REPORTAGELos Angeles dévastée et orpheline après la mort de Kobe Bryant

« Kobe, tu es L.A. », la Cité des anges orpheline après la mort de Kobe Bryant

REPORTAGEStar parmi les stars, le joueur décédé dimanche dans un accident d’hélicoptère a passé toute sa carrière – 20 saisons – chez les Lakers
Philippe Berry

Philippe Berry

L'essentiel

  • L’ex-basketteur Kobe Bryant et sa fille Gigi sont morts dimanche, à Los Angeles, dans un accident d’hélicoptère ayant fait neuf victimes.
  • Trois jours après le drame, la Cité des anges continue de pleurer le « Black Mamba », gamin de Philadephie devenu l’icône de L.A.
  • Fleurs, photos, peluches, ballons de basket, chaussures, messages… Devant les fresques à sa gloire disséminées dans la ville ou aux abords du Staples Center, fans et habitants célèbrent dans la douleur la mémoire de KB24.

De notre correspondant à Los Angeles,

C’est une histoire d’amour et de fidélité. Celle d’un gamin qui a signé son premier contrat pro à 17 ans, en présence de ses parents, et d’une ville à qui il a tout donné – cinq titres, son sang et son tendon d’Achille – pendant vingt saisons avec les Lakers. Trois jours après la mort brutale de Kobe Bryant et de sa fille Gigi dans un accident d’hélicoptère qui a fait neuf victimes, dimanche, Los Angeles continue de pleurer son « Black Mamba » dans un deuil collectif qui rappelle par son ampleur celui qui avait suivi la mort de Michael Jackson, il y a onze ans.

Un peu partout dans la ville, des murals (fresques) de Kobe Bryant se transforment en lieux de pèlerinage où Angelinos et touristes s’arrêtent pour se recueillir. Sur Melrose Ave, à deux pas du lycée Fairfax High, où les Red Hot Chili Peppers ont démarré, le basketteur est immortalisé dans les airs par 413 triangles – pour le dernier match de sa carrière, le 13 avril (4/13) 2016, quand il avait fait ses adieux en marquant 60 points face à Utah. « Kobe, you are L.A. » (Kobe, tu es L.A.), écrit au présent un fan sur un post-it. Jonnyesha, qui travaille à la boutique Shoe Palace, peine à trouver un espace encore libre sur un mur couvert par 1.000 messages.

« J’ai grandi avec Kobe et Shaq, j’avais presque l’impression qu’ils faisaient partie de ma famille », confie-t-elle. Michelle, elle, a connu le basketteur. « Je me suis occupé des fleurs à son mariage avec Vanessa. Il avait 19 ans et elle 17. Il ne tenait pas sous l’arche, on avait dû en fabriquer une de plus de deux mètres de haut », se souvient-elle. Son sourire disparaît vite quand elle évoque la mort de Gigi. « Kobe et Vanessa ont eu des hauts et des bas, mais la famille, c’était tout pour eux. C’est une immense tragédie. »

« Kobe m’a appris à ne jamais abandonner »

Autre quartier, autre ambiance. En plein Central L.A., où les Crips, l’un des principaux gangs de la ville, sévissait encore il y a une dizaine d’années, la street artist MuckRock a immortalisé le basketteur et sa fille en quelques heures, dimanche. « J’étais très émue, surtout en réalisant la bannière ''Kobe & Gigi, Forever Daddy’s girl'' (la fille à son papa pour toujours) », a-t-elle expliqué à la chaîne CBS.

