VIDEO. Alsace: On a couru avec un traileur aveugle sur les pistes forestières vosgiennes
COURSE A PIED•A 30 ans, le coureur alsacien non-voyant Clément Gass se fait un petit nom dans le monde du trail. Après avoir notamment bouclé une course de 54 km en autonomie, il a partagé une sortie avec «20 Minutes»...Bruno Poussard
L'essentiel
- A 30 ans, le coureur alsacien Clément Gass dispose des records du monde du plus long trail et du marathon en autonomie pour un non-voyant.
- Fin avril, ce traileur déficient visuel a accepté de partager une sortie, équipé, dans les montagnes vosgiennes avec « 20 Minutes ».
- « Le trail est un moyen extrême de montrer ce qu’on peut faire malgré la déficience », explique ce statisticien de l’Insee dans le civil.
Une canne dans une main. Un bâton dans l’autre. Des gants. Et un peu d’eau. Baskets aux pieds, Clément Gass est prêt à sortir en forêt. Avant de commencer à courir, ce déficient visuel de 30 ans n’oublie pas son téléphone. A l’aide d’une application orale, il propose de suivre un de ses parcours depuis Lutzelhouse (Bas-Rhin), où il habite.
Le temps d’un bref réglage au pied du Rocher du Mutzig dans la vallée de la Bruche, les premières indications sortent de son portable au moment de s’élancer. En montée, d’emblée ! Difficilement audibles à l’oreille d’un novice, elles lui donnent des points, des directions horaires, des distances et d’autres informations dès les premières foulées.
Un téléphone, une canne et des pieds pour se diriger
Sur un gros chemin vosgien repéré avec un ami voyant, l’Alsacien n’hésite pas à parler. Nos rythmes cardiaques, déjà, s’accélèrent. Mais Clément Gass doit, lui, faire avec sa canne en plus. Entre terre, graviers et herbes, elle lui permet de sentir les variations du terrain. Et avec ses pieds sensibles, il arrive à suivre le sillon de la piste forestière.
Sur un terrain peu stable en ce jour pluvieux d’avril, ce traileur non-voyant doit rester lucide. Pour 12km et 500m de dénivelé en 1h15. Et d’impressionnants passages à 14 km/h en descente ! Mais un petit entraînement. Ces dernières années, il a participé à un trail de 54 km et battu le record du monde du marathon en autonomie.
Pour montrer que se déplacer seul n’est pas dangereux
Habitué à marcher pour se déplacer, Clément Gass s’est mis à la course il y a bientôt 15 ans. Pour « aller un peu plus loin » autour de son village d’origine du nord de l’Alsace, faire du sport comme son grand frère et gagner en autonomie, justifie-t-il. En discutant, il défend vite sa passion de la nature et une manière de courir (et de vivre) indépendante :
« « Les parents ont parfois envie de surprotéger leurs enfants déficients alors après, on peut facilement se mettre des barrières et s’autocensurer. Car on nous a mis dans la tête que se déplacer seul, c’est dangereux. » »
Son esprit d’aventure, Clément Gass l’a développé au fil des ans. En solo ou entouré. Comme en Corse, qu’il s’apprête à traverser en randonnant sur le GR20. Mais souvent en montagne donc, où il allait en vacances, avant d’y courir et désormais d’y habiter. Depuis son premier trail en autonomie en 2015, il rêve désormais de plus en plus long.
« « Ces moments permettent de se sentir valide, et c’est rarement le cas dans la vie d’un déficient. […] Le trail, lui, est un moyen extrême de montrer ce qu’on peut faire malgré la déficience. » »
Une application co-développée avec un chercheur
Pour avoir déjà parcouru 80 km tout seul et d’une traite à travers les Vosges, craint-il cependant toujours de tomber ? « J’en ai l’habitude, ça ne m’inquiète plus trop, répond-il. Sur un itinéraire habituel, j’ai toujours un peu d’adrénaline, mais pas d’angoisse. » Face au risque, il sait qu’il peut plus forcer en montée qu’en descente, même armé de gants.
Cherchant à homologuer ses records en autonomie (encore inexistants auprès des instances) pour encourager d’autres coureurs non-voyants à s’y mettre, Clément Gass a également aidé à améliorer la technologie dédiée. Avec un chercheur - et en partie à l’université de Strasbourg -, il a participé à développer l'application Openway.
Un aveugle plus en sécurité en forêt qu’en ville
Grâce aux données disponibles en opensource (via Google Maps en milieu urbain, ou aux traces GPS des montres d’autres coureurs en nature) et un algorithme de traitement, l’outil de navigation permet de dégager un certain nombre de points et d’indications pour chaque parcours. Et ce à l’oral à travers une simple et précise application, donc.
« A améliorer sur l’ergonomie », Openway a toutefois de quoi aider « des coureurs et des gens dans leur vie quotidienne », d’après Clément Gass, statisticien de l’Insee à Strasbourg à la vie et également membre de deux associations de déficients à la scène. Son petit frère, aussi non-voyant, en a justement profité pour gagner en autonomie.
Pas à l’abri des blessures, le coureur, touché à la cheville, a pour sa part dû renoncer à ses principaux objectifs de la saison ces dernières semaines. Pourtant, Clément Gass se sentira toujours plus en sécurité en forêt qu’en ville : « Personne n’y laisse traîner sa voiture n’importe où, et il n’y a pas de panneaux trop bas ni de vélos pour vous frôler. »