixe sur le cas Novès, représentatif, selon lui, de la gabegie financière de la Fédé sur les quatre dernières années : « On a une gouvernance qui a réussi un Grand Chelem déficitaire, puisque la FFR reste sur quatre années de déficit d’exploitations. A un moment, il va falloir payer la douloureuse, et le château de cartes est déjà en train de s’écrouler. »
En cause, notamment, l’explosion de la masse salariale de la Fédération et une sortie de route incontrôlée en 2020, en partie provoquée par la crise du Covid. A Marcoussis, on rétorque qu’on est parvenu à enterrer le projet ruineux du Grand Stade, et que l’argent a enfin été distribué au rugby amateur, depuis le temps que ce dernier ne voyait rien venir.
« « On a redistribué en quatre ans 90 millions d’euros de plus que l’ancienne mandature, que ce soit sur les frais de déplacement, l’aide à l’arbitrage, ou diverses subventions, explique un proche du pouvoir. On a aussi créé 162 postes de Conseillers techniques qui vont faire des audits dans les clubs pour les aider à mieux fonctionner, on n’avait jamais vu ça avant ! Alors ça coûte de l’argent [14 millions par an], mais ça leur change la vie. Ça fait deux ans que Grill est dans l’opposition systématique, à allumer des incendies à tous crins. Il n’y a pas que des mauvais qui gèrent la FFR, il faut arrêter la caricature. On peut dénoncer des incohérences, mais il a été un sacré boutefeu ! » »
« Grill a été un sacré boutefeu »
Ce dernier a pourtant voté le plan d’aides exceptionnel de 35 millions d’euros conçu par la FFR – et prélevé en partie sur le fond d’assurance des grands blessés – pour garrotter les pertes des clubs amateurs et permettre le retour à la pratique le plus sereinement possible. Et on peut difficilement le blâmer d’avoir soufflé sur les premières braises. On en revient au fameux « Florian Grill, personne ne le connaît si ce n’est sa mère donc on s’en fout ! » asséné par Bernard Laporte en juin 2019, au moment de la déclaration de candidature de ce chef d’entreprise de 55 ans, diplômé d’HEC Paris et membre important de la liste Camou, en 2016.
C’est d’ailleurs un reproche qui poursuit l’ancien Puciste. Vouloir faire du neuf avec du vieux, en recyclant les Blanco ou les Skrela, qui ne sont pas vraiment des perdreaux de l’année. Lièvremont a réfléchi à y aller, un temps, lui qui incarnait une forme de légitimité naturelle, mais il n’y pensait pas assez en se rasant.
Pendant le dernier mois de campagne, Laporte s’est attaché à dépeindre Grill en allié de la Ligue et du rugby professionnel, contre les intérêts du rugby amateur. Le président de la Fédération, lui, a choisi son camp depuis longtemps. S’il n’a pas réussi à parader avec la tête de Paul Goze sur une pique, il s’est fait un devoir « de remettre la Fédé à sa place », la botte bien installée sur la jugulaire de la LNR. Avenue de Villiers, on n’a pas digéré l’attitude du duo Laporte-Simon lors de la réunion de conciliation visant à rapprocher les positions antagonistes sur la tournée d’automne, au point d’attaquer la Fédé au tribunal.
« ll n’a jamais été question pour eux de négocier. On a eu le sentiment d’un véritable passage en force, d’une forme de mépris du rugby pro ». « Faux, il y a eu beaucoup de souplesse dans notre discours, rectifie un membre du comité directeur. Il n’y a eu aucun problème pour libérer les internationaux étrangers, mais quand c’est le XV de France, on se demande si la Ligue tire dans le même sens. »
Le coup de pression de Galthié
A croire que la LNR ferait payer à l’avance à Laporte son dernier avertissement : pas un kopeck pour les clubs sur les recettes de la Coupe du monde de 2023, « intégralement reversées au rugby amateur ». France 2023, c’est l’atout maître de Laporte, sa plus grande réussite, puisqu’il avait donné de sa personne pour arracher la victoire à l’Afrique du Sud, annoncée favorite. Alors la FFR capitalise au mieux, avec le lancement du train de la Coupe du monde, qui s’est déjà arrêté dans plusieurs grandes villes en septembre. Comme elle capitalise sur le redressement de l’équipe de France, au moins sur l’image.
Sur ce point, le coup de pression de Fabien Galthié, qui a plus ou moins lié son sort à celui de Laporte, n’aura échappé à personne, encore moins à Grill. « Quand le président de la FFR, sur un sujet aussi symbolique que l’équipe de France, trouve le moyen de faire de la politique, parce qu’on sait bien d’où sort cette intervention du sélectionneur, ça ne fait pas partie de ma conception du sport. »
Parlant de politique, l’opposition distille gentiment le doute partout où elle se rend : « Attention, voter Laporte, c’est voter Simon ». Beaucoup prêtent en effet l’intention au patron de la FFR de faire carrière à World Rugby en laissant le navire fédéral aux mains de son second Serge Simon, sans passer par la case élection. Rendons grâce à Laporte là-dessus. C’est lui qui a mis fin au système électoral moyenâgeux dont les règles dominaient encore en 2016, avec des porteurs de voix qui viennent émarger pour tout le département à coups de 50 bulletins chacun.
Désormais, c’est vote électronique obligatoire et tambouille électorale interdite. « Il faut au moins reconnaître ce courage-là à Laporte, souffle un de ses amis. S’il n’avait pas passé cette réforme, sa réélection se serait réglée comme jadis, sans la moindre incertitude. Grill n’aurait même pas fait 20 %. »
Un vote électronique 100 % transparent
Le candidat de Ovale Ensemble fera beaucoup plus. Il promet même que selon ses derniers pointages, il est devant, ce qui fait gentiment sourire à Marcoussis. « Il est temps qu’on aille aux urnes, que les choses soient claires pour tout le monde. On ne peut pas dire qu’on a déjà gagné, mais on est confiants. » Et malins, en témoigne ce petit mail envoyé aux médias à quelques heures du début des votes pour se féliciter d’une hausse des licenciés en 2020 après des années de vache maigre. Il n’y a jamais de petit profit si près d’une élection.