Athlétisme : « Ces Mondiaux n’ont pas été faits pour les athlètes », confie le médaillé Pascal Martinot-Lagarde
INTERVIEW•« 20 Minutes » a rencontré le médaillé de bronze du 110m haies après ce championnat du monde si particulier à DohaPropos recueillis par Nicolas Camus
L'essentiel
- Le hurdler Pascal Martinot-Lagarde, champion d’Europe l’année dernière, a décroché sa première médaille mondiale la semaine dernière à Doha.
- De retour en France, il raconte sa fierté d’y être enfin parvenu, après deux cruelles 4e place en 2015 et 2016.
- Nous l’avons également interrogé sur son ressenti concernant l’environnement dans lequel s’est disputée la compétition, entre chaleur, humidité et stade vide.
Dans une équipe de France en plein marasme, il a été, avec Quentin Bigot au marteau, le seul à tenir son rang. Champion d’Europe l’année dernière, Pascal Martinot-Lagarde a confirmé au niveau planétaire en arrachant la médaille de bronze sur 110m haies lors des Mondiaux de Doha, la semaine dernière.
De retour en France, il raconte sa fierté d’y être enfin parvenu, après ses deux 4e place aux Mondiaux 2015 et aux JO 2016 (il était blessé en 2017). Il livre aussi ses impressions sur cette compétition disputée dans des conditions « atypiques », comme il le dit.
Vous avez dit que cette médaille était au-dessus de tout. Pourquoi ?
Elles ont toutes leur histoire, mais celle-là était la plus dure à obtenir. L’année dernière j’ai été champion d’Europe, c’était grandiose mais dans ma discipline, les Européens ne sont pas forcément les meilleurs. Il fallait passer un cran au-dessus pour décrocher une médaille mondiale, c’est pour ça que c’est ma plus grande médaille et j’en suis très fier.
D’autant que vous restiez sur deux 4e place au niveau mondial…
Justement oui ! Ça avait été très très dur à digérer. J’étais arrivé à Doha en me disant que cette fois, il fallait ramener du métal à la maison. C’étaient deux blessures en attente de guérison, ce bronze a fermé la plaie.
Malgré des préparations parfois difficiles, vous répondez toujours présent au moment où il faut. Vous avez un secret pour ça ?
Ma première réaction après la course a été de me dire que ma saison n’avait aucun sens, aucune logique. La qualité primordiale en championnat, c’est d’être mort de faim. Je l’ai été, et je le suis toujours. En étant comme ça, on arrête de penser à tout ce qui pourrait nous servir d’excuses, une mauvaise préparation, des blessures, tout ça. Ça parasite la tête. Je suis arrivé sur la ligne de départ en me disant que le passé ne comptait pas. En championnat, on s’en fout d’hier. C’est la meilleure façon d’aborder les choses.
Certains n’y arrivent pas…
Il y en a même beaucoup. Mais c’est très personnel. On n’est pas tous égaux devant l’adrénaline. Le corps humain est façonné pour survivre. L’adrénaline, soit elle te fige pour te faire le plus petit possible, soit elle t’envoie de la force dans les jambes pour pouvoir t’enfuir.
Ça se travaille, la « bonne » adrénaline ?
Je pense oui, parce que c’est psychologique. En gros, est-ce que t’es un guerrier ou est-ce que tu te fais dessus. Pour ma part, j’ai très peu de championnats où je n’ai pas réalisé ma meilleure perf de l’année, ou l’une des meilleures, par exemple. Et ça me sert. Les JO à Tokyo, ce sera la plus grande compétition de ma carrière. Ce que j’ai réussi à ces Mondiaux sans préparation optimale, et bien l’année prochaine, quoi qu’il se passe avant, j’arriverai le jour-J en me disant que c’est possible.
C’est l’objectif suprême maintenant pour vous ?
Clairement. Comme pour les Mondiaux, j’arriverai là-bas en me disant qu’il faut que j’efface ma 4e place de Rio. Et puis le deuxième objectif, ce sera survivre jusqu’à 2024. Les Jeux à Paris, ce sera grand.
Parlons un peu de l’équipe de France. Comment vous l’expliquez, vous, ce mauvais bilan global ?