Un blouson des Lakers et de leurs 16 finales sur le dos, Paul était venu spécialement de Hawaï pour assister au match entre les Lakers et les Clippers, qui devait se dérouler ce mardi mais a été repoussé par la NBA. Il explique : « Kobe, c’était mon mentor. Il m’a appris à ne jamais abandonner, à toujours me relever. » Comme lorsqu’après avoir enchaîné quatre airballs synonymes d’élimination face à Utah, en 1996, à 18 ans, le jeune joueur est rentré à Los Angeles à 3 h du matin et a passé la nuit – et tout l’été – à améliorer son shoot. Le journaliste Roland Lazenby, auteur d’une biographie de Michael Jordan et de Kobe Bryant, résume : « Personne n’a travaillé plus dur que lui à l’entraînement. Son moteur, c’était sa rage. C’était le compétiteur ultime. »

Cette « abnégation », c’est aussi ce que retient Darryl, 51 ans : « Je l’ai suivi de son premier match à son dernier. C’était un bourreau de travail, et à travers son exemple, j’ai pu inculquer cette valeur de l’effort à mon fils. » Quand il a entendu la nouvelle de la mort du basketteur, Darryl n’a pas voulu y croire, pensant à une erreur de TMZ. « J’ai appelé Ice Cube, que je connais bien. Il a envoyé un SMS à Kobe. Il n’a jamais eu de réponse. » Pour lui, l’importance du prodige du basket pour Los Angeles dépassait largement les parquets : « Il est arrivé en 1996. On sortait des émeutes après Rodney King et du procès d’OJ [Simpson]. Tous les gamins ont grandi avec Kobe et Shaq comme héros. » Darryl soupire : « Après le décès du [rappeur] Nipsey Hussle, Kobe. Ça fait beaucoup pour la communauté. »

Ceux qui n’ont pas pu être là se tournent vers les réseaux sociaux. C Terrence Anderson, directeur du centre pour l’urbanisme de l’université du Minnesota mais natif de Los Angeles, résume ce sentiment d’universalité : « Kobe et ses Lakers, c’était notre culture. Quand on jouait sur le terrain, le plancher ou la moquette en shootant une boule de papier dans la poubelle, on se prenait pour Kobe. A chaque fois. »

Emotion collective au Staples Center

En centre-ville, des passants prennent des selfies devant une célèbre peinture de Kobe Bryant agrippant avec fierté son maillot floqué du numéro 24. Personne ne souhaite évoquer le nuage qui planera à jamais au-dessus de la légende de Bryant, accusé de viol en 2003. L’accusatrice avait renoncé à témoigner après les attaques controversées des avocats du joueur, et les charges avaient été abandonnées – mais les poursuites au civil s’étaient soldées par un règlement à l’amiable accompagné d’un chèque de 2 millions de dollars, selon le Los Angeles Times.

C’est à deux pas de là que la foule s’est donné rendez-vous, devant le Staples Center. C’est ici que le natif de Philadelphie a écrit les plus belles pages de son histoire. Ici qu’il a marqué 81 points face à Toronto en 2006. Ici qu’il a remporté sa cinquième bague de champion NBA en 2010 après un thriller en sept matchs contre Boston.

Fleurs, photos, peluches, ballons de basket, chaussures… La place centrale du complexe L.A. Live s’est transformée en immense chapelle ardente à la mémoire du héros défunt et de sa fille. Des chants « Kobe, Kobe, Kobe » montent par intermittence. Assis par terre, un père pleure à chaudes larmes et serre sa femme et leurs trois enfants dans ses bras. Plus loin, une femme prie à genoux. Jesse, lui, a conduit quatre heures pour venir « célébrer » son idole.

La foule est à l’image de Los Angeles et du sport : cosmopolite et sans frontières. Des milliers de messages en anglais, en espagnol ou en chinois noircissent une douzaine de panneaux de cinq mètres par deux. Quand il n’y a plus de place, reste la craie pour écrire sur les pavés. Certains font court : « RIP Kobe », « Mamba Mentality forever ». D’autres rédigent des lettres et font part des épreuves que le champion les a aidés à surmonter.

Un homme dépose un bouquet de fleurs. Sur son tee-shirt imprimé, Kobe Bryant tire sa révérence dans le tunnel du Staples Center. On peut y lire : « Les héros vont et viennent mais les légendes sont éternelles. » Celle de Kobe Bryant, façonnée par les records et scellée dans la tragédie, semble bien partie pour transcender les générations.