Tenues sexy, coups de com'... Les sportives de haut niveau subissent-elles la mise en avant de leur féminité?
CHAMPIONNES TOUS TERRAINS (3/5)•A l'occasion du Mondial de foot en France à partir de vendredi, « 20 Minutes » a enquêté sur des problématiques liées au sport féminin de haut niveau. Ce mercredi, notre série s'interroge sur la volonté souhaitée ou subie des sportives de mettre en avant leur féminité dans le cadre de leur disciplineJérémy Laugier (avec L.Gam. et R.G.-V.)
L'essentiel
- Jusqu’à l’ouverture de la Coupe du monde de football vendredi, 20 Minutes aborde dans une série des questions sur le sport féminin de haut niveau. Ces problématiques parfois méconnues jalonnent la vie de nombreuses femmes ET sportives professionnelles.
- Ce mercredi, nous nous penchons sur la touche glamour voire sexy qui accompagne le sport féminin de haut niveau.
- Certains choix de tenues étonnants ou coups de com' lancés par des clubs et des fédérations pour aider à la médiatisation du sport féminin ne sont-ils pas contre-productifs ?
L’équipe de France de football est championne du monde. Les hommes, hein ! Au tour des joueuses de Corinne Diacre, qui sont au centre des attentions cette année, de tenter de remporter leur premier titre majeur à la maison. L’occasion de se pencher sur des problématiques parfois méconnues, propres à ces femmes ET sportives de haut niveau. 20 Minutes lance jusqu’à vendredi une série de sujets sur des thématiques sociétales, à mi-chemin entre carrière sportive et vie de femme. Et comme cette vie de femme ne s’arrête pas à la porte des vestiaires, un état des lieux du sport féminin nous a semblé essentiel. Voici un gros plan ce mercredi sur le délicat alliage entre quête de féminité et sport de haut niveau. Est-il plus souvent recherché ou subi par les sportives ?
Depuis près de trois mois, il ne reste plus que le marché noir pour tenter d’arracher l’une des 47.600 places du Parc des Princes, afin de vivre l’entrée en lice des Bleues à la Coupe du monde de football, vendredi contre la Corée du Sud. Si ce constat semble presque banal pour un tel événement sportif en 2019, il faut bien réaliser où en était le foot féminin français il y a tout juste dix ans. Gaëtane Thiney et Sarah Bouhaddi étaient déjà en équipe de France, et tout comme Corine Petit et Elodie Thomis, elles avaient choisi de poser nues « pour la bonne cause ».
La raison ? La Fédération française de football cherchait un moyen de médiatiser davantage son équipe nationale, dont la qualification pour l’Euro-2009 en Finlande était passée quasiment inaperçue. Appuyée par l’ex-sélectionneur Bruno Bini, la campagne de communication « Faut-il en arriver là pour que vous veniez nous voir jouer ? » avait alors vu le jour. L’ancien directeur de la communication de la FFF Pierre-Jean Golven expliquait à ce moment-là dans La Dépêche que « le manque de féminité était le deuxième préjugé à combattre après l’absence d’intérêt sportif ». L’idée était donc de prouver que les joueuses n’étaient « pas dénuées de féminité ».
« Avec le recul, je pense que c’était une erreur »
Des joueuses « en croisade » et « des retombées énormes »... L'engouement déclenché avait-il été si colossal que l'évoquait la fédération, et surtout bénéfique pour les Bleues ? « L’idée était de faire bouger les choses car on se démenait en vain pour faire venir les médias et le grand public à nos matchs », se souvient Elodie Thomis, qui a mis un terme à sa carrière de joueuse l’an dernier.
« L’idée nous avait été proposée. Il n’y avait rien d’obligatoire et si aucune joueuse n’avait accepté, il n’y aurait simplement pas eu de séance photo. Beaucoup n’osaient pas et j’ai levé la main sur un coup de tête, un défi personnel. Je m’en foutais des conséquences et je le referais sans hésiter. L’idée était à l’époque de promouvoir le foot féminin. Il y a eu un petit buzz sur le coup et ça a amené un peu de curiosité chez des médias généralistes. Mais ça a vite été oublié et le vrai décollage du foot féminin en France date de notre première Ligue des champions remportée avec l’OL en 2011 puis de la 4e place au Mondial dans la foulée. » »
Elle aussi ex-footballeuse de l’OL et des Bleues, et ayant vécu cet épisode de l’intérieur, Camille Abily dresse son constat : « J’ai hésité à participer mais ce n’est pas ma philosophie. Je voulais déjà être reconnue pour mes performances. J’ai bien fait de dire non car je ne suis pas sûre que cette campagne ait fait avancer les choses ». Ancienne latérale de Montpellier et de l’OL mais aussi auteure en mai du livre Pas pour les filles, Mélissa Plaza (30 ans) va plus loin : « On voulait susciter le débat et avec le recul, je pense que c’était une erreur. On a encore une fois érotisé le corps des femmes de manière ostentatoire ».
