INTERVIEW« Les violences doivent vraiment devenir l’affaire de tout le monde »

Violences dans le sport : « Que cela devienne vraiment l’affaire de tout le monde », plaide Fabienne Bourdais

INTERVIEWFabienne Bourdais, déléguée ministérielle en charge des violences dans le sport, explique à « 20 Minutes » les actions menées depuis sa nomination, en février dernier
Nicolas Camus

Propos recueillis par Nicolas Camus

L'essentiel

  • La ministre des Sports Roxana Maracineanu organise ce mercredi un point d’étape sur le plan d’action annoncé en février pour lutter contre les violences sexuelles dans le monde du sport.
  • Nommée déléguée ministérielle en charge de ces questions, Fabienne Bourdais pilote les travaux et la mise en place de toutes les mesures.
  • Elle détaille pour « 20 Minutes » tout ce qui a déjà été mis en place ces derniers mois et se projette sur les prochaines mesures.

Fabienne Bourdais est la femme de confiance de Roxana Maracineanu sur le délicat sujet des violences sexuelles dans le monde du sport. Nommée déléguée ministérielle lors de la convention nationale sur la prévention de ces violences, le 22 février dernier, cette inspectrice générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR) a pour mission d’assurer le pilotage et la mise en place de toutes les mesures qui doivent permettre de s’attaquer à cette problématique érigée au rang de priorité après les révélations de la patineuse Sarah Abitbol, suivies par beaucoup d’autres. « Notre système a fauté depuis trop longtemps, à tous les étages. N’attendons pas, agissons maintenant, avec une mobilisation totale, sans concession », avait dit la ministre des Sports lors de la convention. Alors que cette dernière doit donner une conférence de presse ce mercredi pour faire un point d’étape sur le plan d’action, Fabienne Bourdais explique à 20 Minutes quelles ont été ses actions depuis sa prise de fonction.

Quelles ont été vos priorités depuis votre nomination ?

Trois missions m’ont été confiées par la ministre. Il y a la sécurisation du traitement des signalements des violences sexuelles, qui arrivent à la cellule instaurée à la direction des Sports ; la mise en place du contrôle d’honorabilité des bénévoles dans les associations ; et la construction d’un plan national de prévention des violences, avec l’ensemble des acteurs. C’est la première mission sur laquelle on m’a demandé de me concentrer en priorité.

En quoi consiste cette sécurisation ?

Pour ces signalements potentiellement constitutifs de délits ou de crimes, il peut y avoir de procédures judiciaires, mais aussi des procédures qui relèvent des services de l’État, qu’on appelle les mesures de police administrative. Dans le monde sportif, il existe un troisième type de procédures, appelées procédures disciplinaires, pour des faits intervenus dans le cadre d’une Fédération ou qui mettent en cause une personne licenciée d’une Fédération. C’est elle qui en a la responsabilité. On a bien vu, lors d’affaires récentes, que leurs mises en œuvre étaient une question délicate.

En clair, le but est d’éviter que des affaires soient mises sous le tapis ?

Oui, le premier objectif est de s’assurer que toute personne qui a une information justifiant une enquête la fasse remonter. C’est un vrai enjeu. Le but est aussi d’éviter qu’une Fédération n’ait pas eu la possibilité d’intervenir car elle n’avait pas les informations. Cela peut arriver. Si l’on prend une mesure administrative d’interdiction d’exercer et que la Fédération concernée ne le sait pas, on ne peut pas lui demander de prendre des mesures. Ce n’est pas toujours simple. Toutes ces procédures nécessitent de multiples vérifications, pour protéger la victime et la personne mise en cause.

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En quoi le contrôle d’honorabilité pour les bénévoles est-il également un enjeu important ?

Dans le code du sport, une personne, bénévole ou professionnelle, qui a des fonctions d’encadrement ou d’organisation d’activités, est soumise à un contrôle d’honorabilité. Les professionnels ont l’obligation de se déclarer et de se voir délivrer une carte professionnelle, valable cinq ans, avec un contrôle automatique du B2 [dans le casier judiciaire] et du FIJAIS [Fichier des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes] tous les ans. S’il y a eu une condamnation entre-temps, on le sait et on peut agir. On travaille aujourd’hui sur la question des bénévoles car le contrôle systématique et automatique n’existe pas. Je suis président d’un club, j’ai un éducateur sportif ou un dirigeant sur lequel j’ai un doute, je peux demander à la direction départementale de vérifier cette honorabilité. Mais c’est au coup par coup. Nous allons mettre en place un système où l’on va croiser le fichier des bénévoles licenciés dans les Fédérations et qui exercent des fonctions d’encadrement avec le FIJAIS. La seule différence avec les professionnels est que ce sont les Fédérations, et non les personnes elles-mêmes, qui vont le faire.

