Flèche Wallonne: «Au lieu de le critiquer, on ferait mieux de s’en inspirer», pourquoi Valverde mérite mieux que sa réputation
CYCLISME•Le coureur espagnol, unanimement salué par ses pairs, s’avance en grand favori de la semaine ardennaise….Julien Laloye
Pour ceux qui ont autre chose à faire que de mater l’arrivée de la Flèche Wallonne mercredi après-midi [ils ont un vrai boulot], pas la peine de se cailler le lait : ça va se passer comme d’habitude. Un peloton groupé au pied du Mur de Huy, immonde bestiasse de presque 10 % de moyenne sur 1.300 mètres, un amoureux des causes perdues d’avance qui tente de sortir au milieu, Alaphilippe qui se fait sauter le caisson juste un peu trop tôt, et papy Valverde (38 berges) qui étripaille les restes pour sa cinquième victoire de rang en haut du chemin des Chapelles.
Les stigmates de l’affaire Puerto
« C’est la côte parfaite pour mes caractéristiques. J’essaie de faire en sorte que personne ne sorte, j’évalue la distance avant l’arrivée, et je frappe. Si je suis en tête à 200 mètres de l’arrivée, c’est très compliqué de me battre. » Raconté avec pareil dédain, le règne d’Alejandro à la Flèche, qui pourrait bien se prolonger dimanche sur les monts de Liège, file de l’urticaire aux amoureux du vélo. Malgré un palmarès sans égal dans le peloton et une capacité invraisemblable à jouer la gagne sur tous les terrains de janvier à septembre (ou peut-être à cause de ça), la légende noire du Torquemada des Ardennaises lui colle à la selle : dernier loustic rattrapé par la voiture-balai dans l’opération Puerto. et une vieille poche de sang au nom de son berger allemand, soit deux ans de suspension.
La suspicion est éternelle pour l’unique survivant du vélo d’avant, celui qu’on essaie d’oublier à coups de MPCC (Mouvement pour un cyclisme crédible) et d’attaques à l’eau claire, en se bouchant le nez à chaque victoire de l’artiste. Entre 120 et 130 en carrière selon les sources, un talent inné depuis l’enfance et les parents des autres gamins qui lui demandent de ne pas participer aux kermesses de village chez les jeunes pour laisser un peu d’espoir au petit peuple. Christophe Moreau, ancien équipier à la Caisse d’Epargne : « Il est associé à une période et une affaire sulfureuses, mais il a payé sa dette. Depuis, je pense que Valverde a démontré qu’il était un champion avec un grand C. Il gagne des courses avec facilité, légitimité, et même une certaine exubérance. Plutôt que le critiquer, on ferait mieux de s’en inspirer. »
Un des coureurs les plus généreux du peloton
S’inspirer du coureur autant que de l’homme. On en apprend une belle avec Clément, fan absolu de l’Espagnol et fondateur du blog francophone Venga Valverde, une mine d’infos incroyables sur « l’Imbatido », l’un de ses multiples surnoms. « Alejandro fait partie des coureurs les plus populaires du peloton, y compris en France. Pendant le Tour, il est toujours sur le podium des coureurs qui reçoivent le plus de courriers de la part des fans. »
Un petit tour dans les communiqués de presse du partenaire qui organise l’opération pour l’année en 2016. Valverde arrive loin devant Thomas Voeckler et Romain Bardet. Un peu plus, et on va nous dire que la moitié des lettres contient une déclaration d’amour enflammée accompagnée d’un string panthère pour renvoyer l’autographe. « Valverde est toujours très disponible pour les fans, reprend Clément. Il ne refuse jamais une photo. On lui avait demandé une interview pour le blog et il nous avait reçus une demi-heure à la fin d’une étape du Tour, tranquille, dans le hall de l’hôtel. Le premier truc qu’il nous avait dit ? "Je vous connais, ma femme lit ce que vous faites de temps en temps". Il avait été adorable. »
