Nicolas Kraska, joueur français expatrié au Japon: « Quand Galthié dit que le rugby français est mal vu à l'étranger, il a raison »
RUGBY•Nicolas Kraska, ailier français évoluant au Japon, parle de la manière dont est perçu le rugby français à l'étrangerPropos recueillis par William Pereira
De notre envoyé spécial au Japon,
« A l’étranger, on se moque beaucoup de notre rugby ». Ces mots de Fabien Galthié datant d’une époque où il n’était pas membre du staff du XV de France et encore moins futur sélectionneur, relayés récemment par L’Equipe, ont fait tilt dans le cerveau de Nicolas Kraska. Qui ça ? Nicolas Kraska, ailier formé au Racing 92, passé par Albi en Pro D2 et expatrié au Japon depuis 2015. Un choix de vie motivé par un manque d’offres intéressantes en France et l’envie de voir autre chose. « Comme j’ai fait du rugby, mes études je les ai faites en France via des cours aménagés et du coup j’ai pas fait d’Erasmus. Et j’avais beaucoup d’amis qui eux, ont été en Erasmus », nous dit-il. Sur la route de sa seconde jeunesse, le rugbyman français a découvert un autre rugby au contact de Japonais, bien sûr, mais aussi de Néo-Zélandais et d’Australiens. Les propos de Fabien Galthié, il les valide pour les avoir vécus. Interview.
Les propos de Galthié sur la manière dont le rugby français est perçu à l’étranger vous ont interpellé. Comment est perçu notre rugby ici au Japon ?
A l’époque où Mathieu Bastareaud avait émis l’hypothèse de faire six mois au Japon ou en tout cas dans un autre championnat, les Brave Lupus de Toshiba [Kraska y a joué quatre ans] recherchaient un centre. Moi je leur ai dit que je savais que Basta cherchait un club et que l’expérience japonaise le tenterait, donc pourquoi ne pas le prendre ? La réponse ça a été « ah non, on ne veut pas de Français », parce qu’en gros on est nuls, on sait faire que des un contre un, aller tout droit, pas faire de passes… Moi je leur ai dit que depuis qu’il était à Toulon il s’était vachement amélioré sur cet aspect-là, que pour le championnat japonais il ferait des dégâts et que ça nous servirait. Mais non, ils campaient sur leurs positions. Je leur ai dit « moi j’ai fait cinq ans en France en pro D2 et vous m’avez dit de venir ». J’essayais de leur prouver qu’ils avaient tort, ce à quoi ils m’ont répondu « ouais, mais toi tu as un passeport asiatique, t’es un Asiatique, t’es un plus ». C’est comme si j’étais français mais pas vraiment. Je trouvais ça ridicule. J’ai préféré en rire mais je me suis vraiment dit que les Japonais avaient des idées arrêtées.
Est-ce qu’on l’a pas un peu méritée quand même, cette mauvaise réputation rugbystique ?
Je pense que j’étais un peu chauvin à l’époque aussi, parce que j’étais persuadé que le Top 14 était le meilleur championnat du monde, au vu de toutes les stars qu’il y avait. Mais après j’ai fini par m’ouvrir un peu plus parce qu’à l’époque, les Néo-Zélandais à Toshiba avaient vraiment une mauvaise opinion du rugby français et j’avoue que j’ai commencé à regarder le Super Rugby que je ne connaissais pas. A l’époque, je ne regardais qu’un championnat, c’était le Top 14. Du coup j’avais des grosses œillères, et puis en regardant en Nouvelle-Zélande, en voyant des stars t’expliquer ce qu’eux faisaient là-bas je me suis dit : « ah oui putain, on a 15 ans de retard ». On n’est pas nuls mais on nous forme mal. Il y avait beaucoup de retard technique sur des trucs tout bêtes comme faire une passe, des deux contre un.
C’est à dire ?
Il y a quand même vachement de 3 contre 2 où le premier utilisateur du ballon, quand il est français, il va aller en travers. Je sais pas ce qu’il cherche… Il va pas tout droit pour fixer et donner. Il va être un peu en travers, fixer sans vraiment fixer alors que tous les étrangers ont une course rectiligne, ils vont tout droit et accélèrent à la prise de balle…. C’est ce que les Richard Kahui [centre All-Black champion du monde] et compagnie nous ont appris ici. En France on a l’impression de vouloir aller chercher le défi physique sans trop savoir ce qu’on veut. Souvent dans les meetings, on avait l’exemple à suivre. Très souvent c’était des Australiens et des Néo-Zélandais. Et le truc à ne pas faire, généralement j’avais un peu honte parce que c’était des images du Top 14 ou des équipes de France. Du coup je baissais un peu les yeux. Mais dans ma tête je me disais quand même « non, on a le French flair c’est quand même dans nos gênes de rugby »…
Vous êtes dans un conflit interne perpétuel depuis que vous êtes au Japon, en fait ?
Non, au final ils m’ont ouvert les yeux et je me suis adapté à leur rugby. Maintenant, j’ai plus les mêmes réflexes que j’avais en France. A Albi et même quand j’étais au Racing c’était « tu vas tout droit, faut détruire ton adversaire ». L’ailier était cantonné à rester sur son aile et à choper les ballons hauts puis faire une passe à l’arrière… Au Japon pas du tout, les Néo-Zélandais me disaient « viens proposer à ton intérieur », même sur la technique de passe j’ai beaucoup appris ici, donc j’ai vraiment acquiescé. Finalement je trouve que c’est vrai, en France on a vraiment pris du retard et quand j’ai vu les propos de Galthié je me suis dit qu’il avait complètement raison.
