Leinster - Stade Toulousain: Comment Ugo Mola est devenu la référence des entraîneurs français
RUGBY•Après des débuts compliqués au Stade Toulousain, Ugo Mola a posé sa patte sur l’actuel leader du Top 14, qui disputera ce dimanche une demi-finale de Champions Cup au LeinsterNicolas Stival
L'essentiel
- L’entraîneur du Stade Toulousain Ugo Mola est à la tête de l’équipe la plus excitante du moment.
- La carrière du technicien de 45 ans n’a pourtant pas toujours été couronnée de succès.
- Guy Novès, que Mola a remplacé à Toulouse, vante les mérites d'« une tête bien pleine » et souligne « sa force de caractère ».
L’entraîneur français du moment, c’est lui. Ugo Mola marche sur l’eau avec le Stade Toulousain cette saison. Aussi séduisants qu'efficaces, les Rouge et Noir se baladent en Top 14 et viseront une place en finale de Coupe d’Europe, ce dimanche sur les terres du Leinster, le tenant du titre irlandais.
La semaine dernière, Régis Sonnes, son « second » depuis l’été dernier chez les Rouge et Noir, faisait le panégyrique de l’ancien arrière ou ailier international aux douze sélections. « Il a de grosses qualités intellectuelles et va très vite, dans les prises de décision, le management. C’est brillant. Il prend très souvent les bonnes décisions. » Sonnes lui prédisait même un avenir en Bleu. Mais ça, c’était avant le feuilleton Galthié.
Après le quart de finale de Champions Cup gagné le 31 mars au Racing 92 (21-22), son joueur Maxime Médard saluait quant à lui « un choix fort qui montre qu’Ugo est un grand entraîneur, qui grandit avec son équipe ». Après le carton rouge reçu par l’ouvreur Zack Holmes, Mola et son staff n’avaient pas hésité à sortir un troisième ligne (François Cros) par un trois-quarts (Sébastien Bézy). Et, même à 14 contre 15, Toulouse, fidèle à son credo, avait continué à envoyer du jeu sur le synthétique de Nanterre. Avec succès…
« Champion » ou « gros con », la dure vie d’entraîneur
« Vous faites des paris, ça réussit, vous passez pour un champion, observait Mola mardi en conférence de presse. Quand vous perdez, vous passez pour un gros con. C’est la vie de tout entraîneur. » L'ancien joueur formé au Stade Toulousain, triple champion de France (1994, 95, 96) et champion d’Europe (1996) en Rouge et Noir, sait de quoi il parle.
Son retour au bercail sur le banc, à l’été 2015, n’a pas été tout de suite couronné de succès. Doux euphémisme. Avant le quart de finale européen chez le Racing 92, le Stade n’avait gagné aucun des trois matchs de phases finales disputés sous sa houlette. S'il avait entamé son déclin après le 19e Bouclier de Brennus, en 2012, le club le plus titré de France avait touché le fond voici deux ans, en terminant douzième du Top 14. Du jamais vu depuis 1976.
« Quand on a connu la réussite au Stade Toulousain, on doit se poser 1.000 questions dans ces situations, observe Guy Novès. C’est là que la gouvernance du club, avec Didier Lacroix [président depuis l'été 2017] a su l’accompagner. » L’idole du peuple Rouge et Noir a choisi lui-même son successeur avant de prendre le relais de Philippe Saint-André chez les Bleus.
