«La Coupe du monde féminine va faire bouger les lignes de notre société», estime Brigitte Henriques
FOOTBALL•Entretien avec la vice-présidente de la FFF et du comité d'organisation de la Coupe du monde en France le mois prochainPropos recueillis par Julien Laloye
L'essentiel
- La vice-présidente du comité d'organisation de la Coupe du monde féminine s'exprime dans 20 Minutes.
- Brigitte Henriques se félicite du succès de la billetterie à un peu moins d'un mois du match d'ouverture.
- Elle attend un effet de levier pour la pratique du sport féminin en France.
Dans ce métier, on ne rencontre pas tous les jours des gens aussi heureux d’être là où ils sont. Brigitte Henriques, vice-présidente de la Fédération française et du comité d’organisation de la Coupe du monde en France, a le sourire communicatif un petit mois avant le début de l’épreuve (7 juin – 7 juillet). La billetterie tourne à fond les ballons, et l’événement promet déjà une formidable opportunité pour le sport féminin de prendre une nouvelle dimension dans le pays. Surtout si les Bleues vont loin. Entretien avec l’ancienne internationale tricolore.
A un peu moins d’un mois du premier match, la Coupe du monde est-elle d’ores et déjà un succès populaire ?
Les objectifs de vente de billets sont plus qu’atteints, ils sont même dépassés. On est satisfaits parce qu’on a fait un travail de fourmi, on a mobilisé tout le monde, on a convaincu tout le monde que cette compétition était plus qu’un événement sportif et qu’elle allait faire bouger les lignes de notre société sur la mixité. Et là où est un peu surpris, c’est sur l’engouement des pays voisins et même lointains comme les USA qui ont acheté énormément de billets (30 %). Vous avez le match Ecosse-Angleterre à Nice qui a déjà 15.000 spectateurs, on sait que sur le quart de finale à Paris il y a déjà 33.000 billets de vendus… C’est vraiment génial.
Combien de billets ont été vendus exactement ?
On a déjà vendu plus de 760.000 billets sur 1,3 million. C’est vrai que d’avoir 7 matchs, peut-être 12 d’ici quelques jours à guichets fermés, et pas que les matchs de l’équipe de France, ça en dit long sur le travail qui a été fait. Le président de la Fédération Noël Le Graët avait prévenu en nous disant : « Attention, c’est un défi et une grande responsabilité » que de pouvoir assurer un succès populaire à cet évènement. Il fallait aller chercher les spectateurs, je ne vais pas dire un par un, mais presque, et il ne fallait pas se tromper sur la billetterie. Pour l’instant cette étape est réussie.
Cela veut dire qu’il n’y aura pas de stades vides pendant la compétition ?
Très sincèrement, on avait un objectif de remplir à plus de 56 % les stades, mais ça, c’était pour un rendu visuel. L’objectif évidemment c’est de vendre les 1,3 millions. On a vu à l’Euro 2017 aux Pays-Bas, c’était super quand l’équipe hollandaise jouait avec une marée de maillots orange dans les stades et aux alentours, mais quand c’était les autres équipes les stades, étaient vides. Au niveau de la télé, ça ne le fait pas, comme on dit. Après, ce n’est tant le remplissage qui est important, mais c’est le jeu qui est d’une telle qualité que les joueuses méritent qu’on vienne les voir.
Le match d’ouverture, lui, est déjà à guichets fermés. Peut-il conditionner l’engouement populaire en fonction du résultat des Bleues ce jour-là contre la Corée ?
L’engouement il est déjà là. Sur les derniers matchs, l’équipe de France a joué à guichets fermés. Le match contre l’Uruguay à Tours, il y avait 11.000 places et on a dû faire face à plus de 30.000 demandes de billet. A l’entraînement pareil, les gens étaient là deux heures avant. Ce match d’ouverture, j’en rêve déjà la nuit. On sait que c’est un moment particulier. Ça va être beaucoup d’émotions pour tout le monde, mais les joueuses sont au courant et elles ont un staff de qualité pour les préparer.
Pour la première fois, le traitement médiatique des Bleues sera exactement le même que celui des Bleus sur TF1. Ce pari a-t-il été difficile à gagner ?
Pas du tout. TF1 a mis la barre très haut, ils nous avaient dit d’emblée qu’ils ne feraient aucune différence entre les filles et les garçons dans leur traitement. C’est vrai que je pense que la dynamique qu’il y a eue avec la victoire de l’équipe de France masculine en Russie a forcément donné envie de mettre la même qualité, pour qu’on ait un très beau rendu de cette Coupe du monde en France. C’est vraiment du grand bonheur. J’ai l’impression d’être en dehors de la réalité, de sortir du cinéma et d’avoir vu un film tellement c’est incroyable.
Cet événement majeur peut-il représenter un tournant pour l’évolution du sport féminin en France ?
Tous ceux qui font le pari que cet évènement va entraîner beaucoup de choses, notamment sur l’économie du sport féminin, montrent que c’est déjà le cas. Jusqu’à maintenant, il n'y avait pas beaucoup de partenaires qui allaient dans le foot féminin, là c’est en train de changer. Le fait d’offrir cette visibilité au sport féminin, c’est sûr que ça va accélérer le mouvement. On ne défend pas les femmes comme les hommes, mais le principe de mixité. L’équilibre d’une société, c’est une histoire d’harmonie, et l’équilibre entre les hommes et les femmes va se retrouver dans le symbole de cette Coupe du monde, j’en suis convaincu.
La pratique du foot chez les filles va-t-elle prendre une autre dimension si les Bleues vont loin ?
On a anticipé. Peu de gens savent que hormis les Etats-Unis, qui ont 4 millions de licenciées, le pays modèle c’est l’Allemagne avec seulement 250.000, ce qui est considéré comme une référence. Nous, aujourd’hui, on est à 180.000 alors qu’on était à 50.000 en 2011, et on sait qu’il va y avoir un afflux à la rentrée. Déjà, avec la Coupe du monde des garçons, il y a eu un effet chez les filles puisqu’on a franchi la barre des 15% de licenciées supplémentaires.
En tant qu’ancienne internationale au tout début de l’aventure, dans les années 90, pouviez-vous imaginer que l’équipe de France féminine susciterait un jour autant d’attentes, populaires et médiatiques ?
J’ai joué en équipe de France entre 1988 et 1996. Quand on allait jouer aux Etats-Unis, il y avait un engouement incroyable, les stades étaient remplis, on nous escortait pour aller au stade. On se demandait quand est-ce que ce serait comme ça en France sans y croire, et aujourd’hui on y est. Le plus grand bonheur que j’ai, c’est de me dire qu’une petite fille de 5 ou 6 ans, elle va pouvoir rêver pour de vrai en France parce que ça existe. Moi j’ai rêvé un jour d’être américaine pour vivre ça, aujourd’hui j’ai plus besoin de partir aux USA parce que ça se passe chez nous.