Vous parlez des Néo-Zélandais, mais un mec comme Eddie Jones (ancien sélectionneur du Japon, désormais à la tête de l'Angleterre) a dû apporter pas mal de choses à son passage au Japon, non ?
C’est vraiment le monsieur rugby du Japon parce qu’il a essayé de changer les mentalités. Au Japon, la culture fait que les Japonais respectent la loi sans sortir du cadre. Il y a une espèce d’expression ici où schématiquement, la société, c’est un bout de bois, les personnes sont les clous et dès qu’il y a un clou qui dépasse, le marteau c’est la pression sociale et il tape sur le clou pour le faire rentrer dans le rang. Et je l’ai vu au rugby, personne parle plus haut que le coach, le coach est intouchable. C’est très hiérarchisé, un joueur plus âgé aura toujours le respect des plus jeunes même s’il fait de la merde et prend des mauvaises décisions. Du coup Eddie Jones a fait un gros travail de sape où il disait aux joueurs de sortir du cadre, de prendre des initiatives, des trucs contre-culturels. Il a fait un gros boulot.
Justement, comment vous raconteriez la culture du rugby au Japon ? Il y a des troisièmes mi-temps ici aussi ?
J’ai été vachement déçu de ce côté-là, je m’attendais à des soirées de folie. J’avais vu Lost in Translation et j’imaginais des boîtes de nuit un peu folles avec des gens un peu dingues et tout. Je me suis dit que ça devait vraiment bringuer et en fait pas du tout ! Pour eux, des soirées de folie c’est : t’as rendez-vous à 18h pour une 3e mi-temps. Tu as un buffet et alcool à volonté pendant deux heures. Donc ils font ça, tu fais des jeux, les mecs prennent ça vachement au sérieux. Des mecs sont délégués à inventer des jeux pour boire pendant la soirée. Donc c’est vraiment préparé, c’est carré. Pendant deux heures tu rigoles et dès que c’est fini, pour les plus fous ils vont aller au karaoké jusqu’à minuit. Et après les mecs prennent le dernier métro pour rentrer chez eux.
Il y en a jamais un qui s’en fout du dernier métro et qui prolonge la soirée ?
Franchement c’est super rare. J’ai fait une soirée qui est allée super loin, c’était Halloween il y a quatre ans. Parce qu’on avait dix jours de vacances, on était allé à Shibuya et là c’était super marrant. Mais c’est la seule fois où je suis sorti avec eux. Mais ils prennent pas d’initiatives, ils te disent pas tiens on va partir quelque part, c’est toujours la même chose, rodé. Il y a une routine. J’ai pas fait de bodega, j’ai pas fait de paquito. Ca m’a un peu manqué.
Culturellement, quelle est la plus grosse claque que vous ayez prise ?
Ma troisième année à Toshiba, parce qu’elle s’est très mal passée avec le nouveau coach qui est arrivé. On a eu un clash. Enfin c’était pas un clash mais ne connaissant pas complètement la culture japonaise, je ne savais pas qu’on avait pas le droit, parce que c’est une règle tacite, de répondre à son coach. Je lui ai fait perdre la face devant tout le monde. Je revenais de mes croisés et c’était mon premier entraînement collectif. On faisait un exo de 3 vs 2 sur 20 mètres de large. Je suis premier utilisateur du ballon et j’ai des fourmis dans les pattes, j’ai envie de faire des crochets. Donc je fais feinte de passe, crochet intérieur et le premier défenseur me plaque. Il y a perte de ballon, donc l’entraîneur me dit « go back to France », il me dit en japonais que c’est pas le niveau Top League, etc. Mais vraiment devant tout le monde, donc je suis un peu sur le cul, j’étais vraiment désolé, je voulais me rattraper. Sauf que l’action d’après, le deuxième groupe d’attaque c’est un Japonais qui a le ballon et il fait exactement la même chose que moi. Et là le coach il dit rien et même pire il dit « ok ça va aller ». Moi là je pète un câble. Je lui dis « donc ça c’est bon, comment ça se fait ? Il fait exactement la même chose que moi, je comprends pas. » Je me suis tiré une balle dans le pied. Le mec il m’a enchaîné en japonais j’ai rien compris mais apparemment il m’a insulté de tous les noms, que j’avais une grande gueule et que j’avais rien à faire ici. Derrière, il m'a mis au frigo pendant six mois.
Parlons de cette Coupe du monde quand même. Comment les Japonais voient ce Mondial ? Il y a une effervescence ?
Non, c’est assez limité. Tu as les Japonais qui suivent le rugby et ceux qui ne le suivent pas. Ils ont dû entendre parler de la Coupe du monde mais pas plus que ça. Les aficionados de rugby sont à fond dedans, ils ont dû prendre dix places pour dix matchs différents, ils ont peut-être acheté les nouveaux maillots du Japon et de chaque équipe. Ils sont vraiment au courant de tout. Et l’autre partie ne sait même pas qu’il y a une Coupe du monde. Malgré les affichettes, les pubs, dans les médias c’est quand même présent, mais pour eux c’est mineur, ça ne va pas leur changer la vie à moins que le Japon fasse une très bonne Coupe du monde, par exemple en passant en quarts. Là, t’es sûr que plus de la moitié des personnes qui ne s’y intéressaient pas vont s’y intéresser.