« « J’ai pensé en premier à Ugo. Il aurait très bien pu travailler avec Yannick Bru, mais Yannick était occupé par l’équipe de France. J’en ai parlé à René Bouscatel [le président d’alors] qui était à fond pour ce choix-là et s’est occupé du dossier. » »
A ce moment-là, Mola dirigeait Albi en Pro D2 et affichait un pedigree relativement modeste, avec des passages à Mazamet (Fédérale 2, 2005-2006), Castres (2006-07) et Brive (2008-2012)…
« Il avait une expérience de joueur, il connaissait la maison par cœur, justifie Novès. Comme Yoann Huget, il a évolué ailleurs [à Dax puis à Castres] avant de revenir. Il a pu côtoyer d’autres clubs, voir d’autres façons de travailler et faire la synthèse. Cela a mis un peu de temps, le temps de mettre sa patte, de repartir sur une nouvelle génération. Il a su profiter de l’arrivée de jeunes joueurs talentueux, grâce au travail de Valérie Vischi-Serraz et Michel Marfaing [directrice générale et directeur sportif du centre de formation] ainsi que de tous les éducateurs. »
Le scud d’Albacete
D’abord, il a fallu accompagner vers la sortie une génération glorieuse, mais largement trentenaire, qui l’a parfois eu mauvaise. Avant de quitter les Sept-Deniers au printemps 2017, le deuxième ligne Patricio Albacete avait ainsi sorti la sulfateuse contre son coach : « Le costume était peut-être trop grand pour lui, avait griffé le Puma dans L’Equipe. Il n’avait pas les épaules pour reprendre un groupe comme ça. »
« Sortir 23 ou 24 joueurs en l’espace de deux saisons, on savait que ça n’allait pas être anodin, ni sans conséquence », confiait Mola fin mars à 20 Minutes. Julien Raynaud a observé ça de loin. Enfin, pas de si loin que ça, puisque l’ancien troisième ligne de 31 ans, reconverti dans l'immobilier, travaille à Albi et Toulouse. En 2014-2015, il était le capitaine du club tarnais, surprenant demi-finaliste de Pro D2 sous la houlette de Mola.
« En une seule saison, il avait réussi des prouesses avec un tout petit budget. Si on n’avait pas eu autant de blessés dans un effectif restreint, je pense qu’on aurait même pu monter en Top 14. »
Au sortir de deux années sans banc, mais dans un fauteuil de consultant sur Canal+, l’actuel Toulousain maniait management « à l’ancienne » et volonté de jouer. « Après ses discours d’avant-match, on avait tous envie d’aller au feu, se rappelle Raynaud. Il était très exigeant, nous demandait beaucoup d’engagement mais il était aussi tout sauf restrictif en termes de jeu. Si dans nos cinq mètres, il y avait un décalage à jouer, il fallait y aller ! Quand il est parti, ça a été un coup dur, même si j’étais très content pour lui. »
Albi, la saison charnière
Selon l’ancien flanker, son passage au SCA (le club est aujourd’hui en Fédérale 1) a relancé la carrière d’entraîneur du natif de Sainte-Foy-la-Grande, en Gironde. « Pour lui, cela a été la saison du renouveau. Quand il est arrivé dans notre club, il était encore très, très marqué par la fin de son aventure à Brive. » Fronde de joueurs, embrouille au sein du staff et relégation en Pro D2 au printemps 2012 pour finir… La Corrèze n’est pas toujours le petit paradis bucolique chanté par Trois Cafés Gourmands.
Ragaillardi par ses prouesses tarnaises, Mola n’a donc pas hésité à changer d’univers pour retrouver le Stade Toulousain, malgré les appels du pied de Toulon. « Je pense qu’au début, il s’est posé la question de sa légitimité après Guy Novès, analyse Raynaud. Ce n’était pas le vrai Ugo. » Avec un CV de coach bien plus léger que le palmarès de nombreux cadres Rouge et Noir, la mission n’a pas été aisée.
Mais après l’annus horribilis de 2017, Toulouse a remonté la pente, avec un savant mélange de cadres motivés et de jeunes affamés, à l’image de Romain Ntamack. « L’an dernier, je n’avais qu’une hâte, jouer tous les week-ends, se souvient l’ouvreur ou centre prodige de 19 ans. Ugo a fait le choix de me couver un peu, comme il l’a fait avec d’autres jeunes. Au début, on ne le comprend pas trop, puis on se dit que c’était la bonne solution. »
Une démarche qui ne surprend pas Guy Novès. « Lorsque je l’avais comme joueur [jusqu’en 1996], j’avais déjà cerné cette tête bien pleine, qui lui donne cette capacité à s’adapter. La victoire, c’est toujours facile. Mais il faut avoir la force de caractère pour digérer les échecs. »
Loué après avoir été éreinté, Mola adopte un discours philosophe. « J’ai la faiblesse de penser que je ne suis pas plus mauvais ou bien meilleur qu’il y a deux ou trois ans. » Simplement mieux placé pour accrocher enfin un premier titre à son palmarès, et dépoussiérer celui du Stade Toulousain.