PSG-Bayern : Avec Alphonso Davies, les recruteurs français vont-ils (enfin) s’intéresser au marché nord-américain ?
FOOTBALL•La pépite du Bayern est arrivée de MLS, où de plus en plus de talents s’expatrient, mais pas en FranceB.V.
Il est allé beaucoup trop vite contre le Barça et Lyon qu’il faut bien avouer qu’on sue à grosses gouttes à l’idée d’imaginer Thilo Kehrer défendre sur lui dimanche soir. Lui, c’est Alphonso Davies, révélation de la saison européenne avec le Bayern, sorte de sprinteur reconverti latéral, à qui on aurait en plus filé un sens du jeu et un pied gauche aussi précis que puissant. Et une drôle de nationalité. Le type est canadien ! Ca-na-dien ! Oh, on n’a rien contre nos vieux cousins du froid, on n’a juste pas vraiment l’habitude de les voir bons au foot (allez-y, citez-moi de mémoire un joueur canadien. J’attends…).
aCe pourrait être un coup d’un soir, c’est arrivé avec d’autres joueurs d’autres pays pas très ballon (Yorke le Trinidadien, Weah le Libérien, Litmanen le Finlandais). Ou le signe que les choses changent pour le foot nord-américain. Formé au Vancouver Whitecaps, Davies a explosé en MLS entre ses 16 et 18 ans avant de rejoindre l’Europe et le Bayern à sa majorité. Le phénomène n’est pas nouveau (Donovan, Bradley, Beasley) mais il a un peu muté. Désormais, on va chercher des talents bruts en Amérique du Nord.
« Le foot a pris une nouvelle dimension aux Etats-Unis depuis la Coupe du monde 2014, présente Clément Simonin, directeur technique de l’agence Elite Athletes, qui représente de nombreux joueurs de MLS. Et cette expansion passe moins par un modèle où on ramène d’anciennes gloires mais où on met l’accent sur la formation, grâce à des partenariats pour faire venir des techniciens européens, notamment avec la FFF. Aujourd’hui, les Nord-Américains commencent à récolter les fruits de leur travail et on voit de plus en plus de talents sortir des clubs de MLS. »
Direction Bundesliga
La formation universitaire « à l’américaine » ne fonctionnant pas particulièrement dans le foot, où l’on arrive à maturité plus tôt, les clubs de MLS ont mis en place leurs propres centres de formations, que de plus en plus de gamins dotés de qualités athlétiques énormes préfèrent à une tentative de carrière dans le foot us, trop violent. Ajoutez à cela une « éthique de travail qui leur permet de s’adapter aux exigences européennes, et une utilisation minutieuse de la data et des statistiques », explique Laurent Mommeja – créateur du compte espoirs du foot, qui avait repéré Davies en 2016 lors de son premier match en pro avec Vancouver – et vous obtenez de vrais beaux « prospects ». Parmi eux, Jahkeele Marhsall Rutty (16 ans, Toronto), Emmanuel Ochoa (15 ans, San José) ou Joe Scally (17 ans, New-York) sont déjà très surveillés.
Tous les jeunes nord-américains ne sont pas des Davies en puissance, certes, car le niveau de la MLS est encore trop hétérogène pour être sûr du devenir d’un joueur. Mais suffisamment pour que l’intégralité du foot européen commence à travailler correctement le « scouting » (la recherche de possibles recrues) local. Aujourd’hui, seule l’Allemagne le fait. Davies ou Pulisic pour les plus connus, mais aussi Adams (Leipzig), Reyna, McKennie (Schalke), Sargent (Brême), Llanez (Wolfsburg) sont issus de cette filière. Et quand on navigue à travers les équipes nationales américaines chez les jeunes, ils sont près d’une quinzaine entre 16 et 20 ans à déjà appartenir à un club allemand. Joe Scally, par exemple, s’est engagé avant ses 17 ans avec Mönchengladbach.
Dans un article très détaillé, France Foot expliquait longuement le lien entre foot nord-américain et Allemagne. En quelques idées, on pourrait expliquer ainsi l’avance de la Bundesliga sur le marché US :
- un lien ouvert par quelques pionniers (Donovan, Beasley, Bradley) et renforcé par la présence à la tête de l’équipe nationale américaine de Jürgen Klinsmann pendant des années
- un lien géopolitique fort et des facilités administratives
- une Bundesliga qui correspond à la fois aux qualités des joueurs US et leur permet d’être lancés jeunes
Le résultat, c’est que tout club de Bundesliga qui se respecte a désormais une partie de sa cellule de scouting focalisée sur l’Amérique du Nord. Ce qui n’est pas du tout, mais alors pas du tout le cas en France. « La France ne connaît pas l’Amérique du Nord, lance Laurent Mommeja. C’est un niveau dur à appréhender et un joueur qui peut avoir de bonnes performances dans un championnat US, on sait jamais trop comment il va s’imposer en France. »
Agent de joueur, Wassim Gharmoul essaie depuis plusieurs années de tisser le lien entre clubs français et Amérique du Nord, particulièrement le Canada. Sans réelle réussite, il avoue avoir un peu abandonné l’idée pour tenter de les placer ailleurs en Europe.