Quel bilan faites-vous de l’expérience sur ce contrôle d’honorabilité menée dans la Ligue Centre-Val de Loire de football ?

Elle n’est pas tout à fait terminée en raison du confinement. Mais on s’est d’ores et déjà appuyé dessus pour réfléchir à la généralisation du système. C’est un dispositif de croisement de fichiers, avec une consultation du B2. Pour la généralisation, on va privilégier la consultation du FIJAIS, car il contient les condamnations les plus graves. Cette expérimentation a été très éclairante, notamment sur la question de la compatibilité des fichiers. Il y a beaucoup de questions techniques à régler, car c’est un système assez lourd à mettre en place. Ce contrôle d’honorabilité va concerner environ deux millions de personnes à la rentrée, les outils doivent suivre.

Il sera mis en place dans toutes les Ligues de la FFF, c’est ça ?

Tout à fait, on est parti sur une phase test à la rentrée, de septembre à décembre. Nous visons une généralisation à l’ensemble des Fédérations à partir du 1er janvier 2021.

Pouvoir s’appuyer sur la FFF, qui est la Fédération la plus puissante de France, a constitué un gros plus pour vous ?

Bien sûr. Déjà, question volume, si les choses fonctionnent avec cette Fédération, on sait qu’elles fonctionneront pour les autres. Et puis c’est important qu’une telle Fédération se mobilise à nos côtés sur un sujet comme celui-là. C’est un très bon exemple.

Dans l’ensemble, les Fédérations vous semblent-elles prêtes à ce grand changement, à collaborer à fond ?

Oui. Et elles y ont un intérêt. Que l’administration leur propose un outil permettant de repérer s’il y a parmi leurs licenciés des prédateurs sexuels, ça ne peut que leur servir. Il y aura forcément un délai de mise en route, en raison des aspects techniques déjà évoqués. En tout cas, les Fédérations sont partantes et mobilisées.

Avez-vous le sentiment, de là où vous êtes, que la parole s’est vraiment libérée depuis les révélations de Sarah Abitbol ?

Oui, absolument. C’est compliqué à mesurer, et ce n’est sans doute qu’un début, mais je peux clairement répondre de manière affirmative. La ministre des Sports donnera sûrement quelques détails sur le nombre de signalements lors de sa conférence de presse [ce mercredi].

Avez-vous hésité avant d’accepter ce rôle, central dans l’objectif de la ministre des Sports de prendre en main ce sujet grave ?

C’est une grande confiance qui m’a été donnée par la ministre. Non, je n’ai pas beaucoup hésité. Ce sont des sujets sur lesquels je travaille depuis de nombreuses années. Je sais quelle est la marge de progression sur laquelle nous devons travailler. Ce qui m’intéresse aussi dans ce poste, c’est pouvoir mettre de manière très pratique l’engagement de la ministre et travailler de manière concertée avec l’ensemble des acteurs pour que cela devienne vraiment l’affaire de tout le monde. Ça, c’est un vrai challenge. Et je crois que les choses sont en train de changer, de manière très déterminante.

Vous le sentez dans les rapports que vous pouvez avoir avec les dirigeants des Fédérations ?

Absolument. On est en train de construire des choses, que ce soit en matière de prévention ou d’action. Et là où les choses n’avanceront pas comme elles doivent, nous n’hésiterons pas à remettre en cause les prérogatives des uns et des autres. On parle de protection du public, des mineurs, on est clairement dans des missions régaliennes de l’État. C’est impossible de transiger avec ça. Je retiens l’engagement de la ministre sur le sujet, que l’on a déjà vu en œuvre et que l’on est en train de mettre en place de manière durable. C’est compliqué car c’est un sujet extrêmement sensible. Il y a des drames humains derrière tout ça. Les choses ne vont pas forcément aussi vite que certains aimeraient, mais on a besoin de poser un cadre de travail, une organisation. On doit un respect absolu aux victimes, mais aussi aux personnes mises en cause. Garantir la neutralité de l’État dans la manière de traiter les affaires est fondamental.