Tournoi de Bercy: Karen Khachanov, l’anti-Safin russe a pris le pouvoir
TENNIS•Le vainqueur de l’édition 2018 semble beaucoup plus posé et cadré que son compatriote, dernier illustre représentant de l’école soviétique…Julien Laloye
Une grande gigue russe de deux mètres qui met des pains des deux côtés et qui se sent comme dans sa datcha moscovite quand il se pointe Bercy, ça vous sonne familier à l’oreille ? Et bien vous avez tort. Karen Khachanov ne partage pas grand-chose avec ce joyeux luron de Marat Safin, en dehors d’un revers délié et d’un exil précoce pour aller bouffer de la terre en Catalogne. Le gars est beaucoup trop équilibré pour ça. A peine 22 berges qu’il pense déjà à remercier sa femme, laquelle n’a pas pu faire le déplacement jusqu’à Paris. Oui, Karen est déjà pris, ce qui a arraché cette anecdote riante de Paul-Henri Mathieu, croisé dans les coursives : « Marat n’était pas marié à 22 ans, il ne l’est toujours pas d’ailleurs ». Trop occupé à profiter de la vie.
Pas de joie ostentatoire après la victoire
Jamais trouvé un mot de l’idole de nos années 2000 à propos de Khachanov. Pour ce qui est de la réciprocité des sentiments, c’est un peu moins obscur : Le tombeur de Djokovic reconnaît sans peine qu’il a grandi en admirant les exploits de son aîné. Il n’y avait d’ailleurs que lui pour se souvenir des adversaires battus par Safin en finale de Bercy, un tournoi qu’il a remporté trois fois. Philipoussis, Hewitt, et Stepanek. Sinon ? Sinon, on cherche encore de quoi alimenter la comparaison. Guy Forget, le directeur du tournou tente bien le coup des similitudes de personnalité. « Comme Marat, Karen est un garçon attachant, très généreux, très apprécié de la part des autres joueurs du circuit ». Un peu maigre.
aAutant Safin était connu pour son caractère volcanique sur et en dehors du court, autant son potentiel successeur est un modèle de tempérance. Le garde a désossé Djoko (certes émoussé par son match Hunger Fames contre Federer) et il a fêté ça comme si c’était un tournoi de kermesse à Kitai Gorod.
« Je ne pleure pas mais je suis très content »
« Je me sens bien, merci. Ce n’est pas normal évidemment, c’est un de mes plus gros titres, la consécration d’une très bonne saison. Je ne pleure pas, Ok, mais ça ne veut pas dire que je ne suis pas très content ». Intérieurement, alors. Même la teuf de victoire dans l’intimité du Players manque de la folie safinesque des grandes heures. Vedran, l’entraîneur (qui a percé avec Ivanisevic), nous congédie sans trop de manières pour regarder son portable, et la famille, frères, sœurs, cousins, zyeute le champagne sans trop y toucher. Le sentiment que cette première victoire au Masters fait partie d’un projet plus grand. Forget est bluffé :
« « Au moment de conclure, il ne flanche pas, il est extrêmement solide, il met un genou à terre à Djokovic. Khachanov semble très bien construit mentalement, il a montré qu’il était capable de tenir la pression quand il est dos au mur. Ce sont des choses qui ne trompent pas ». »
Référence à ce début de match compliqué, quand Djokovic mettait ce qui lui restait sur le court pour plier la finale avant que le type en face se rende compte qu’il est bouilli. De 1-3 à 7-5 avec des coups de martien et une attitude générale remarquable si on considère la qualité de l’opposition. Pas mieux que Djoko pour faire le résumé : « Il a montré pourquoi on allait le voir souvent dans le futur ». Désormais 11e mondial avec peu de points à défendre dans les six prochains mois, Karen a la tronche du mec qui va tout casser d’ici Roland, qu’il pourrait aborder top 5 sans forcer. Paul-Henri Mathieu : « Il a été monstrueux. La sérénité qu’il a dégagée assez hors norme. Sa gestion des émotions est impressionnante. Il a réussi à ouvrir une porte qui va lui permettre d’aller chercher des Grands Chelems ».
Des Grands Chelems, carrément. Comme Marat, le dernier russe à être monté aussi haut. Ce qui leur ferait enfin un autre point commun que leur ville de naissance et leur nationalité : « Safin a gagné des tournois immenses, plus grands que celui-là, souhaitons la même carrière à Khachanov, juge Forget. Mais s’il continue à travailler comme ça et à gommer quelques imperfections dans son jeu, imaginez où il sera dans un ou deux ans ». On a bien une petite idée.