JO 2020 : « Se qualifier pour les Jeux, c’est plus fort que tout », Laurent Tillie et la folle semaine du volley français
INTERVIEW•Le sélectionneur des Bleus raconte la pression infligée à ses joueurs pour retrouver le village olympique quatre ans après RioPropos recueillis par Julien Laloye
Trois jours après l’exploit berlinois, Laurent Tillie a encore des petits yeux, même s’il lui reste de l’énergie pour une dernière paire d’interviews avant un repos mérité dans sa maison de Cagnes-sur-Mer. Le sélectionneur des Bleus, en poste depuis 2012, a presque tout vécu avec l’équipe de France. Les médailles, les renversements de dingue en Ligue mondiale, puis le (bref) statut de nouvelle terreur du volley mondial. Mais le grand bonhomme du volley tricolore (quatre qualifs aux JO en tant que joueur puis sélectionneur) n’a pas besoin de se forcer beaucoup pour reconnaître que le billet arraché pour Tokyo lors d’un tournoi de qualification olympique d’une densité folle représente l’une des plus belles pages d’histoire du volley tricolore.
Vous êtes toujours sur votre nuage ou déjà concentrés sur la préparation olympique ?
Je vous rassure, je n’ai absolument rien en tête. Je vais regarder le calendrier et je commencerai un compte à rebours. Mais pour l’instant, on souffle. Je laisse les joueurs tranquilles, d’abord parce que je pense qu’ils ont en marre de moi, et que j’en ai marre d’eux. Ils ont besoin de respirer. Le prochain temps collectif, ce sera début mai, et d’ici là je ne me mêle de rien. Ce que j’ai dit à mon capitaine Ngapeth et à deux ou trois anciens, c’est que je viendrai vers eux pour qu’on co-construise un programme pour les JO, en fonction des besoins des joueurs et de nos obligations. Songez que mon capitaine Benjamin Toniutti a déjà rejoué avec son club en Pologne. On a fini le 10, et ils avaient un match de championnat le 12. Bon, il n'est pas rentré mais il était sur la feuille de match.
C’est ça le quotidien d’un international français ?
Vous ne pouvez pas imaginer la dose de stress qu’ils subissent. Quand je tanne les joueurs cadres depuis quatre ans pour leur dire qu’il faut s’entraîner, qu’il faut jouer toutes les compétitions et tous les matchs avec la même détermination alors qu’eux veulent juste du repos… L’entraînement, en volley, c’est beaucoup sous forme jouée, beaucoup de matchs amicaux, des sets d’entraînement joués à fond. C’est servir au maximum de vitesse, travailler les intervalles, travailler le relationnel entre le passeur et l’attaquant, entre le réceptionneur et le passeur, ils ne s’arrêtent jamais. Tout était dirigé vers cet objectif de Tokyo. Si vous aviez vu la tête des Serbes et des Slovènes qui n’iront pas aux Jeux alors qu’ils étaient en finale de l’Euro à Bercy [en battant la France, 4e, ndlr]. Participer aux JO, c’est plus fort que tout. C’est la récompense de toutes ces batailles pour rien, ou plutôt pour être prêts le jour J.
C’est pour ça qu’on vous a vu pleurer après la victoire contre l’Allemagne ?
Ce tournoi de préqualification, on y pensait depuis longtemps. C’était notre dernière chance de se qualifier. Et il y a eu tellement de petits pépins accumulés, entre les forfaits, les soucis personnels, qu’on s’est dit qu’on irait avec la force du désespoir. Et puis il a fallu entendre toutes ces critiques après l’Euro parce qu’on voulait la médaille et qu’on passe pour des cons parce qu’on ne l’a pas. C’est magique ce qu’on a réussi à faire, je n’ai jamais eu autant de retours. Entre Facebook, WhatsApp, les SMS, j’ai dû recevoir plus de 200 messages de félicitations. Cela n’a rien à voir avec ce qu’on a connu avant. Quand j’ai pris la sélection en 2012, j’ai programmé le premier entraînement de mon mandat le jour de l’ouverture des Jeux de Londres. On était qualifiés pour rien du tout, mais je voulais leur montrer le cap par ce symbole. C’est important, les symboles.
Que dites-vous à vos joueurs à deux sets à rien pour la Slovénie en demi-finale ?
