La Coupe du monde dans nos vies, épisode 6. «Né 50 ans trop tard»: L'histoire d'Antoine, trentenaire passionné par la Coupe du monde 58
NOSTALGIE•Antoine est né en 1989 et voue un culte aux joueurs de la sélection française de 1958. Ça n’a aucun sens, mais il s’en fout…Hélène Sergent
L'essentiel
- Originaire de Champagne, l’admiration des joueurs de l’équipe de France 1958 et « historiques » du Stade Reims était plutôt tolérée dans la région.
- Une fois débarqué en école de commerce à Lille, les vannes ont commencé à fuser.
Nous sommes tous un peu la Coupe du monde. Qu’on adore ou qu’on déteste le foot, qu’on le suive régulièrement ou une fois tous les quatre ans, qu’on soit né un soir de juillet 1998 ou trente ans avant, nous avons tous une expérience singulière et collective liée à la Coupe du monde. Durant tout le Mondial en Russie, 20 Minutes vous propose de l’explorer chaque jour à travers des témoignages, des interviews, des anecdotes, des jeux, des reportages ou des portraits. Parce que la Coupe du monde, c’est bien plus que juste du foot.
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Just Fontaine a longtemps trôné dans les toilettes d’Antoine. « L’Équipe avait interviewé plusieurs anciens joueurs de l’équipe de France. Le titre de celle de Fontaine, c’était une citation de lui qui disait : "J’ai mis 13 buts, c’est pas mal pour un mec qui n’a pas de prénom". Je l’ai faite encadrer et je l’ai accrochée ». Né en 1989, Antoine Boyet a été marqué « comme tout le monde » par le triomphe de France 1998. « Comme tout le monde », il a affiché dans sa chambre un poster géant de Zidane. Et il a posé « comme tout le monde » en sweater Nike et banane Reebok sur le banc du géant marseillais dans les vestiaires du Stade de France.
Pourquoi alors ce gamin s’est-il cherché d’autres idoles, en noir et blanc ? Nostalgique, pas mélancolique, il a développé une passion incompréhensible pour l’équipe nationale sélectionnée en 1958. « C’est la première grande équipe de France et si on a gagné en 98, c’est aussi grâce à eux, les pionniers, Raymond Kopa, Fontaine, Jonquet et les autres », se justifie-t-il.
Le foot monochrome à papy
Le 12 juillet, Antoine a 8 ans quand l’équipe d’Aimé Jacquet cloue le Brésil. C’est la première fois que le garçonnet frémit grâce au ballon. « Je le revois pleurer à chaudes larmes devant la victoire de la France », se souvient Didier, le père d’Antoine. L’image de l’équipe soulevant la Coupe sert de déclic. « J’ai eu envie de tout connaître sur le foot. Comme on n’avait pas internet, mes parents ont acheté une cassette VHS sur l’histoire de la Coupe du monde depuis les années 1930. Au moment où sont évoquées l’édition 1958 et l’équipe de France, le commentateur cite tous les joueurs du Stade de Reims. J’étais hyper fier qu’on parle de ma ville, ça me touchait ».
Des images granuleuses et du générique kitsch, le jeune homme a gardé en tête une séquence bien nette de la VHS. « Le match perdu en demi-finale contre le Brésil. Dans leur équipe, il y a un joueur de 17 ans qui marque un triplé, c’est Pelé. Y’a aussi ce match un peu fou pour la 3e place qu’on a gagné avec un score final de 6-3. C’est tout ça que j’aimais, le foot monochrome à papy, les scores de loto et les commentaires désuets à la voix nasillarde ». Délaissant les albums Panini – trop actuels – Antoine bricole sa propre Bible. « C’était un gros classeur rouge avec des fiches de joueurs, l’histoire des Coupes du monde, les équipes, il avait tout noté. Et ceux de 1958 y figuraient à bonne place évidemment » se souvient Benjamin, l’aîné de la fratrie. « Je lisais ça comme un Jules Verne, je rêvais de ces joueurs. Fontaine, il a marqué 13 buts en 1958, c’est un record, ça m’impressionnait », confie Antoine.
Un « amour totalement irrationnel »
Adolescent, son amour pour la génération 58 se mue en fascination pour le Stade de Reims, la pépinière de ses idoles enfantines et club de cœur de son père. « C’était pas facile d’être supporter de cette équipe un peu nulle dans les années 2000. Mes potes me chambraient et me disaient que j’étais né 50 ans trop tard », soupire Antoine. Sauvé de la faillite à la fin des années 1970, le Stade de Reims subit de plein fouet sa liquidation judiciaire en 1991. « Maintenant, le club va mieux, mais je cultive toujours ce côté nostalgique à l’époque du "Grand Reims" », concède-t-il. Du chauvinisme régional toléré en Champagne vis-à-vis des joueurs historiques, l’admiration d’Antoine pour les « anciens » détonne lorsqu’il débarque à Lille en école de commerce. « Je me faisais vanner, on me demandait si ça ne me faisait pas bizarre de regarder du foot en couleur et pas en noir et blanc (…) beaucoup de vieilles gloires sont décédées dernièrement (Kopa, Piantoni, Sinibaldi) et à chaque fois mes potes m’ont présenté leurs condoléances sur Facebook ».
Fan de l’OM, son frère aîné Benjamin n’a pas toujours compris les batailles sportives de son cadet. « Son idole contemporaine, c’est Mickaël Tacalfred, un ancien du Stade de Reims évidemment. C’est un défenseur qui n’a, objectivement, rien d’extraordinaire mais Antoine a acheté son maillot, je ne comprends pas, c’est un amour totalement irrationnel », se marre le grand frère. Parti il y a quelques mois pour un tour du monde, Antoine a dû se résoudre à « décrocher » Just Fontaine du mur de ses toilettes. « Mais j’ai pris mon maillot du club et je leur ai proposé de faire une photo avec dans chaque pays que je visitais », glisse le champenois. En échange, le club l’a laissé siffler le coup d’envoi d’un des derniers matchs de la saison. Un rêve de gosse.