Mondiaux de hand: «Les loups ne se mangent pas entre eux»... L'histoire de la difficile transition entre Dinart et Onesta
HANDBALL•Les deux hommes ne se parlent presque plus et l’ancien boss des Bleus n’a plus d’influence dans le vestiaire…B.V.
L'essentiel
- Malgré leur relation au fil des ans, Claude Onesta et Didier Dinart ne se parlent presque plus.
- La transition entre les deux entraîneurs de l'équipe de France n'a pas été aussi aisée qu'on le pensait.
Bromance version handball français, légère touche de Marcel Pagnol pour La gloire de mon père. Didier Dinart qui saute dans les bras de Claude Onesta après une victoire historique, image vue à peu près cent fois pendant la décennie dorée de l’équipe de France. Sincère complicité, profond respect. Relais sur le terrain comme dans le vestiaire du grand gourou Onesta, l’homme fort de la défense française avait tout pour devenir son successeur naturel au moment de tourner la page et assurer une transition smooth as butter. Raté.
Dans les faits, ça va. Depuis que Claude Onesta a décidé de passer petit à petit la main à Didier Dinart, l’équipe de France a fait le job : une médaille de bronze aux championnats d’Europe en 2018, une finale des JO en 2016 et un titre mondial en 2017 que les Bleus vont tenter de conserver ce week-end en commençant par une demi-finale vendredi face au Danemark (17h30). En coulisses, c’est moins évident. Les relations entre Didier Dinart et son mentor sont glaciales, voire inexistantes. Et Onesta, désormais en charge de la haute performance pour Paris-2024, n’a plus la moindre influence sur le groupe.
Comment en est-on arrivé là ? On rembobine un peu. Au lieu de définitivement partir après les JO de 2016 qui avaient déjà laissé augurer certaines mésententes entre les deux hommes, Onesta n’adoube pas son adjoint et homme à tout faire Dinart comme nouveau patron des Bleus. Et invente une drôle de formule pour le Mondial 2017 en France : il sera « manager général », Didier Dinart se contentant du titre d’entraîneur aux côtés d’un Guillaume Gille, fraîchement introduit dans le staff. Dans les faits, Dinart fait tout : tactique, entraînement, choix de joueurs. Mais Onesta continue de prendre la lumière, d’être l’interlocuteur de la presse, de distribuer les bons et les mauvais points et se réserve même le droit de « prendre la parole si les choses dérapent ».
« On ne peut pas être le "fils de" en permanence »
Dinart ne supporte pas et le fait savoir. « Il y a eu des frictions, un cafouillage dans le cœur du réacteur, admet Philippe Bana, le directeur technique national du hand français. On a été obligé de clarifier les choses car s’il y a trop de tensions, ce n’est bon pour personne. On ne peut pas être le "fils de" en permanence. Il ne fallait pas laisser pourrir la situation. Ils l’ont tous les deux bien compris : les loups ne se mangent pas entre eux. Ce n’était pas dans la difficulté, ça s’est fait tranquillement, mais je crois que cette transition, cette période de no man’s land est un passage obligé ».
Claude Onesta, qui a régné en patron sur le hand français pendant près de 15 ans, finit « naturellement par faire les deux pas en arrière ». Sortir de son influence n’avait rien d’évident, au même titre qu’il a lui aussi eu du mal à lâcher la corde. Bana, encore : « C’est un peu la même chose que quand Daniel Costantini est parti. C’est difficile d’être et d’avoir été pour ces gigantesques entraîneurs, de quitter la lumière. Et pour nous c’est complexe de les accompagner dans ces moments de vie, de les aider à prendre de la distance mais avec respect, car le type a été extraordinaire. »
Costantini, parlons-en justement. Double rembobinage : victoire aux Mondiaux à Paris en 2001, l’entraîneur qui a appris le haut niveau aux Bleus quitte l’équipe de France et laisse sa place à Claude Onesta. Là aussi, la transition est tumultueuse. Bertrand Gille, consultant du diffuseur BeIN Sports et ancien pivot historique des Bleus, évoque « la difficulté pour les deux hommes à collaborer ». Plus tard, Onesta reproche ainsi à son prédécesseur de l’avoir « laissé se démerder » avec une équipe qui était alors en reconstruction, ainsi qu’une présence médiatique gênante (tiens tiens).
« Pas de terreau Onesta » en équipe de France
« En même temps ça ne lui est jamais venu à l’idée de me demander de l’aide et les gens autour de lui l’ont poussé à se démerder, explique Costantini. On a compris en 2006 qu’Onesta était l’homme de la situation mais avant, en 2002, 2003 ou 2004 c’est dur. Mais oui, j’ai un constat d’échec sur cette transmission. C’est pour ça que je suis étonné que celle entre Dinart et lui soit difficile, je la pensais harmonieuse, que toutes les précautions avaient été prises. Peut-être qu’il y a une malédiction dans la transmission du hand français ? »
Peut-être Onesta a-t-il voulu trop bien faire pour éviter que l’histoire ne se reproduise. « Ça ne vous aura pas échappé que je suis dans une phase de transmission et il faut que j’accepte que, par moments, ce qui arrive derrière ne ressemble pas forcément trait pour trait à ce que moi j’avais mis en œuvre, expliquait-il au cœur des JO-2016. Quand parfois vous devez vous taire parce que ça ne vous correspond pas mais que vous vous rendez compte que les nouveaux ajustements sont bien vécus par les joueurs, c’est l’essentiel. Donc je suis un peu dans l’inconfort, mais c’est l’inconfort de ceux qui ont accepté d’accompagner les suivants. C’est tellement plus simple et plus habituel de partir et de critiquer. »
Cette histoire, pour lui, s’est donc finie par une mise au point entre quatre murs. Et aussi grâce à quelques choix tactiques décisifs de Dinart au Mondial-2017, qui ont assis le leadership du Guadeloupéen en même temps qu’ils offraient le titre aux Bleus. Et éloignaient définitivement l’ombre d’Onesta : « Son cœur est resté handballeur et je passe mon temps à le croiser, mais il a pris une vraie distance avec le milieu car il a d’autres missions, assure le DTN. Il n’y a pas de terreau Onesta ou de présence d’arrière-plan ».
« Je ne crois pas qu’il y ait beaucoup de relations aujourd’hui entre Claude et Didier, confirme Bertrand Gille. Il existe une dimension de paternité, de vécu commun et de valeurs communes. » Mais c’est tout. Dinart, avec son caractère, son management et ses idées, n’a pas mis longtemps à obtenir l’adhésion de joueurs qui finalement, ont plutôt été protégés de tout ça. Le handball français a ça pour lui que même quand il y a des fritures d’ego, l’intérêt supérieur prime toujours. « C’est bien là l’essentiel, poursuit l’ancien pivot. La continuité de la performance et l’envie de s’inscrire au plus haut niveau. Du point de vue des joueurs, la transition s’est plutôt bien passée ».