Tour de France : « Avant, je ne faisais pas de bruit », comment Guillaume Martin essaie de faire sa place en montagne
CYCLISME•Révélation d’une course dont il occupe la troisième place, le coureur de la Cofidis doit pourtant construire sa légitimité dans les cols, où on ne le laisse pas occuper les premières positions du pelotonJulien Laloye
L'essentiel
- Bien placé dans la course au podium, Guillaume Martin a pourtant du mal à se faire respecter en montagne.
- Les leaders n’ont pas l’habitude de voir un maillot Cofidis aussi longtemps en montagne avec les meilleurs.
- De plus en plus régulier, le Français estime qu’il a été chahuté dans les Pyrénées.
Des règles tacites du peloton, on pensait en connaître un rayon, anecdotes à l’appui dignes du Parrain. Souvenez-vous Mario Cippollini, qui du temps de sa splendeur, décidait d’à peu près tout lors des étapes de plaine, de l’heure de la pause-pipi, jusqu’au temps d’avance accordé à l’échappée, en passant par les renseignements sur le gars qu’on laisserait parader en tête du peloton dans le village de son enfance.
Mais, se disait-on, tout ça disparaissait en montage, où la pente ramène tout le monde à son humble place, sans une faveur pour les egos et les réputations. Et bien Guillaume Martin nous apprend que les codes du peloton ne s’oublient pas avec les pourcentages. Lisez-le pendant le dernier Dauphiné, qu’il a terminé troisième au général :
« « Roglic est assez intouchable et, malgré tout, je n’étais pas loin, si ce n’est de le toucher, au moins de l’accrocher. J’étais placé un peu loin au moment où l’attaque se produit. Dans les derniers kilomètres, j’étais plutôt dans les deux-trois derniers du groupe. Ce n’est pas évident dans la mesure où ce maillot Cofidis, il faut le faire respecter à ce niveau-là. Je me retrouve avec des coureurs qui ont des armadas très solides et qui ont l’habitude de se retrouver entre eux. Quand j’essaye de remonter, je me fais un peu chahuter ». »
Le constat avait piqué notre curiosité, alors on a relancé le grimpeur parisien sur le sujet pendant la journée de repos. Parce que si le tableau a changé de focale, le bonhomme a gardé la même place, au chaud sur le podium, ce qui veut quand même dire quelque chose après les Pyrénées.
« « Autrefois, je ne faisais pas de bruit, j’étais le dernier du groupe, j’étais là sans être là. Maintenant, je me dis que j’ai ma place dans la file pour prendre la roue de Roglic, de Bernal. Ils ont encore du mal à m’accorder cette place qu’ils laissent à Alaphilippe, à Pinot, à Bardet. C’était le cas dans les Pyrénées où je me faisais chahuter quand je voulais remonter ». »
Illustration en trois temps lors de l’étape de dimanche dernier entre Pau et Larruns :
- A 4,5 km du sommet de Marie-Blanque, on aperçoit Martin aux alentours de la 20e position dans le groupe des favoris, derrière les principaux prétendants à la victoire.
- A 3 km du sommet, il est en 14e position d’un groupe pourtant très réduit, derrière des coureurs comme Landa, Bernal, Quintana, voire même des équipiers de leaders comme Carapaz ou Caruso.
- Conséquence un kilomètre plus loin : lorsque Pogaçar porte son attaque, Martin se situe en onzième position, derrière Romain Bardet, et la distance à couvrir pour suivre Roglic en tête du peloton de chasse est déjà très importante. Tous ceux qui parviendront à recoller à Pogaçar sont mieux placés que lui (Roglic, Bernal, Landa). Seul Quintana, mieux positionné lui aussi, ne comblera pas le trou. A l’arrivée, Martin perd 10 secondes sans jamais avoir été en position de répondre à l’attaque du leader de la Bahreïn.
« Un maillot qu’on finit par retenir chez les leaders »
Beaucoup d’invitations à la réflexion passionnantes là-dedans. A déjà 27 ans, Martin ne débarque pas au bowling en Ovni slovène swagé comme Steve Buscemi. Personne ne lui a jamais promis la gloire sur le Tour, et les médias étrangers découvrent avec un temps de retard le diplôme de philo du garçon, sans montrer un fol intérêt pour sa progression sportive. Arrivons-en au fait : le Français le mieux classé au général doit se faire sa place tout seul dans les cols, où les leaders, qui se reniflent souvent depuis des années, forment une caste à part.
