Coronavirus : Les joueurs de Ligue 1 vont-ils participer à l’effort de guerre en baissant leurs salaires ?
FOOTBALL•Le syndicat des footballeurs négocie actuellement les bases d’un accord pour permettre aux clubs professionnels de réaliser des économies d’ampleur sur leur masse salarialeJulien Laloye avec Clément Carpentier
Les joueurs du Barça qui acceptent de raboter leur fiche de paye de 70 %, le temps que durera l’état d’urgence en Espagne. Ceux de la Juve qui renoncent à un mois et demi de salaire pour faire souffler les finances du champions d’Italie. Tout le groupe pro de Leeds qui se met d’accord pour geler ses revenus afin que le petit personnel (272 personnes quand même) puisse continuer à vider les rayons de Barilla des supermarchés du coin. Et la France dans tout ça, pendant que la moitié des clubs menace de terminer la saison en faillite ? Rien de rien, c’est payé, balayé, oublié.
Enfin presque. 16 % de salaire en moins quand même, puisque les clubs de L1 ont très majoritairement profité du dispositif de chômage partiel proposé par l’État au tout-venant. Mais 16 % en attendant plus, beaucoup plus, et surtout tous ensemble, pour ce qui constituerait un premier accord d’envergure dans les grands championnats européens.
« Ça peut très mal se terminer pour certains clubs »
Un groupe du travail planche sur ce traité de Yalta depuis une semaine afin d’obtenir un consensus large et éviter que chacun ne fasse sa cuisine à droite à gauche. Philippe Piat, le président de l’UNFP, le syndicat des footeux, a fait monter la témpérature sur RMC. « Au moment où je vous parle, je ne peux pas vous donner des informations trop précises parce que nous sommes en discussion avancée avec les clubs. On va avoir une réunion la semaine prochaine pour valider un accord que l’UNFP a négocié avec les représentants et qui permettra de montrer que les joueurs auront une action très importante au niveau des salaires ». Olivier Quint, membre du comité directeur, confirme à 20 minutes que ça cogite sévère depuis quelques jours
« « La réflexion sur une baisse de salaire généralisé n’est pas nouvelle à l’UNFP. On y réfléchit depuis le début de la crise sanitaire. C’est une réflexion commune des clubs mais aussi des joueurs qui ont conscience de la situation. Les joueurs vont faire cet effort. Il faut en passer par là. On n’a pas le choix ! On est à un tournant car ça peut très mal se terminer pour certains clubs ». »
Tous n’en sont pas réduits à faire la manche, mettons-nous bien d’accord. Mais la radinerie des deux diffusuers, Canal et BeIN qui ont égaré le RIB au moment de payer leurs échéances du mois d’avril, a encore accentué la pression d’un cran. « S’ils ne payent pas non plus en juin, c’est presque 300 millions en moins pour nous permettre d’écoper, s’inquiète un dirigeant. Comment on fait sans cet argent » ? « Les droits TV, c’est la moitié du budget de Dijon, détaille Olivier Delcourt, le patron du DFCO. Si on ne touche pas l’argent des diffuseurs et qu’on ne termine pas la saison, ça va être très compliqué ». Une délégation a d’ailleurs été chargée par le reste de la famille de tenter une négo à l’amiable avec Canal et BeIN, dont le big boss du PSG… Et de BeIN Nasser Al-Khelaïfi, ce qui ne manque pas de sel, ni de poivre.
Le coup de pression des diffuseurs
D’autres ont même imaginé aller directement quémander aux banques un chèque à six chiffres en échange de la garantie des fameux droits TV. Mais les postes de dépenses étant ceux qu’ils sont, pas la peine de se jouer de la mandoline : les joueurs vont devoir s’asseoir sur une partie de la rémunération pour participer à l’effort collectif. « Le chômage partiel, c’est déjà bien. A Dijon, on a une centaine de salariés, on économise 30 % sur tout le monde. Mais on évolue dans une économie à part. Des aides jusqu’à 4,5 fois le SMIC avec des joueurs pros, bon on voit vite que les joueurs gagnent souvent bien plus. On peut faire face un mois, deux mois, peut-être trois parce que tout le monde est solidaire et que nos partenaires jouent le jeu. Mais après ? »
Deux ou trois mois de trésorerie d’avance ressembleraient presque à un luxe. Pour les clubs qui ont choisi de changer de braquet pile la mauvaise année, il risque de manquer des parachutes dans la carlingue. Prenez Saint-Etienne : plus gros budget de l’histoire sur le papier, 109 millions d’euros, une masse salariale qui grimpe plus vite que la courbe de chômage des US, une 17e place à date et des recettes évaporées. « L’ASSE est comme tous les autres clubs français face à une situation inédite et inconnue. Le club n’est pas mort, il ne faut pas délirer, mais la situation est préoccupante, reconnaît Xavier Thuilot, le directeur général du club, dans un entretien au Progrès. Si la situation devait perdurer, il est évident que la contribution de l’effectif professionnel et de l’encadrement serait essentielle. Des discussions sont menées au niveau national. Ce n’est pas le moment d’agiter des polémiques ».
