Rugby: Pourquoi la Bretagne n’est pas devenue une terre d’ovalie?
RUGBY•Le RC Vannes se rend à Brive ce dimanche en demi-finale de Pro D2 et rêve de devenir le premier club breton à accéder au Top 14Manuel Pavard
L'essentiel
- En déplacement à Brive ce dimanche, en demi-finale de Pro D2, Vannes rêve de devenir le premier club breton à monter en Top 14.
- Venu des îles britanniques, le rugby n'a curieusement jamais vraiment percé en Bretagne.
- En Bretagne, terre catholique, l'Eglise refusait ce sport jugé violent et surtout permettant une trop grande proximité des corps.
- Le développement du rugby dans le sud de la France a ensuite isolé les clubs bretons, contraints à des déplacements trop coûteux pour des amateurs.
Pour l’instant, personne n’ose encore l’évoquer ouvertement mais le rêve suit son chemin, match après match. Avant son déplacement à Brive ce dimanche, en demi-finale des play-offs de Pro D2, le RC Vannes se trouve à deux victoires d’une performance historique : devenir le tout premier club breton à accéder au Top 14.
C’est en effet l’une des bizarreries de l’histoire du ballon ovale. Pourquoi le rugby, venu de Grande-Bretagne, ne s’est-il pas développé en Bretagne et plus globalement au nord de la Loire ? Un coup d’œil sur le tableau du Top 14 est à cet égard édifiant. Hormis les deux clubs franciliens (Racing 92 et Stade Français), voire La Rochelle, tous les autres clubs se trouvent au sud. Et depuis ses débuts, l’ovalie a toujours davantage causé avec l’accent basque, toulousain ou provençal.
Dans les régions catholiques, l’Église s’oppose à ce sport où les corps se touchent
Collaborateur du Centre international d’études du sport (CIES) à Neuchâtel (Suisse), le géographe Loïc Ravenel est l’un des rares spécialistes à s’être penché sur le sujet - il a notamment publié un essai sur le rugby en Normandie dans une revue de géographie. « C’est paradoxal, la Bretagne avait tout pour devenir une terre de rugby : la proximité géographique et culturelle avec les îles britanniques, le climat… Pourtant, ça n’a pas marché », pose-t-il en préambule.
Pour comprendre, il faut remonter aux origines, au début du XXe siècle. « Après la Première Guerre mondiale, le football prend de l’ampleur et sa pratique sera souvent encadrée par les patronages catholiques, explique Loïc Ravenel. Dans les régions à forte dominante catholique comme l’ouest de la France, le foot va être privilégié au détriment du rugby, jugé trop violent par l’Église. » Surtout, la morale religieuse s’oppose à ce sport de contact, avec « la proximité des corps qui se touchent ».
Vannes ou Rennes trop isolés face aux clubs du sud
A contrario, le sud-ouest et le sud, qui sont « des terres plus radicales et plus laïques », vont immédiatement adopter le rugby, précise le géographe. Dans les années 1920 et 1930, la mise en place de l’ovalie, cette France du rugby limitée à sa partie sud, va ensuite « éliminer toute apparition du rugby de haut niveau en dehors », poursuit Loïc Ravenel. Ainsi, « des clubs comme Vannes ou Rennes se retrouvaient isolés et devaient forcément faire plusieurs centaines de kilomètres pour aller jouer à Dax ou à Toulouse. Cela représentait des budgets de déplacements énormes, impossible pour un sport amateur ! »
La seule exception sera le rugby francilien, les clubs parisiens étant souvent plus riches et « Paris rendant l’ensemble du territoire accessible ». « Pendant longtemps, indique le membre du CIES, les dirigeants du rugby ont refusé l’élargissement ». Et même le passage au professionnalisme, dans les années 1990, ne changera pas réellement la donne, malgré la volonté d’ouverture de la Ligue. « Aujourd’hui, la problématique du transport est révolue », admet Loïc Ravenel, mais « le poids du passé » était trop fort. Et dans l’ouest, la concurrence du foot et du basket a souvent empêché l’émergence du rugby.
L’engouement autour de Vannes peut-il créer des vocations ?
L’engouement local et régional autour du RC Vannes pourrait cependant nuancer la situation, voire changer la donne, espèrent les plus optimistes. « Le rugby réunit toute la ville de Vannes », affirme ainsi Gérard Fraser, l’entraîneur-adjoint néo-zélandais du RCV, soulignant « la ferveur des supporters » dans le bouillant stade de la Rabine.
« Après les derniers matchs, sur le port, c’était une vraie troisième mi-temps, ajoute le coach. En tant que Néo-Zélandais, on vit le rugby 365 jours sur 365. Si on peut en faire profiter cette terre qu’est la Bretagne… » Et accessoirement créer des vocations.