Véridique. Quand la presse lui réclame Quintana au pied du camion de la Movistar, comme si elle avait encore l’espoir d’arracher un mot au mutique grimpeur colombien, Unzué, le manager d’une vie, fait non de la tête avant de proposer Valverde comme on envoie un troufion ramasser les gamelles du régiment au moment de la relève. Le gars est une crème avec tout le monde. Anthony Charteau, deux ans aux côtés de l’Ibère avant de se reconvertir dans les cheminées :
« « Un jour, on se retrouve sur une étape du Cholet Pays de Loire parce qu’il était venu reconnaître une étape du Tour. Il accélère un peu dans une côte, et puis sans faire attention on bascule à trois dans la descente, avec encore 60 bornes à faire. Le genre de situations un peu inconfortables. Et puis là, notre directeur sportif [Yvon ledanois] lui explique qu’on arrive près de chez moi. J’avais pas osé le dire. Valverde vient me voir direct et il m’engueule : "Pourquoi tu m’as pas dit que t’étais du coin ? Maintenant on s’y met et je te promets que tu vas gagner l’étape". Au final, le peloton nous a repris, mais voilà, c’est Valverde. Le gars a roulé à bloc pour faire plaisir à un équipier. » »
Une autre pour la route. Fin mars en Navarre. Alejandro Valderde illumine A travers la Flandres, où il s’amuse comme un petit fou malgré les 15 kilos qu’il rend à la concurrence. Il renonce pourtant à l’un de ses derniers grands rêves, le Tour des Flandres, pour aller claquer un Grand Prix Miguel Indurain sans intérêt la veille au fin fond de la Navarre. En apparence seulement. L’organisateur avait prévu de rendre hommage à José Miguel Echevarri, le fondateur de la Movistar qui était allé chercher Valverde à la Kelme. « La bala » s’est fait un devoir de lui dédier la victoire.
Moreau : « C’est rare un mec qui n’oublie personnemalgré les sollicitations que peuvent engendrer les victoires. Il y a des leaders qui sont des gros cons dans le peloton. Alejandro c’est tout l’inverse. Il va envoyer un jambon Pata negra ou une caisse de Rioja à chaque membre de l’équipe jusqu’au masseur pour fêter une belle campagne de victoires. C’est un leader qui fédère, ce n’est pas pour rien que ses équipiers lui sont dévoués corps et âme. » Se souvenir des têtes d’enterrement dans le bus de l’équipe espagnole le soir du prologue du Tour de France 2017, quand tout le monde avait cru à la fin de carrière prématurée pour Valverde : envolée dans les barrières et rotule cassée.
Un retour comme si de rien n’était
La suite ? Un miracle médical. Les vis sont à peine posées que le Murcian claque des pompes depuis sa chambre d’hôpital. « C’est la génétique, dira le médecin de la Movistar. Alejandro fait partie des êtres humains privilégiés. Je suis incapable d’expliquer comment il a pu revenir à ce niveau après cette blessure. Je pense que personne n’en est capable. » Une réalité : le dinosaure est revenu aussi fort qu’avant avec une dixième classique dans le viseur, comme le grand Eddy Merckx. Il restera même un peu de place pour un maillot arc-en-ciel en fin de saison sur un parcours tracé pour lui.
aParole de fan (Clément) : « C’est le coureur le plus polyvalent du peloton et il ne passe jamais à côté d’une course comme un Nibali. Il s’est mué en attaquant au fil du temps et je pense qu’il peut s’offrir une fin de carrière à la Jalabert, qui s’est fait aimer sur le tard. Pour moi, il est dans le top 10 des plus grands coureurs de tous les temps. Sa retraite laissera un grand vide. »
On a de la marge. Le bonhomme a annoncé qu’il s’y voyait jusqu’en 2020 et les Jeux de Tokyo. C’est qu’il serait foutu de finir sur un titre olympique, le bougre.