« « C’est très très difficile de convaincre les clubs français, explique-t-il. Ils ont une grande méconnaissance du marché, ce qui est dommage car il y a ne serait-ce qu’une proximité de langue avec Québec. Ils ont une méthodologie qui marche, la proximité avec l’Afrique, et préfèrent en rester là. Mais si on regarde dans le passé on peut comprendre la réticence : il n’y a pas de références. On en a besoin pour voir du talent ». »
En Ligue 1, il y en a désormais une. Jonathan David, Canadien de 20 ans, vient de signer un énorme transfert à Lille et est annoncé comme l’une des révélations de la saison. Preuve que la France se met tant bien que mal sur ce marché ? Pas vraiment. Le parcours de David prouve plutôt l’inverse. Formé dans des clubs mineurs du Canada, David a tenté sa chance en Europe, lorsque son agent lui a dégoté quelques essais dans des clubs européens. C’est finalement La Gantoise qui tente le coup, avant qu’il n’explose en Belgique et attire l’œil des dirigeants du Losc.
A notre connaissance, aucun club français n’est installé en Amérique du Nord ou a dédié un scout spécifique pour cette région. Là ou le Bayern a des bureaux à New York, par exemple, et développe son français. « Il y a du boulot qui est fait, je suis allé voir plusieurs matchs de MLS avec certains dirigeants français, nuance Clément Simonin. Après, c’est une question de façon de travailler des clubs, de leur volonté de vouloir faire les deals et de croire en ce marché-là ».
Dans les liens entre foot français et Amérique du Nord – qui fonctionne plutôt dans l’autre sens, départs de Ligue 1 vers MLS – tout passe aujourd’hui par les agents. Malgré la présence, par exemple, d’investisseurs US à l’OM ou à Bordeaux.
« Relativement peu de monde a une bonne maîtrise du marché de la MLS, explique Simonin. C’est un marché un peu spécial et les clubs font confiance à notre structure parce que Jérôme Meary, mon associé, a été à la tête du “players departement” de la MLS. On a une connaissance de l’intérieur de marché de la MLS et des clubs. Ça permet de créer des vraies relations de confiance. »
Un article du Parisien expliquait d’ailleurs comment le PSG, un temps intéressé par le cas Davies, s’était royalement planté dans sa façon de procéder. Son directeur sportif de l’époque, Antero Henrique, le même qui aurait fait foirer le transfert de Jérôme Boateng pour une sieste trop longue, aurait directement contacté le joueur plutôt que le club. Faux pas éliminatoire dans un monde aux codes différents.
Un changement de mentalité ?
« Oui, c’est très complexe en Amérique du Nord, confirme Wassim Gharmoul. Il faut savoir développer la relation, connaître les règles. Par exemple, la clause libératoire est interdite. Et les clubs américains ne vont pas faciliter les transferts. Tout ça est nouveau pour eux, mais ils ont bien compris qu’en faisant jouer et signer des joueurs de plus en plus jeunes, ils pouvaient gagner de l’argent. »
Le transfert de Davies, par exemple, a rapporté autour de 15 millions d’euros à Vancouver. Celui d’Almiron d’Atlanta à Newcastle, près de 24. Les talents de MLS ne sont pas bradés et c’est possiblement une autre explication à la froideur du foot français. Cet été, pas un seul club français ne s’est intéressé à un joueur nord-américain. Seule une rumeur pré-Covid faisait état d’un intérêt du Nice de Patrick Vieira (ancien coach du New-York City FC) pour un joueur de Los Angeles.
Pour le foot français, ce sont encore « des paris risqués à tenter », résume Simonin. Mais le jeu devient intéressant quand un Davies a déjà multiplié par cinq sa valeur marchande en 18 mois au Bayern. « Cette réussite va faire changer les mentalités, pense Laurent Mommeja. Comme Haaland avec la Norvège. Je ne sais pas si c’est de la fainéantise, mais disons que le foot français n’est pas précurseur, il n’a pas le côté panache de “on va tenter le coup et on verra bien”. Maintenant qu’il a été tenté par d’autre, on va voir si les yeux sont un peu plus ouverts. David, si l’avait repéré il y a deux ans, ils l’auraient payé 100.000 euros. Maintenant, c’est 30 millions… »
Sans évoquer un nouvel eldorado, l’Amérique du Nord est désormais un « marché à surveiller dont l’avenir est très excitant », poursuit Simonin. Wassim Gharmoul, lui, estime qu’il y aura un avant et un après ces transferts de Davies et David sur la notoriété du foot us. Et veut profiter de l’occasion pour attirer l’attention sur la CPL, le championnat canadien professionnel créé il y a à peine trois ans. Il y voit des joueurs « largement niveau Ligue 1 » très accessibles pour les budgets français. Ça mérite au moins qu’on y jette un œil.