Tour de France : « On ne planifie rien, sinon on est trop déçus », confie le père de Thibaut Pinot
INTERVIEW•Régis Pinot, père du leader de la Groupama-FDJ, confie ses craintes à la veille du départ du Tour de France. Il espère que son fils pourra enfin terminer un Tour en pleine forme physiquePropos recueillis par Jean Saint-Marc
L'essentiel
- Le père de Thibaut Pinot est inquiet à l’idée que son fils soit une nouvelle fois trahi par son physique lors du Tour de France 2020.
- Régis Pinot avoue que le Tour est « difficile » à suivre pour des parents : « Après son abandon l’an dernier, il en a souffert pendant des mois et nous aussi. »
De notre envoyé spécial à Nice,
Chers lecteurs, nous devons vous prévenir : cette interview pourrait vous déprimer. Vous aviez déjà moyennement la forme à cause de la rentrée et du coronavirus ? Le Tour de France était votre bouffée d’oxygène ? Vous vous preniez à rêver d’un Thibaut Pinot vainqueur du maillot jaune ? Oups. Vous risquez de déchanter en lisant les mots de Régis Pinot, père du leader de la Groupama-FDJ et maire de la commune de Mélizey (Haute-Saône).
Vous pensez que les Jumbo-Visma vont verrouiller la course ?
On peut se retrouver avec une course complètement cadenassée où personne ne peut rien faire. Comme sur le Dauphiné : le leader des Jumbo abandonne le matin, ils ont un gregario (Sepp Kuss) qui gagne l’étape l’après-midi. Quand ils cadenassent, personne ne sort. Mais leur bagarre avec Ineos peut profiter aux autres équipes.
La Groupama-FDJ est-elle armée pour lutter face à ces armadas ?
Ce n’est pas comparable ! Mais si les gars retrouvent la forme de l’an dernier, Thibaut peut avoir une bonne équipe… Pour l’instant, on attend, on verra.
Beaucoup d’observateurs disent que le parcours, très montagneux, est taillé pour lui, que c’est son année…
Tous les ans, c’est son année. On dit ça de Thibaut depuis 2014 (son premier podium sur le Tour de France). Raymond Poulidor aussi, c’était toujours son année… Et il n’a jamais été maillot jaune !
Thibaut est dans quel état d’esprit ?
Mentalement, ça va. Il a la pression car il est le seul Français qui joue le général. Il est très attendu.
Fera-t-il des alliances avec les autres leaders français ?
J’espère ! On l’a vu sur le Dauphiné : pour moi, si Julian (Alaphilippe) ne prenait pas le relais, Thibaut serait sorti du podium. Je pense que Thibaut lui rendra la pareille s’il a besoin sur le Tour. Avec Bardet, c’est un peu moins… Je ne vais pas vous faire un croquis, hein ?
Thibaut est-il inquiet à l’idée d’être contaminé par le coronavirus ?
Vous savez comment sont les sportifs : le moindre grain de sable peut mettre la machine en arrêt. Il fait très attention. Quand avec ma femme, on a eu le coronavirus cet hiver, il nous donnait le pain et le journal par la fenêtre… On ne sait jamais.
Cette année, le Tour est plus tard, il peut y avoir des pluies très froides… Vous avez vite fait de choper une grippe !
Thibaut Pinot a la réputation d’être un coureur fragile…
Il est peut-être un peu plus fragile que certains. Mais quand on l’a récupéré en haut du Ventoux, en 2013, alors qu’il avait 40 degrés de fièvre, c’était une épave. Je me demande encore comment il n’est pas mort ce jour-là. L’an dernier, il a eu une blessure de footballeur (une lésion à la cuisse). On ne sait toujours pas ce que c’était. C’est pour ça que je répète toujours aux supporteurs qu’il faut vivre au jour le jour.
Vous êtes pessimiste pour cette année ?
L’an dernier, quand il est rentré après son abandon dans les Alpes, il en a souffert pendant des mois et nous aussi. Pour ma femme et moi, le Tour de France, ce n’est pas que du plaisir. C’est même quelque chose de pénible pour nous. On se retrouve à réserver un hébergement, à faire la route… Et on voit l’étape alors qu’il a abandonné… C’est difficile.
Ce sera peut-être différent cette année…
J’espère. Je ne parle même pas d’une victoire mais juste qu’il puisse s’exprimer, qu’il finisse le Tour sur sa vraie valeur. Si un autre est plus fort, ce n’est pas grave ! Mais cette année, tout va être très compliqué… Le Tour peut s’arrêter s’il y a trop de contaminations, les équipes peuvent se faire exclure rapidement (à partir de deux coureurs positifs en sept jours). Il ne faut rien anticiper.
Donc vous allez attendre le contre-la-montre décisif du 19 septembre, chez vous, à Mélisey, pour voir votre fils sur le Tour ?
Je ne sais pas. (Il hésite). On ne planifie rien, parce que sinon, on est trop déçus. Mais s’il prend le maillot jaune, on montera dans la voiture à 3 heures du mat’pour y être le lendemain !