Un salaire moyen autour de 100.000 euros
Nous y voilà. La baisse des salaires des joueurs pros, qui peuvent parfois gréver la moitié du chiffre d’affaires de la société. Les pistes de travail ? Un dossier mieux gardé que la recette du vaccin pour venir à bout de cette cochonnerie de Covid-19. « C’est sensible comme dossier. Ce que je peux dire c’est qu’il y a des discussions mais que rien n’est décidé, souffle un dirigeant de haut de tableau. Nous attendons les informations du groupe de travail de la Ligue. Pour le moment, on n’a pas de retour. Les joueurs sont en contact permanent avec le syndicat. Certains ont-ils proposé individuellement de baisser leur salaire ? Ils sont ouverts sur la question mais ils attendent la décision des instances ».
Puisqu’on en parle, on ne va pas vous faire croire qu’on a pu se faire une idée globale. Beaucoup de textos envoyés comme une bouteille à la mer probablement en train de naviguer au large de la Guadeloupe. Mais avec un salaire moyen à 100 000 euros, certes biaisé par le PSG, les joueurs de L1 auront de quoi finir le mois même en lâchant un peu du lest. Et ils ont souvent dans leur entourage des proches en première ligne face à la maladie, dans les hôpitaux ou les métiers essentiels.
« « Au vu de la situation, on est tout à fait partants pour faire un geste, assure Fouad Chafik, le défenseur du club dijonnais. Il faut que tout le monde soit d’accord, mais c’est le moment de montrer de la solidarité, pour notre club, et même pour notre pays. On a en a parlé un peu entre joueurs, on est tous sur la même longueur d’onde. C’est légitime qu’on soit concernés aussi par l’effort collectif ». »
Certains, à Dijon comme à Montpellier, ont déjà proposé de compléter de leurs poches les revenus des petites mains du club. Une attitude constructive qui n’étonne pas Olivier Quint : « Il y a toujours des réticents qui ne pensant qu’à eux mais dans la très grande majorité aujourd’hui les joueurs sont prêts à baisser leur salaire ». Fort bien. Mais puisqu’il va bien falloir mettre des chiffres sur la table, dans quelles proportions ? « Je pense que la baisse sera assez conséquente, imagine l’ancien nantais. 70 % comme au Barça ? Ça me paraît énorme là comme ça. Ce sera une première dans le football français, mais on est face à une situation inédite ».
« A Dijon, on est tous partants pour faire un geste »
Un ordre de grandeur qui semble effrayer un peu Olivier Delcourt. « Ça devrait être proportionnel en fonction des salaires. A Dijon, le plus petit salaire dans le vestiaire doit être autour de 5000 euros, le plus important autour de 100 000. Les deux ne peuvent pas être mis dans le même panier. Les joueurs gagnent beaucoup par rapport au reste de la société, mais ils ont un niveau de vie en conséquence. Certains ont fait des investissements, des placements, ils ont des engagements à tenir ». Chafik, qui attend un retour de ses deux « délégués » syndicaux auprès de l’UNFP, n’a pas de chiffre arrêté en tête. « Comme ça, je dirais que je pourrais laisser 15 % de plus. Si je touche 70 % de mon salaire, c’est faisable ».
Les discussions, encore ouvertes, privilégieraient un report ponctuel d’une partie des salaires des joueurs en fonction de leur niveau de revenu, à partir de 10.000 euros. Une base de négociations assez solide pour aboutir à un accord en début de semaine prochaine ? C’est l’idée, et cela permettrait au foot français d’être précurseur en quelque chose, ce qui ne lui arrive pas si souvent. Une perspective d’autant plus savoureuse que le championnat le plus riche du monde -l’Angleterre- se fait publiquement taper sur les doigts par la puissance publique parce qu’il fait le mort au moment de participer à la mobilisation générale.
« Tout le monde doit jouer son rôle et cela veut dire que les joueurs de Premier League aussi, a déclaré le ministre de la Santé Matt Hancock lors d’une conférence de presse jeudi soir. La première chose qu’ils peuvent faire pour contribuer est d’accepter une baisse de salaire ». Il ne s’agirait pas de nous énerver Olivier Véran si près du but.