Cop 24: «Dans 30 ou 40 ans, est-ce que le ski de compet' existera encore?»... Le futur très gris des sports de neige
SPORTS D'HIVER•Le ski de haut niveau est pris dans un vilain cercle vicieux qui pourrait lui coûter cher...William Pereira
L'essentiel
Levi, Finlande, mi-novembre. Au sud du cercle polaire, Marcel Hirscher et Mikaela Shiffrin s’imposent sans grande surprise sur les slaloms hommes et femmes dans des conditions, elles, déroutantes pour la saison. La piste faiblement – et artificiellement - enneigée contraste avec la verdure des sapins environnants : normal, les températures peinent à rester durablement sous zéro. « Vendredi [30 novembre] on est parti de là-bas, la route on l'a faite sous la pluie… C’était du zéro, moins un… Le minimum qu’on ait eu à Levi c’est -9. », s’inquiète Christophe Saioni, entraîneur des équipes de France de ski alpin en Coupe d’Europe, qui ne manque pas de rappeler que des années en arrière, on descendait sans sourciller jusqu’à -20 à région et époque identiques.
Les pôles se réchauffent, c’est un fait (le CNRS évoque les +2,3°C dans l’arctique canadien depuis le début du XXe siècle). Les glaciers les suivent au même rythme, explique Ludovic Ravanel, géomorphologue. « Au XXe siècle, les températures ont grimpé de 2°C dans les Alpes alors que la hausse a été de 0,74°C dans le monde. Cette augmentation affecte le permafrost, là où le sol est normalement durablement gelé. De la glace joue le rôle de ciment de nos montagnes. Ce ciment est tout simplement en train de fondre. »
Fonte des glaciers = moins de ski hors-saison, plus de muscu et prépa en hémisphère sud
Et c’est tout le terrain de chasse estival des skieurs alpins qui fout le camp – les fondeurs et biathlètes ont eux la chance de pouvoir skier sur roulettes. Le très expérimenté Johan Clarey, dont les premières années ont été bercées par les pistes enneigées de Tignes, peut en témoigner :
« « il y a des endroits que je regarde en repensant à mon enfance. Là où il y avait de la neige, maintenant ce sont des cailloux. Sur les dix dernières années, la fonte s’est accélérée de manière impressionnante à tel point que cet automne on n’a pas pu s’entraîner du tout là-bas pour la toute première fois. » »
C’est pourtant pas faute d’avoir eu un hiver 2017-18 fortement enneigé pour la première fois depuis des lustres si l’on prend pour parole d’évangile le récit que nous en fait Anne-Sophie Barthet. « On n’a pas pu cacher notre enthousiasme mais surtout notre stupéfaction devant les mètres de neige accumulés. C'est vous dire...des millénials stupéfaits de voir de la poudreuse à gogo ! Moi, je n'avais jamais vu ça de ma vie. » « Mais le problème, ce n’est pas la neige, on n’a pas besoin de -20 pour qu’elle tombe, mais qu’elle ne tient plus », complète Saioni.
Les étés défilent, battent tous les records de chaleur et changent les neiges en eau et obligent les skieurs à passer le plus clair de leur temps en salle de muscu – Clarey évoque un tiers de temps de ski en moins pendant la préparation en comparaison à la décennie précédente. Pour skier l’automne, il faut donc voir ailleurs, dans l’hémisphère sud. Depuis le début du siècle, au moins une partie des groupes de ski alpin français dévale les pentes d’Ushuaia (Argentine) pour préparer la saison. Et au rythme où vont les choses, il ne sera plus possible de faire autrement.
Y’a plus de saisons ma bonne dame
Quatre mois plus tard, la galère persiste ; l’hiver peine à arriver et la saison européenne à se lancer. Le combiné, la descente et le Super-G dames des 14, 15 et 16 décembre à Val d’Isère ont été annulés par la FIS, faute de neige et de grand froid. « Toutes les stations des Alpes et des Alpes du Nord comme en Italie, sont équipées comme des malades en canons à neige mais malgré tout, là c’est compliqué. Il re-pleut à 2000 m en Europe. On est quand même le 3 décembre [date de l’entretien] et des sites, par exemple en Autriche à Reiteralm, viennent d’ouvrir avec un mois de retard. », soupire le coach français. Bref, y’a plus de saisons ma bonne dame. Ou du moins, ce ne sont plus les mêmes, théorie soutenue par nos trois interlocuteurs. Barthet : « j'ai l'impression que les saisons se décalent un peu dans le temps. L'automne prend la tournure d'un été indien et le vrai printemps attaque mi-mai. »
A 37 ans, Johan Clarey pourrait raccrocher les skis et s’en foutre, mais en appelle à la fédé internationale (la FIS). « Il faut repenser notre sport. » Ou comment basculer sur la question du ski du futur, en se demandant si on n’y est pas au moins rentré dans la question du maintenant depuis nos JO de Sotchi passés à siroter des boissons en t-shirt au bord de la mer noire. Chacun se fera son avis sur la question, mais les entraînements d’Anne-Sophie Barthet en t-shirt en Autriche au mois de janvier ou ses sorties de février dans le Tyrol sur piste artificielle sous le regard de vaches se délectant tranquillement de pâturages délaissés par la neige, poussent à croire qu’on a déjà un gros pied dedans. Il s’agit donc de voir ce qu’on peut faire pour « repenser » le ski de compétition et minimiser le risque de report ou de suppression pur et simple des courses à moyenne-basse altitude liés aux altérations climatiques à venir.