« On a toujours dû se démener par tous les moyens pour les médias »
D’autres campagnes de com' dans le sport féminin ont depuis suscité ce type de réactions tranchées, notamment dans le volley, avec l’affiche sexy annonçant un match entre le RC Cannes et Béziers en octobre 2015. On y voyait la joueuse cannoise Sanja Bursac de dos et en bloomer, une culotte de sport utilisée en matchs jusqu’au milieu des années 2000. « Nous sommes le club le plus titré en France [21 championnats remportés] et nous n’avons pas besoin de montrer nos fesses pour le démontrer, lance l’ancienne joueuse Victoria Ravva, figure majeure du RC Cannes et à l’origine de cette photo. Le but de cette affiche était de mettre en avant nos formes et le côté athlétique des joueuses via un clin d’oeil à notre ancienne tenue. Les offusqués veulent-ils que les volleyeuses jouent en col roulé ? »
Icône du fameux calendrier des volleyeuses azuréennes édité chaque saison à plus de 1.000 exemplaires, et ce depuis 12 ans, « Vica » assure que « personne ne force les filles à poser dedans si elles ne sont pas à l’aise ». Désormais manager générale du RC Cannes, elle ne cache pas le but initial de ces coups de com' : « Malheureusement, on a toujours dû se démener par tous les moyens pour tenter d’attirer les médias au club. Et il y avait beaucoup plus de journalistes présents sur notre premier shooting de calendrier que sur nos matchs à l’époque ».
L’idée « révolutionnaire » de la jupe à Metz Handball
La dirigeante cannoise constate que plus globalement, « il y a toujours eu une recherche d’esthétisme plus poussée dans le volley que dans les autres sports collectifs ». Les mini-shorts moulants d’aujourd’hui, tout comme les bloomers auparavant, sont là pour en attester.
« On se voit un peu comme des artistes entrant sur scène et cherchant à présenter une image glamour. Pour des raisons pratiques, les shorts ont remplacé les culottes mais notre tenue officielle a toujours été différente et plus sexy que celle des garçons, c’est comme ça. C’est selon moi la tenue parfaite, comme ça peut l’être en athlétisme et en gymnastique, qui subissent moins de critiques que nous. Je trouve ça triste que ça puisse désormais choquer, au XXIe siècle, alors que ce n’était pas le cas avant. » »
Si les tenues sexy sont « culturelles » dans le volley, et plus encore dans le beach, ce n’est a priori pas le cas dans les autres principaux sports co pratiqués en France. Le président de Metz Handball Thierry Weizman a pourtant décidé de faire évoluer les mentalités en ajoutant des jupes à l’accoutrement habituel. Avec à la clé plus de 3.000 spectateurs pour la grande première en septembre 2011 contre Fleury. Thierry Weizman, qui assure avoir testé « des prototypes » sur les joueuses en amont, raconte les prémices de cette idée « révolutionnaire » désormais bien intégrée dans le paysage du handball tricolore, et même européen.
La « Team in skirt » remplit les salles dans toute l’Europe
« J’ai subi les foudres des mouvements féministes qui estimaient que j’utilisais le corps des femmes pour faire de l’argent en faveur de Metz Handball », raconte le président du club. Ce dont il se défend fermement : « A l’époque, les shorts de hand étaient de vrais sacs faits pour les hommes. Il n’y avait pas de coupe féminine. J’ai remarqué que le tennis et le golf féminin bénéficiaient d’une bien plus grosse médiatisation que nous, malgré nos nombreux titres remportés. Et dans ces deux cas, les filles portaient des jupes. Il a donc fallu changer la mentalité des joueuses et trouver une tenue confortable, sexy mais pas vulgaire ». La gardienne messine Laura Glauser, qui a vécu le passage du short à la jupe bleue (doublée d’un short) pour ses coéquipières y voit « une façon fun de se démarquer des autres, de mettre en avant le corps féminin sans tomber dans le côté trop sexy ».
