Coupe du monde 2018: «Ce n’est pas une question de chance», comment l’Angleterre s’entraîne pour briser la malédiction des tirs au but
FOOTBALL•La sélection britannique a été éliminée six fois en grande compétition de cette manière depuis 1990…Julien Laloye
De notre envoyé spécial à Moscou,
Un épisode de plus à ranger dans l’armoire à légendes des tirs au but au petit bonheur la chance. Russie-Espagne dimanche à Loujniki, et le sang-froid impressionnant des tireurs de la Sbornaya, qui semblaient n’avoir que ça en tête depuis le but miraculeux de Dzyuba. Vous supposez mal, nous explique Cheryshev : « On n’avait rien préparé du tout, le coach a demandé que les volontaires pour y aller lèvent la main, et les cinq premiers ont tiré ». Une joyeuse improvisation qui doit briser le petit cœur de chaque supporter anglais qui nous lit (20 minutes est très populaire dans le Sussex).
aSouthgate, le mieux placé pour savoir ce qu’il en coûte
La malédiction des Three Lions dans l’exercice est devenue proverbiale : six échecs en série lors de la bonne vieille séance de pénoches depuis 1990, pour une seule expérience réussie à la maison en quarts de finale de l’Euro 96, aussitôt effacée par une élimination à pleurer contre l’Allemagne. L’auteur malheureux de penalty manqué (et bien salement) se transmet de génération en génération dans les bonnes maisons de Londres. Un certain Gareth Southgate, le sélectionneur actuel de l’Angleterre, qui se souvient beaucoup trop clairement de la scène pour le Times :
« « Terry Venables [alors manager] est venu me demander si j’avais déjà tiré des penaltys et si j’avais envie d’être volontaire. J’ai répondu oui. En fait, j’avais tiré un seul penalty trois ans auparavant avec Crystal Palace. Bien sûr, je l’avais manqué ». »
Tous les prédécesseurs à son poste ont géré le traumatisme à leur manière. Certains ont essayé un préparateur mental deux jours avant un quart de finale de Coupe du monde contre le Portugal en vain (Eriksson), d’autres ont carrément choisi de faire comme si le sujet n’existait pas (Hogdson). Southgate, lui, a assez souffert de cette impréparation coupable. Il a mis son staff et ses joueurs à la planche sur le sujet depuis le mois de mars, après avoir testé quelques pistes en équipes de jeune.
Une liste de cinq joueurs déjà établie ?
Notre fulgurance préférée ? Avoir tenté le parallèle avec le putting du golfeur. Dan Asworth, cadre technique de la fédération britannique : « On a organisé des petites compétitions dans les salles de réunion des hôtels où l’on résidait. Deux équipes de cinq, et une chance pour rentrer le putt, avec les autres joueurs qui ont le droit de crier et de vociférer. C’était une idée pour avoir une approche différente d’une séance de tirs au but ». Le même Asworth a pris connaissance d’une étude éclairante menée par le Norvégien Geri Jordet. Ce psychologue du sport a étudié toutes les séances de tirs au but qui ont dû départager deux équipes en Coupe du monde entre 1976 et 2010 (Un échantillon de 500 penaltys), pour constater que les Anglais étaient ceux qui prenaient le moins de temps pour s’élancer: 0,28 secondes seulement après le coup de sifflet de l’arbitre, comme on veut se débarrasser de la mort en poussant le voisin pour passer à l’abattoir avant lui.
Les 23 joueurs du groupe anglais (moins les gardiens), ont donc été invités à tenter leur chance après chaque session d’entraînement en partant du milieu de terrain, sans courir, pendant que l’équipe d’analystes vidéo se chargeait d’accumuler toutes les données possibles sur les habitudes des gardiens adverses, dont le Colombien Ospina. Southgate encore :
« « Définitivement, les tirs au but ne sont pas une question de chance. C’est une question de savoir être performant dans un exercice particulier. Il y a des aspects individuels sur lesquels on peut travailler, même dans le staff. Il faut savoir qui dirige, qui doit dégager du chemin, qui peut parler avec clarté aux joueurs. Il y a plein de choses qu’on peut faire pour maîtriser les évènements et non pas les subir ». »
Les joueurs semblent adhérer, à l’image d’Ashley Young, tireur malheureux en 2012 contre l’Italie (une belle mine sur la barre) : « Tout le monde a envie d’être volontaire. Si on doit en arriver là, j’ai tout à fait confiance en mes capacités pour marquer ».
Le staff britannique s’est également aidé de tests psychologiques visant à déterminer qui serait le plus apte à transformer sa tentative en cas besoin. On a le droit de sourire devant certaines questions (« Aimez-vous être le centre d’attention? », « Est-ce que vous êtes sensibles à ce qu’on pense de vous? »), mais nos confrères britanniques assurent que tous ces critères ont permis à Southgate d’aménager une liste soigneusement cachée de cinq joueurs prêts à devenir la risée du pays une fois de plus. Sans trop se tromper, on peut au moins avancer un nom de notre côté : Harry Kane, meilleur buteur de la compétition, qui a déjà transformé deux penaltys sans trembler dans le jeu. En espérant pour lui qu’il ne connaisse pas le même sort que Franck Lampard, à l’Euro 2004. C’est Ricardo, le gardien portugais sans gants de l’époque qui raconte, dans un vieil article exhumé du Telegraph.
Le rôle primordial de Kane
« Lampard était le premier tireur anglais, et c’était le meilleur qu’ils avaient. Il n’en avait pas raté en club depuis je ne sais pas combien de temps, deux ans je crois. J’ai dit aux autres avant de commencer que si je l’arrêtais, ils étaient morts. Quand je l’ai arrêté, j’ai vu la tête de Ferdinand et de Gerrard, et j’ai vu ce qu’ils pensaient. "Si notre meilleur joueur rate le sien, comment on va s’en sortir?". On avait pris un avantage définitif ». Et Ricardo d’ajouter : « J’avais parlé avec Eriksson avant le match, il m’avait dit que ses joueurs ne voulaient surtout pas arriver jusqu’aux tirs au but. On est arrivé à la séance très confiants ». Voilà un aveu qui ne risque pas de sortir de la bouche de Southgate. Avec ce qu’il a bossé pour venir à bout du sortilège, ce serait malheureux.