INTERVIEWThomas Sammut, ce Nantais s’occupe du « bien-être » des footballeurs

FC Nantes-OGC Nice : Thomas Sammut, ce Nantais s’occupe du « bien-être » des footballeurs

INTERVIEWA Nice de 2016 à 2019, Thomas Sammut a été le premier préparateur mental salarié d’un club de foot français. Pour 20 Minutes, il explique sa méthode et ses difficultés de travailler sur le mental dans le monde du foot
David Phelippeau

David Phelippeau

L'essentiel

  • A l’occasion de la venue de Nice à Nantes, samedi (20h), 20 Minutes s’est longuement entretenu avec le Nantais, Thomas Sammut, ex-préparateur des Aiglons.
  • Ce quadragénaire s’est occupé d’une centaine de sportifs de haut niveau depuis plus de dix ans.
  • Sa méthode : privilégier le bien-être des joueurs/sportifs à la performance.

«S’intéresser à l’homme avant de s’intéresser au sportif ». C’est le credo de Thomas Sammut (45 ans), préparateur mental de l’ OGC Nice de 2016 à juin 2019. Dans le paysage du football français, la pratique de ce Nantais de 45 ans, qui vit à Guidel en Bretagne, fait figure d’exception. « En France, ça met toujours plus de temps à percuter, lance celui qui supportera Nice en déplacement à la Beaujoire, samedi soir (20h). La nouveauté fait peur en France. »

Depuis plus de 10 ans, Thomas Sammut écoute, conseille une centaine de sportifs de haut niveau ( Florent Manaudou, Camille Lacourt, Denis Gargaud etc.). Un drôle de paradoxe pour un gamin « rejeté du système scolaire »*, viré des établissements nantais Jules Verne et Guist’hau et n’ayant « pas eu le bac ». Entretien passionnant avec ce self-made-man pour qui « la performance passe par le bien-être ».

Comment vous êtes-vous retrouvé à devenir préparateur mental de sportifs de haut niveau ?

En 2009, Romain Barnier [entraîneur du Cercle des nageurs de Marseille] m’a contacté pour l’encadrement sur le plan mental des nageurs. C’était un projet ambitieux et novateur. J’avais carte blanche car il avait la même vision que moi. Il voyait les athlètes non pas comme des masses musculaires mais des individus. Notre postulat : plus un Camille Lacourt allait s’émanciper en tant qu’individu, plus il y aurait des conséquences bénéfiques sur le plan sportif. On s’est intéressé à l’homme avant de s’intéresser au sportif. Ça a créé notre différence. On n’a pu rivaliser et battre les meilleures équipes du monde.

Puis, il y a eu l’OGC Nice en 2016. Vous êtes devenu le premier préparateur mental salarié d’un club de foot en France…

C’est Julien Fournier [directeur exécutif de Nice de juillet 2011 à janvier 2019, puis directeur du football de ce même club depuis le 29 août 2019] qui m’a fait venir. Pour moi, le foot représente le jeu par excellence. J’ai donc été très surpris quand je suis arrivé dans ce milieu. Je m’attendais à voir des joueurs de foot épanouis sur le terrain en match, et c’était l’opposé. Je voyais des joueurs focalisés sur leurs statistiques. Ils étaient plus dans la peur de mal faire que dans l’envie d’oser et d’entreprendre. Je voyais des stéréotypes.

Quelle a été votre méthode ?

Ça peut paraître antinomique dans ce milieu de dire que ce qu’on privilégie, c’est le bien-être de la personne aux résultats… Mais, le bien-être ce n’est pas mettre le footballeur dans le confort et l’accueillir avec des pains au chocolat et des croissants le matin. Il faut comprendre que le bonheur d’un joueur a plus de chances de l’amener vers la performance que de lui parler tous les jours de résultats à atteindre.

Et comment travaillez-vous concrètement sur les sportifs ?

Il y a un gros travail sur la confiance en soi. Notre système éducatif en France ne permet pas d’avoir accès à son plein potentiel donc on a une estime de soi toute relative. On ne se voit souvent qu’au travers du prisme de nos défauts. Quand Florent Manaudou est arrivé à Marseille, il avait une mauvaise connaissance de lui, non pas par manque d’intelligence, mais juste parce qu’au cours de son parcours scolaire, il n’avait pas eu l’occasion de réfléchir par lui-même. Il se considérait comme un nageur moyen alors qu’il était déjà plus grand en termes de taille. Il se voyait pourtant plus « petit » que ses principaux adversaires. Il ne pouvait pas avoir accès à son plein potentiel. On a renforcé son estime de soi en renforçant sa personnalité. Il faut rendre unique chaque athlète, sortir du cadre dans lequel on veut nous mettre pendant tout notre parcours scolaire.

A Nice, vous interveniez fréquemment ?

Toutes les semaines. A la carte. En fonction des demandes des entraîneurs. Souvent, plutôt en individuel. Je passais deux jours et demi par semaine à Nice. Les coachs ? Claude Puel était super. Lucien Favre me laissait faire carte blanche. Enfin, avec Patrick Vieira, on échangeait beaucoup. Il n’y a aucune réticence, aucune crainte. Jamais, ils ne se sont dits : « Mais, qu’est ce qu’il va dire aux joueurs et va faire qu’il va les détraquer au niveau du mental ? »

Et y avait-il de la réticence au niveau des joueurs ?

Il y a eu de la méfiance. Heureusement, les staffs médical et technique encourageaient à venir me voir. J’ai eu rapidement une quinzaine de joueurs pros. Les sportifs que j’encadre comme les nageurs etc. parlent de moi, car pour eux c’est normal et je fais partie de leur préparation. En revanche, les footballeurs ne se vantaient pas quand ils venaient me voir. Ça reste un sport macho. Il y a ce côté pudique. Et je les comprends. Ils peuvent avoir peur qu’on dise : « Il prend un préparateur mental, ça veut dire qu’il est faible mentalement donc on ne va pas miser sur lui ! »

Les joueurs ont-ils été reconnaissants de votre travail ?

Dans l’intimité, oui beaucoup. Maxime Le Marchand par exemple. Lui, il se considérait comme un joueur de Ligue 2 dans sa tête… Aujourd’hui, il est à Fulham. J’ai beaucoup travaillé avec Benitez, Dante, Pléa etc. Le retour des joueurs était bon.

Pourquoi être parti de Nice ?

Je ne voulais pas m’inscrire dans une politique sportive dans laquelle je ne me retrouvais pas [Julien Fournier, qui l’avait fait venir, est parti puis finalement revenu cet été].

Vous dites souvent que l'« idée n’est pas d’être le meilleur du groupe, mais le meilleur pour le groupe ». C’est un peu la philosophie du jeu à la nantaise non ?

Je me suis inspiré de ça. Quand le jeu était huilé, on voyait les joueurs nantais qui s’éclataient. Je préfère voir ça que des joueurs blinder des défenses. La majorité des clubs en France joue pour ne pas prendre de buts. Le jeu à la nantaise, j’en garde des souvenirs impérissables. Le FC Nantes reste mon club de cœur. Je me retrouve dans les interviews de Suaudeau. Quant à Gourcuff, c’est un entraîneur avec lequel j’aimerais échanger vraiment. Il est dans la lignée des grands coachs du FCN. Je priais pour qu’il vienne à Nantes.

* En juin, Thomas Sammut a sorti le livre « Un cancre dans les étoiles »