Sur ce match-là, j’essaie juste de les rassurer, leur montrer que ça va être possible, ou au moins de leur faire croire. Ok, ils jouent bien mais si on veut s’accrocher, il faut juste essayer de faire le dos rond et se dire « On va essayer de tenir parce qu’ils ne peuvent pas tenir cette qualité de service. S’ils y arrivent, on se serre la main et on rentre. Par contre, s’ils baissent, faut être là ». Et c’est ça le courage, prendre des coups, encaisser. Les anciens ont tenu, et ça s’est combiné avec l’entrée des nouveaux comme Patry ou Brizard qui ont su donner un coup de boost. Ensuite l’équipe s’est autogérée.
aC’est-à-dire ?
Je fais souvent l’analogie avec le rafting. Quand ça bouge dans tous les sens, vous donnez juste un coup de rame par-ci par-là pour ne pas chavirer. C’est pareil. Quand on est dans un état de tension, de bras de fer, c’est par petites touches. Et quand l’équipe reprend le dessus, il ne faut surtout pas intervenir.
Vous ne leur parlez même plus ?
Non, presque pas. Je ne prends pas de temps morts, je demande très peu de choses, juste un petit ajustement par-ci par-là. Ils ont repris le bateau en main. On en revient à tous ces matchs, tous ces entraînements, toute cette expérience, pour arriver à cette autogestion sur les moments importants sans que je puisse polluer leur jeu.
C’est une forme d’accomplissement pour un technicien quand ça roule tout seul, non ?
Oui, cela représente une énorme réussite collective de voir que tous les messages subliminaux qu’on a pu envoyer pendant la préparation, pendant le tournoi, pendant toutes ces années, ont fonctionné. Brizard et Patry, par exemple, c’est l’avènement de la patience et de la formation. Ces deux jeunes, ils sont là depuis 2017. Ils ont fait des matchs, ils sont montés avec des niveaux de performance incroyable, puis ils sont descendus très bas, il fallait laisser le temps au temps et les tenir prêts pour la belle occasion. A Berlin, le groupe a été très fort dans le partage. Partage des compétences, partages des places, partage des responsabilités.
aL’équipe était passée au travers à Rio en 2016 alors qu’elle arrivait en pleine bourre. Vous avez tiré les leçons de ce raté ?
L’échec de Rio, c’est tout un ensemble de choses. Même s’ils étaient bien alertés et qu’ils ont été incroyables dans l’attitude, il y a une dimension physique des Jeux qu’il faut vivre pour se rendre compte. On s’est qualifiés très tardivement, au mois de juin au Japon, puis on est revenus en France, on est repartis une semaine après en Australie pour la Ligue mondiale, puis retour en Europe encore. Puis une semaine de repos et direction le Brésil. Ce temps de sacralisation qu’on n’a pas eu il y a quatre ans est très important. C’était un tournoi comme un autre dans nos têtes.
L’objectif, c’est quoi ? Une médaille ?
C’est très compliqué d’annoncer quoi que ce soit. On a toujours l’ambition de monter sur le podium mais sur 12 équipes, il y en a dix qui peuvent gagner ou presque. Il y aura la Russie, le Brésil, les USA, le Canada, la Pologne…Mais on a l’expérience de 2016. Quand on va aux JO une fois de temps en temps, comme nous, on n’a pas de tradition olympique. Là, les joueurs qui étaient à Rio, ils vont pouvoir encadrer les nouveaux et savent ce que c’est des Jeux. On va peut-être mieux se préparer. Parce que la première fois, on est tellement émus, choqués, perturbés, par toute l’aura qu’il y a autour, on perd un peu ses moyens.
Au-delà de votre équipe, ça représente quoi d’aller aux JO pour le volley français ?
Nous, on se bat à tous les niveaux. On se bat pour récupérer des jeunes qui préfèrent aller au rugby, au foot, au basket, ou au hand, plutôt qu’au volley. On a besoin d’exposition pour récupérer ces jeunes, pour trouver des partenaires, pour séduire des spectateurs, pour parler de nous. On est toujours dans cette recherche d’exposition sans se pervertir. Pour nous, les Jeux c’est une grande porte. Tout le monde s’intéresse à cette équipe et ça va durer jusqu’aux JO. Dans la perspective de Paris 2024, c’était très important de s’inscrire dans cette continuité de la vie olympique.