Mort d’Henri Michel: France-Brésil 86, où le coup tactique d’une carrière qui a changé l’histoire des Bleus
FOOTBALL•L'ancien sélectionneur des Bleus a dirigé l'une des plus belles rencontres de l'histoire de l'équipe de France lors de la Coupe du monde 86...J.L avec B.V
Confession intime et un peu honteuse. Jusqu’à ce mardi, on n’a pas toujours fait le distinguo entre Michel Hidalgo et Henri Michel. Pour ce qui concernait leur règne de sélectionneur des Bleus, s’entend, on n’est quand même pas incultes à ce point. Rendons donc au deuxième Michel, décédé d'une longue maladie ce mardi, ce qui lui appartient : le chef-d’œuvre de Guadalajara, c’est lui. Le France-Brésil le plus spectaculaire de l’histoire du foot français pour ceux qui l’ont connu, bien avant le 12 juillet 1998, même si cela tient un peu de la madeleine de Proust, sûrement.
Quart de finale de la Coupe du monde 1986 au Mexique. La France championne d’Europe contre le dernier Brésil des esthètes, celui de Tele Santana et de Socrates, et un casse-tête chinois pour Henri Michel, privé de William Ayache son arrière-droit titulaire. L’option la plus naturelle ? Replacer Manu Amoros à droite, et faire rentrer (monsieur) Tusseau à gauche. Trop facile. L’ancien milieu de terrain, qui a arrêté sa carrière internationale à peine six ans plus tôt, sent encore le jeu comme s’il était joueur. Il a envie de tenter le diable. Miser sur le volume de jeu du marathonien Luis Fernandez, le Blaisou Matuidi de l’époque, au poste d’arrière-droit, là où les montées du Branco sauvage ont l’art de démanteler les adversaires de la Seleçao.
Le directeur du centre de formation du PSG raconte : « Michel Hidalgo avait eu cette idée lors de l’Euro 1984, contre la Belgique. Parce que l’ailier gauche était très offensif et qu’il comptait sur moi pour contrer. Ça avait été concluant, j’avais même marqué un but (5-0). Du coup, on en a discuté longuement avec Henri. On voulait tenter une petite surprise tactique parce que c’était le côté fort du Brésil avec Branco ». Ne tournons pas autour du pot : on tient la plus mauvaise idée du siècle ou pas loin. Il fait une chaleur de bouc et Fernandez est sur les jantes en cinq minutes : « La température, l’altitude, le rythme, je n’y étais pas du tout ».
aBranco galope sur son autoroute, Müller prend la nationale, et c’est toute l’équipe de France qui se noie. But et poteau de Careca dans la foulée, les Bleus sont proches de la rupture.
Thierry Tusseau, habituel arrière-gauche, replacé au milieu dans le jeu de chaises musicales tactique orchestré par le sélectionneur :
« Luis était un peu esseulé sur son côté droit, il avait du mal à fermer. Ça permettait à Branco de monter énormément et ça procurait beaucoup d’occasions à ces Brésiliens de ce côté-là ». »
Jean-Marc Ferreri, qui assiste au naufrage du banc :
« Les Brésiliens nous mettaient le bouillon il fallait faire quelque chose, renforcer le milieu, comme on jouait souvent avec le carré magique ». »
Tigana, Giresse, Platini sont orphelins de Fernandez. Henri Michel ne persiste pas dans l’erreur. Avant la 20e minute, il remet Luis au centre du village, avec Amoros à droite et Tusseau à gauche. Le match change d’âme presque immédiatement.
Maxime Bossis, titulaire à la charnière :
« Il met Luis Fernandez latéral qui n’était pas son poste de prédilection car il pensait pouvoir apporter offensivement et il se rend compte qu’il est beaucoup plus à l’aise en remettant à droite Manu Amoros. Il a rééquilibré l’équipe car c’était mal engagé, on était tous perdus, ça a pu jouer sur le fait qu’on ait pu revenir dans ce match ». »
L’égalisation de Platini renforce l’impression visuelle : le changement tactique a rassuré tout le monde, commentateurs compris. Ecoutez Dominique Le Glou à Michel Durcker à la mi-temps de la rencontre, diffusée sur la 2.
« Je dois dire qu’au début de la partie j’étais très inquiet, on sentait les brésiliens plus incisifs, la paire Careca-Muller permutait et posait des gros problèmes. Puis, on a vu Fernandez changer de côté et laisser son flanc droit à Amoros. Il a pu monter et apporter la supériorité numérique indispensable à cette équipe de France ». »
Racontée comme ça, l’histoire tient moins du coup de génie que du coup foireux qui a failli précipiter l’élimination des Bleus en moins d’un quart d’heure. « Ce sont les éléments qui font que parfois on prend les décisions, commente Tusseau. Henri a tenté un coup de poker, mais ça flottait côté droit, et il a repositionné. Ce n’était pas révolutionnaire ». Luis Fernandez croit même se souvenir que ce sont les joueurs qui ont demandé la permission au coach de changer.
La réalité ? Henri Michel, élevé au jeu à la nantaise, était un mec plutôt audacieux pour son poste, ce que sa décision de départ confirme. Il n’avait jamais peur de surprendre, dans le bon sens, estime Maxime Bossis :
« C’est quelqu’un qui sentait très bien le jeu quand il était joueur mais aussi comme sélectionneur. Il nous a emmenés à la troisième place. Joueur, c’était un tacticien hors pair, il avait toujours un temps d’avance, bien avant l’arrivée de Platini. Il savait toujours mettre en valeur ses coéquipiers, se servir d’eux. Ça l’a suivi en tant qu’entraîneur et sélectionneur ». »
Le reste appartient à la légende. Les deux barres du Brésil, Bats qui arrête le penalty de Zico qu’il a lui-même provoqué, cette séance de tirs au but suffocante, et les dernières paroles de Thierry Roland pour accompagner Luis Fernandez jusqu’à la surface de réparation. « Allez Luis, allez mon petit bonhomme ». Le contre-pied parfait du joueur en pleine confiance. Tout le contraire du mec qui vient de passer 120 minutes à écoper à un poste qu’il ne maîtrise pas. Qui sait où serait allé ce tir au but, sinon ? Pour ça et pour toute la vie, merci Henri.