« Ça marche au palmarès. C’est évident qu’on laisse plus facilement la place dans le groupe des favoris à un grand nom qu’à Guillaume Martin », explique David Moncoutié. L’ancien grimpeur tricolore des années sombres était un peu le Martin de son époque, si l’on veut bien oublier que lui adorait traînasser en fond de cale, pour ne surtout pas gêner les tauliers. Mais il est moins fataliste pour son successeur qu’il ne l’était pour lui-même.
« Guillaume ne sort pas de nulle part. C’est un coureur super régulier qui est présent tous les jours à l’avant en montagne. Et il est très haut au général. C’est comme ça qu’on se fait respecter. Moi, je n’aimais pas frotter, mais sur la Vuelta, avec le maillot de grimpeur, c’était autre chose, on me laissait plus facilement me positionner dans les premières places ». Surtout, Martin n’est pas du genre suceur de roue insupportable qui ne bouge pas une oreille pour assurer sa 8e place d’épicier à Paris. « Il tente de sortir régulièrement, même si ce n’est pas impressionnant à chaque fois. C’est un maillot qu’on finit par retenir chez les leaders. »
a« Un équipier qui sait vous placer, ça n’a pas de prix »
Précision d’importance quand on parle du maillot Cofidis. qui n’a pas franchement épaté les suiveurs par sa présence en montagne depuis que Moncoutié a raccroché. « C’est sûr que ce n’est pas la même prestance qu’Ineos ou la Jumbo, reconnaît ce dernier. On parle d’une équipe invitée qui ne fait même pas partie du World Tour. Ce n’est pas le plus facile pour exister ». Et cela dépasse une simple question de légitimité. A la différence de Roglic ou Bernal, Martin doit se démerder tout seul dès le pied des cols, là où il faut savoir émerger en tête de peloton sans griller trop d’énergie.
Alain Gallopin, ancien directeur sportif de la Trek, prend un exemple qu’il juge parlant : « Le jour où Alaphillipe attaque pour prendre le jaune à Nice, il a les jambes pour y aller parce que Devenyns l’a remonté et que Jungels a fait le tempo devant lui. Si Julian avait dû faire ça tout seul, il n’aurait jamais pu sortir parce qu’il aurait déjà grillé sa cartouche. Un équipier qui sait vous placer, ça n’a pas de prix. Guillaume, il manque de soutien à ce niveau-là, à moins qu’Herrada ou Edet ne montent d’un cran d’ici la fin du Tour. »
« Leur regard a changé, je fais ma place petit à petit »
C’est le moment de battre en brèche une idée reçue : oui, on économise de l’énergie quand on roule derrière un équipier qui se cale sur le rythme que vous souhaitez, même en haute montagne, où chaque effort doit être compté. Martin aux sous-titres : « Pour me porter à l’avant du groupe, c’est comme si je devais faire une première attaque. »
Impossible, donc, de sauter dans la roue du type qui pose une mine dix mètres devant, sous peine d’exploser en vol. « Quand les niveaux sont aussi homogènes que sur ce Tour, il y a une énorme différence entre celui qui est à l’avant et celui qui ferme la marche, complète Moncoutié. A moins d’être très au-dessus, on ne peut pas se permettre la fantaisie d’être à la 10e place s’il se passe quelque chose. »
D’autant que Martin ne peut même plus bénéficier de l’effet de surprise qui accompagne les grimpeurs de second rang qu’on laisse parfois s’amuser dans l’indifférence la plus totale. « Martin ou pas Martin, aujourd’hui, personne ne va laisser partir le troisième du général », tranche Gallopin. « Leur regard a changé, je commence à être connu, considéré, je fais ma place petit à petit, se félicite désormais l’intéressé, qui se voulait prémonitoire après le Dauphiné : « A force de montrer des performances comme celle-là, peut-être que je me ferais plus respecté et j’arriverai plus facilement à remonter dans la file des coureurs ». On y est presque.