Le ski de demain : hypothèses, solutions et fatalité
- Revoir le calendrier : L’idée part du postulat que les compétitions automnales sont en inadéquation avec l’évolution du climat – on prédit de trois à cinq degrés de plus dans les massifs d’ici la fin du siècle – et fait l’unanimité, même si tous n’ont pas le même projet pour le ski de compétition 3.0. Saioni s’interroge sur la possibilité de pousser la saison plus loin que fin mars, et plus haut, où l’espace risque cependant de manquer aux fondeurs (« pourquoi pas aller sur des grosses stations d’altitude sur les fins de saison. Cette année on pouvait skier à Tignes, Val d’Isère dans des conditions extraordinaires au mois de mai »). Mais rappelez-vous de ce qu'on disait plus haut: le permafrost souffre avec le réchauffement, rendant le terrain instable, et il va devenir de plus en plus dangereux de skier tout la haut.
La solution de Clarey, une Coupe du monde condensée (il faut « envisager 2-3 mois plus intenses avec beaucoup plus de ski mais des saisons raccourcies »), semble en ce sens beaucoup plus compatible avec les observations des spécialistes. « Les évolutions climatiques font que les conditions de bonne pratique sont de plus en plus courtes », nous disait plusieurs jours auparavant Jean-Christophe Bèche, guide dans le massif du Mont-Blanc depuis 1978.
- L’indoor : Celle que tous veulent éviter, à commencer par « Yo » Clarey : « Déjà, au niveau écologique ça serait catastrophique. Et puis le ski pour moi c’est la liberté, les conditions changeantes. Honnêtement, si on en arrive à l’indoor, autant arrêter tout de suite ça vaudrait mieux. » En plus de ne guère générer d’enthousiasme, l’option aller skier dans un frigo à Dubaï en 2050 serait synonyme de disparition de certaines épreuves. « La Descente et le Super Géant n'existeraient plus car ces disciplines demandent du dénivelé. La vitesse en général serait moindre, les pistes sans surprise. Bref ce ne serait plus le sport spectaculaire d'aujourd'hui mais on pourrait trouver des formats type parallèle qui pourraient faire illusion », imagine Barthet.
A l’inverse, le fond et le biathlon connaissent bien l’environnement pour faire une partie de leur prépa automnale dans des salles réfrigérées et apparaissent comme plus « indoor-friendly ».
- La science au service des montagnes : Là aussi, plusieurs options, comme le snow-farming évoqué à maintes reprises par Christophe Saioni. Pour faire simple, on enfouit de la neige hivernale sous 40 bons centimètres de sciure. Le procédé limite les pertes à 20% et rend la neige plus compacte et résistante. L’entraîneur émet aussi l’hypothèse d’user de « canons à neige pour essayer de préserver les glaciers en haute altitude ».
Mais ces subterfuges permettraient au mieux de jouer la montre. Un rapport alarmiste de l’université canadienne de Waterloo avant les JO de Sotchi évoquait, dans un scénario pessimiste, l’impossibilité pour onze anciennes villes hôtes des olympiades d’hiver (dont Grenoble et Chamonix) de les accueillir à nouveau à l’horizon 2080 à cause de la chaleur.
« Paradoxalement on subit de plein fouet les effets du réchauffement climatique mais on n’est pas un sport écologique », reconnaît Clarey. Même si les consciences s’éveillent timidement, le fatalisme prend le pas chez les skieurs, tout simplement bloqués dans un cercle vicieux qu’on pourrait résumer en :
Réchauffement climatique > moins de neige en Europe > recherche de neige dans des contrées lointaines > Empreinte carbone désastreuse (un Paris-Ushuaïa = environ 7,5 tonnes de CO2) > pollution > Réchauffement climatique
« On ne va pas à Ushuaïa de gaïté de coeur et je préfère largement rester dans notre beau pays. Mais je suis une skieuse et j'ai besoin de faire du ski pour m'entraîner, alors une fois par an, je pars pendant un à deux mois dans un pays lointain et je prends un avion avec 400 autres personnes qui consomme du kérosène parce qu'il n'en existe pas qui fonctionnent au bioéthanol », regrette Barthet.
« On voyage avec énormément de matos, on fait beaucoup de route en camion, on embarque beaucoup de matériel dans les avions… C’est encore un peu tabou sur le circuit de dire ce genre de choses, je vais pas le cacher, mais on n’est pas un sport écologique », soupire Johan Clarey. Que faire pour que ça change ? Doit-on sacrifier les compétitions internationales et revenir à un format au pire continental ? « Une coupe d’Europe, même chez nous… les Suédois, les Finlandais il faudrait qu’ils descendent ici », coupe Saioni. « Ou alors on serait condamnés à rester chez nous comme avant et donc on abandonne la confrontation et l’idée de chercher une référence du ski mondial ».
L’hypothèse ne ravit guère, mais Clarey l’envisage. « Dans l’avenir, je ne sais pas si on va pouvoir continuer de faire du ski de compétition, dans 30 ou 40 ans, est-ce que ça existera encore à ce rythme ? » Si la morale et la conscience écologique ne s’en chargent pas, l’économie le fera à leur place. Il poursuit:
« « Le ski va évoluer, devenir plus cher et élitiste. Il y avait eu un grand boom dans les années 70, mais là, ça va demander de plus en plus d’investissement et fatalement il y aura moins de pratiquants. » »
Donc moins d’athlètes, donc moins d’intérêt, donc moins d’argent pour les fédés. Saioni: « A terme, ça sera très compliqué pour les fédérations moyennes de prendre en charge les déplacements ». Reste à savoir qui périra en premier : les neiges altières, ou le ski de très haut niveau?