Ballon d’Or: Kane plutôt que Griezmann ou Modric... Et si tout se jouait sur les votes singuliers de certains pays?
FOOTBALL•«20 Minutes» a interrogé quelques jurés qui se sont distingués l'an dernier par leur choix étonnant, alors que le match pour remporter le précieux trophée est le plus ouvert depuis dix ans...N.C., J.L., A.L.G., B.V.
L'essentiel
- Le vainqueur du Ballon d'Or 2018 sera connu lundi 3 décembre.
- Le jury est composé de journalistes du monde entier (176 l'année dernière), qui doivent établir un classement des cinq meilleurs joueurs de l'année selon eux.
- Alors qu'une grande majorité vote pour les mêmes joueurs, 20 Minutes a contacté ceux dont les choix ont pu paraître surprenants en 2017, pour savoir quels étaient leurs critères de décision.
Une fois les petits fours digérés et les paillettes balayées, c’est le grand jeu qui nous occupe chaque lendemain de cérémonie du Ballon d’Or. France Football, l’organisateur du prestigieux trophée, dévoile le détail des votes des journalistes, pays par pays. Notre moment préféré, où l’on guette les choix les plus surprenants. Avec, soyons honnêtes, un poil de condescendance parfois en voyant le top 5 de certains pays nous rappelant nos lacunes en géographie - vous connaissiez, vous, les Îles Turques-et-Caïques ?
D’où l’idée, alors que le match est très ouvert cette année entre Modric, Griezmann, Mbappé, Ronaldo et d'autres, de s’intéresser à ceux qui votent à contre-courant. Qui n’avaient pas, par exemple, fait comme environ 99,9 % des 176 votants en 2017, à savoir mettre Cristiano Ronaldo et Lionel Messi aux deux premières places, quel que soit l’ordre. Qui sont-ils ? Quels sont leurs réseaux ? Pourquoi mettre Aubameyang en numéro 1 ? Premier coup dur dans cette quête, le Sri-Lankais Hafiz Marikar ne nous a pas répondu. Dommage, son vote était de loin le plus original, avec un podium Bonucci-De Gea-Falcao, suivis par Hazard et Kane. Aucun joueur du Real Madrid ou du Barça dans les cinq, voilà de quoi titiller la curiosité.
Plus de chance du côté de Vanuatu, où Raymond Nasse, qui dirige la rubrique football du Vanuatu Daily Post, prend le temps d’expliquer pourquoi il avait choisi de coucher le nom d’Harry Kane en premier sur sa liste, devant Neymar, Ronaldo, Messi et Lewandowski. « Pour moi, c’était l’attaquant qui avait le plus progressé de manière spectaculaire, dit-il. Surtout, pas grand monde ne l’attendait à un si haut niveau. »
Autre réponse, venue d’Afrique cette fois. Ce journaliste, qui tient à son anonymat, avait également placé un joueur de Premier League en tête. « Ronaldo ou Messi n’ont pas eu une bonne saison l’année dernière, justifie-t-il. Ils n’ont pas été influents dans leur équipe comme Modric a pu l’être cette année, par exemple. Mon vote est lié à la contribution d’un joueur à son équipe pour une saison. »
« Je sais que j’ai une responsabilité »
Si vous vous posiez la question, sachez que l’éloignement ou le décalage horaire n’empêchent pas ces professionnels de regarder toutes les grandes compétitions, notamment en Europe, où évoluent les meilleurs joueurs. « J’ai accès à la Liga, à la Premier League et la Bundesliga, assure notre journaliste africain. Je sais que j’ai une responsabilité. Je regarde beaucoup de football. Pas tous les matchs, mais beaucoup de football. »
Voilà bien le point commun entre tous les journalistes avec qui nous avons pu échanger, d’où qu’ils viennent. « Je regarde tout. Les grands championnats européens, les sélections, les coupes d’Europe », énumère l’Érythréen Michael Seium. Lui s’était distingué en plaçant Pierre-Emerick Aubameyang en tête. « Il a tout de suite eu un impact positif dans son équipe. C’est un super buteur et à Dortmund, il a montré qu’il avait quelque chose de spécial que les autres n’ont pas ».
Mais quand même, de là à voter pour lui en numéro 1, alors que les critères mis en avant sont le palmarès et l’influence du joueur dans la saison de son équipe ? Michael Seium assume complètement son choix. « Je ne regrette pas, et je pense que les votants ne devraient pas se laisser influencer par le choix de la majorité, assène-t-il. Je trouve que Messi et Ronaldo ont capté presque toute l’attention et qu’on en a un peu oublié tous les autres. Bien sûr, ce sont deux énormes joueurs de clubs, mais à mon sens ils ne le sont pas assez pour aider leur sélection lors des grands évènements internationaux. Et même si Ronaldo a été performant et constant, je trouve qu’on était en droit d’en attendre plus de lui avec le Portugal. »
L’argument peut être jugé recevable, ou pas. La question ne se pose même pas, en fait. La liberté est évidemment totale, et les organisateurs ne vont pas rayer un juré de la liste pour choix non conventionnel. « On ne regarde pas du tout quels ont été leurs votes. On leur donne une liste de 30 et ils choisissent, donc à partir de là, chaque vote est légitime », indique Thierry Marchand, journaliste à France Football. Les votants recalés d’une année sur l’autre sont rares. « On change les journalistes qui ne votent pas pour une raison ou pour une autre, surtout si c’est deux années de suite. Et c’est arrivé qu’on en remplace certains parce qu’ils avaient écrit des papiers où ils critiquaient le choix du Ballon d'Or », développe Marchand.
Pour tous, voter pour le Ballon d’Or est une affaire très sérieuse
Pour constituer son jury, mondialisé depuis 2007, FF s’appuie sur le réseau de ses journalistes, sur ses correspondants, les agences de presse ou les Fédérations. Le contact se fait parfois directement par Internet, pour les territoires les plus éloignés. Pour tous, voter pour le Ballon d’Or est une affaire très sérieuse. « C’est très gratifiant, considère Yazid Ouahib, rédacteur en chef et responsable de la rubrique sport du quotidien algérien El Watan. Je le fais de la manière la plus objective et la plus professionnelle possible. »
On le croit, surtout quand après nous avoir expliqué pourquoi il avait placé Isco et Benzema sur le podium en 2017 et comment il avait été critiqué au pays pour ne pas avoir choisi Mahrez en 2016, on l’entend lister les matchs qu’il a vus ce week-end. On doit à peine atteindre ce total en un mois. Le Ballon d’Or, une histoire de votes personnels, donc, mais avec toujours de très bonnes raisons de le faire.