Il y a eu des ratés, mais dans l’ensemble, les contre-performances ne sont pas si énormes je trouve. Le championnat était très relevé, et c’est facile de dire que les Français n’ont pas assuré, mais est-ce que c’est une contre-perf pour Jimmy [Vicaut] de faire 10’’16 en demi-finale ? Il y a plein de choses comme ça, qui font qu’aux yeux du public on a l’air derrière, mais la réalité n’est pas si simple.
Avez-vous ressenti cette spirale négative dont on a beaucoup parlé ?
Non, je n’y crois pas à ça. Les échecs des uns ne créent pas ceux des autres. On était soudés, tous les soirs on se rassemblait pour encourager les potes. Mais quand c’est à toi, tu es dans ton truc. Pendant mon échauffement, je ne ressentais pas la pression de devoir ouvrir le compteur de médaille pour la France. Je cours pour moi, d’abord, et ensuite on partage si ça passe bien.
Le DTN, Patrice Gergès, a eu des mots durs*. Et il y a eu des petites histoires, comme celle de l’hypnotiseur**…
Ça, c’était le jour de mes séries. Le seul truc que j’ai vu en rentrant à l’hôtel, c’est dans la salle où on se rassemblait pour regarder la compétition, il y avait du monde qui rigolait ensemble, et puis quand les épreuves ont commencé ils ont mis le rétroprojecteur et supporté l’équipe de France. Hypnotiseur ou pas, on n’était pas dans un club de vacances. Oui, dans une période où on stresse beaucoup, il faut savoir relâcher, mais les athlètes présents avaient déjà concouru et le sérieux a toujours été là.
Il n’y a pas eu de manque de sérieux, selon vous ?
Non, non. Après, c’était le premier championnat auquel je participais où l’hôtel était à ce point ouvert. C’était open bar. En général il y a une séparation physique entre les athlètes et l’extérieur, là non. Il n’y avait pas cette bulle. Mais j’ai senti tout le monde investi.
« Quand tu te prépares pour des Mondiaux, t’as en tête les images habituelles d’un stade plein, où ça crie dans tous les sens. C’est l’ADN d’un championnat. » »
Et les fameuses conditions climatiques de Doha, alors ? A quel point ont-elles influé sur les performances ?
J’en reviens à cette phrase, il faut être un guerrier. On était tous logés à la même enseigne. On s’est peut-être trop posé de questions, « comment je vais m’échauffer ? », « houlala la clim je vais tomber malade », « je vais me déshydrater si je suis dehors »… Et on a perdu de vue l’essentiel, qui est de courir. T’as un job à faire, que je te mette en Sibérie ou dans le désert, il reste le même. En revanche, pour les marathoniens et les marcheurs, ce n’était pas possible. Yohann Diniz a dit qu’ils étaient pris pour des cobayes, il n’a pas tort. Mais maintenant, on sait. On sait que ce n’est pas possible de faire un championnat là-bas, au moins pour les épreuves longues, hors-stade.
Et l’ambiance, dans ce stade aux trois-quarts vide la plupart du temps ?
C’est vrai que quand tu te prépares pour des Mondiaux, t’as en tête les images habituelles d’un stade plein, où ça crie dans tous les sens. C’est l’ADN d’un championnat et là, ce n’était pas du tout ça, sauf pour les finales. Il faut se mettre dans son truc, se dire que tu ne cours pas pour des sièges vides, mais pour toi, ta famille, tes proches. Tu te trouves un moteur, quoi.
Est-ce qu’on a assez pris en considération les athlètes pour ces Mondiaux ?
La commission des athlètes peut faire remonter des choses, mais on n’est pas décisionnaires. Ce vote pour Doha a été fait il y a longtemps, par un président qui n’est plus là aujourd’hui. Il n’a pas été fait pour les athlètes. Même la période, en octobre, c’était bizarre. En tout cas, je n’avais jamais connu un championnat comme ça.
* Le directeur technique national a notamment dit lors de son bilan face aux médias : « Je veux que les gens prennent conscience de ce qu’il s’est passé et qu’on ne peut pas faire n’importe quoi avec n’importe qui. C’est facile de parler, mais c’est aussi facile de déstabiliser et d’amener les autres dans une dynamique inverse parce que soit même on n’est pas bien. Il va falloir parler du vrai problème, le niveau de performance de l’athlète. »
** Un hypnotiseur, invité par quelques athlètes, est venu faire une démonstration à l’hôtel des Bleus sans l’aval de l’encadrement, le 29 septembre.