Mort de Kobe Bryant : « Il se levait au milieu de la nuit pour aller faire des shoots »
INTERVIEW•Vincent Radureau, qui a traduit la biographie de la star, raconte comment le « Black Mamba » a défini son éthique de travail dans ce livre paru à l’automnePropos recueillis par Julien Laloye
The Mamba Mentality, How I play. Préfacé par l’immense Phil Jackson, avec les photos d’Andrew Bernstein, celui qui l’a suivi de son arrivée dans la Ligue jusqu’au dernier panier. Pour ceux qui l’ont ratée, il s’agit de la biographie écrite par Kobe Bryant himself sortie à l’automne en France. On confesse être passé à côté, une erreur qu’on va vite rattraper en dernier hommage à la star des Lakers, décédée dans un crash d’hélicoptère dimanche à Los Angeles. Heureusement, Vincent Radureau, spécialiste NBA à Canal +, était sur le coup pour la traduction. Il nous raconte ce qu’il a appris sur l’éthique de travail invraisemblable du « Black Mamba ».
Qu’est-ce qui définit le mieux la « Mamba Mentality », pour reprendre le titre de l’ouvrage ?
Avant de m’attaquer à la traduction, je me suis demandé pourquoi il avait choisi ce titre. Et puis j’ai compris. J’ai compris que tout était dans l’intensité du travail. Kobe, c’était cette détermination incroyable qui fait qu’il ne cessait jamais de travailler constamment. Pendant chaque préparation d’avant-saison, il se levait au milieu de la nuit pour aller à la salle d’entraînement, répétant 100 fois ou 200 fois le même shoot. Et une fois qu’il avait fini, vers 7 heures, il faisait une sieste d’une heure dans sa voiture. C’est Phil Jackson qui a raconté ça le premier. Il arrivait à la salle et voyait la voiture de Kobe seule dans le parking. Il faisait sa petite sieste avant l’entraînement collectif. Ce mec était un génie du basket, il réussissait des mouvements d’une élégance rare, mais ce n’était pas que le talent, c’était aussi une force de travail absolument dingue. Il y a très peu de gens qui peuvent avoir ce genre de capacité.
Est-ce que cette éthique de travail a toujours accompagné la carrière de Kobe Bryant ?
En fait, tout de suite il s’est défini comme un étudiant du jeu. Même quand il était gamin, il ne cessait jamais de s’interroger sur le jeu et de questionner les joueurs et les entraîneurs, jusqu’à en devenir saoulant. Il voulait toujours en savoir plus, à 15 ans il était déjà hyper perfectionniste et il raconte que lorsqu’il allait sur un playground il voulait réussi le move qu’il avait vu sur VHS un peu plus tôt. Il ne partait pas sans l’avoir réussi. Il n’avait quasiment que ça dans sa vie, à part sa femme et ses filles, et ça a continué. Le lendemain de la finale perdue à Detroit, en 2004, tous ses équipiers sont épuisés après une saison interminable. Et bien lui il file à « Paradise », la salle d’entraînement, pour bosser en se disant « Pas moyen que ce titre m’échappe l’an prochain ».
Sa confiance en lui s’associait parfois, notamment en début de carrière, avec une certaine arrogance. Bryant était-il aussi détestable que génial ?
Beaucoup de gens ont pensé que cette arrogance était sa part d’ombre et que c’était insupportable. Mais je suis intimement persuadé que ça fait partie du caractère de champion. Il faut avoir la conscience d’être un être suprême pour accomplir une telle carrière. Je l’ai constaté aussi avec Federer que j’ai pas mal côtoyé toutes ces années. Au début, c’était le mec le plus gentil du monde, puis un moment il a mis une distance avec les autres et c’est là qu’il est devenu Federer. Mais pour Kobe, il y a un basculement en 2008 avec les JO de Pékin. Il se transforme en grand frère parce que tout le monde le regarde comme la légende qu’il est en train de devenir. C’est parce qu’il est là que des gars comme LeBron ou Wade viennent, parce qu’ils ont grandi avec lui. Et puis il regagne avec les Lakers. Seul. Sans Shaq à ses côtés, face à « l’adversaire le plus dur qu’il ait dû affronter » (Boston), comme il le dit lui-même.
Beaucoup de stars de la NBA ont paru très touchées par sa disparition ? Avait-il mis tout le monde d’accord ?
Ce que dit Pau Gasol en particulier est très fort. Je ne pensais pas qu’il y avait un tel lien entre eux. Kobe pouvait être infect avec ses coéquipiers [Il n’adressait pas la parole à certains même après plusieurs années ensemble], mais il a changé avec l’âge. Dans le livre, il revient sur l’arrivée de l’Espagnol. A l’époque Gasol rejoint l’équipe à Washington le jour d’un match. Il est tout content de signer mais à peine arrivé dans le hall de l’hôtel, il reçoit un coup de fil de Kobe qui lui dit « Maintenant tu viens dans ma chambre ». Et la discussion est rapide : « Je vais t’expliquer un truc cette année on va être champions tous les deux ». Gasol a tout de suite compris qui était le bonhomme.
On ne peut évoquer Bryant sans parler de sa relation avec Jordan ? Que représentait MJ pour lui ?
Jordan, c'est le seul mec qu’il voyait en modèle, il l’a beaucoup harcelé pour avoir des conseils, et Jordan a vu qu’il y avait un sacré phénomène en face de lui. D’ailleurs c’est ce que MJ a dit dans son message dimanche soir : c’est un petit frère qu’il a perdu. Il y a eu longtemps ce débat débile pour savoir s’il était meilleur, si c’était le successeur, les deux avaient un talent unique. Il faut savoir qu’une partie de sa bio est construite sous la forme de duel. Duels contre Vince Carter, contre Tim Duncan, contre Allen Iverson, « un joueur aussi petit qu’extraordinaire ». Il estimait beaucoup Iverson. Sur Jordan, il décrit une photo des deux ensemble pendant un match où MJ s’appuie sur lui. Je crois que la légende de Kobe c’est quelque chose comme « Cette photo m’a beaucoup appris ». Il voulait expliquer par là que cette photo était l’exemple à ne pas suivre dans la façon d'aborder un duel sur le terrain. Jordan était sûrement son seul maître.
Est-ce que Kobe Bryant a un jour douté dans sa carrière ?
Deux fois peut-être. Sa première réaction après sa grave blessure au tendon d’Achille est emprunte de doute. Il se demande s’il va être capable de revenir. Et puis la mamba mentality a vite repris le dessus. Il a explosé tous les standards. Il est revenu bien plus vite que ce que tout le monde pensait, en à peine 6 mois quand ce genre de blessure réclame jusqu’à un an de soin. Bryant avait une résistance à la douleur impensable. Quand il se « pète » le tendon en 2013, il raconte sur le coup qu’il voit qu’il y a une boule derrière son pied et qu’il essaie de remettre le tendon à la main. Puis il va tirer (et marquer) ses lancer-francs. Une autre fois, il était retourné sur le terrain malgré une main fracturée. Et puis il y a son dernier match contre Utah. En arrivant à la salle, il se dit que c’est la dernière fois et il explique qu’il ne sait pas si ce sera historique ou s’il va passer à côté. Son début de match est affreux, et puis la suite... ben voilà, c’est Kobe.