Les Lorraines ont vite constaté les effets bénéfiques dans toute l’Europe en gagnant au passage le surnom de « Team in skirt ». « Lors du tirage au sort de la Ligue des champions, les présidents des clubs adverses sont ravis de tomber sur nous car ils sont certains d’avoir une salle remplie de curieux voulant voir la seule équipe européenne jouant en jupe », sourit Thierry Weizman. Mais les sportives de haut niveau n’adhèrent pas toujours à l’audace de dirigeants voulant féminiser des tenues de match, et évidemment provoquer un buzz dans des disciplines en quête de notoriété.
Les basketteuses lyonnaises n’étaient « pas très à l’aise » en robe
Avant d’être repris par Tony Parker et de devenir Lyon Asvel en 2017, le club de Lyon Basket Féminin a par exemple imposé de 2010 à 2015 une robe comme tenue officielle de toutes les catégories, y compris dans l’élite. « Notre idée était simplement de faire jouer les femmes en femmes, explique Olivier Ribotta, manager général à Lyon depuis 2008 et à l’origine de cette robe réalisée avec un designer. J’avais consulté nos joueuses majeures et elles trouvaient au départ que c’était n’importe quoi. Mais elles ont ensuite compris que c’était un moyen de mettre en lumière le club [alors en 2e division], d’attirer partenaires et public afin de pouvoir à terme améliorer l’effectif. »
En pratique, les dirigeants du LBF ont tenté de basculer vers une formule jupe-maillot « moins délicate » en 2015-2016 avant de se résoudre à revenir à la tenue classique. « Autant au tennis, c’est dans la culture des joueuses, autant au basket, ça a vraiment bousculé les habitudes, se souvient Nicolas Forel, président du club lyonnais de 2015 à 2017. Il fallait argumenter longtemps pour convaincre des recrues, surtout les joueuses américaines, d’accepter cette tenue. »
Et pour cause, toute la semaine à l’entraînement, et même durant toute leur vie de basketteuse jusque-là, ces athlètes se sont entraînées avec les incontournables shorts et débardeurs propres à la discipline. L’ailière Sara Chevaugeon, aujourd’hui à Charleville-Mézières, se rappelle n’avoir « pas été très à l’aise au départ » avec la tenue du LBF, notamment pour « se jeter sur un ballon au sol ».
« Je n’ai pas besoin de jouer en robe pour montrer que je suis une femme »
« C’était un peu bizarre, d’autant qu’on n’allait pas plus parler de basket féminin juste parce qu’on jouait en robe, précise la joueuse de 26 ans. C’est pareil pour l’affluence, il faudrait être pervers pour se dire qu’on assiste à un match à Lyon uniquement parce que les filles jouent en robe. » Le coup de gueule de certaines joueuses, et « le frein au recrutement d'Américaines » qu’elle impliquait ont donc fini par avoir la peau de cette robe lyonnaise, seulement conservée par toutes les catégories jeunes du club.
« Je me suis assurée avant de venir ici qu’on jouait bien désormais en short et en maillot dans cette équipe, confie ainsi l’ailière américaine Alysha Clark. Ecoutez, je ne suis pas là pour porter une robe sur un terrain de basket. Ce n’est pas l’uniforme de mon sport. J’aime porter une robe en dehors mais je n’ai pas besoin de le faire sur le terrain pour montrer que je suis une femme. » Champion de France pour la première fois de son histoire en mai et qualifié pour l’Euroligue, Lyon Asvel a de toute façon moins besoin de « trouver un levier » extra-sportif pour faire parler de lui.
De même, dix ans après leur séance photo osée, les joueuses de l’équipe de France de foot bénéficient d'une médiatisation sans précédent pour leur premier Mondial disputé à domicile. Elles portent aussi pour la première fois des maillots Nike différents de ceux des hommes. « C’est peut-être un jour historique d'avoir nos propres maillots, s’enthousiasme Amandine Henry, capitaine des Bleues. C’est sûr que c’est une marque de reconnaissance. Il a fallu de longues années avant de l’avoir. » Ses coéquipières Sarah Bouhaddi et Gaëtane Thiney sont bien placées pour apprécier le chemin parcouru.