Masters d’Augusta: Le public (alcoolisé) des tournois de golf est-il en train de mal tourner?
GOLF•De nombreux incidents ont opposé ces dernières semaines certains joueurs à des spectateurs beaucoup trop expressifs…Julien Laloye
Dans la liste des débats qu’on pensait avoir réglés depuis longtemps : celui du pire public du monde, titre de gloire attribué à l’unanimité et pour l'éternité aux spectateurs de Roland-Garros. Au temps pour nous. On nn'imaginait pas que le golf rassemblerait un jour les pires rebus de l’humanité sur le bord de ses parcours. Du hooligan de première main qui vient pourrir la vie des champions en leur susurrant des mots doux à l’oreille. Littéralement à l’oreille, le golf étant peut-être le seul sport de cette magnitude à réunir les fans et leurs idoles dans si peu d’espace, parfois sans aucune barrière physique, quand une balle est sortie du parcours.
«Envoie la balle dans le bunker»
Depuis le début de l’année, c’est l’hécatombe sur le circuit américain. Pas moins de trois spectateurs virés manu militari par la sécurité sur réclamation express des joueurs, à deux doigts du craquage mental quand il faut se cogner pendant 4h le même type qui a l’air d’avoir une connaissance encyclopédique de l’anatomie de votre femme. L’incident qui nous vient à l’esprit en premier ? Cette prise de bec entre Justin Thomas et un spectateur qu’on bafferait bien nous-mêmes lors du Honda Classic, fin février. L’Américain, en lice pour la gagne, vient de taper son premier coup sur le 16 quand l’imbécile balance « Envoie la dans le bunker » [Ces petites étendues de sables dispersées le long du parcours qu’il faut absolument éviter car il est difficile d’en sortir proprement]. Réaction furieuse de l’intéressé qui demande sa mise à mort : « Qui a dit ça ? J’espère que t’as bien profité de ta journée mon grand, parce que c’est terminé ».
aParfaitement audible à la télévision, l’échange agit comme une prise de conscience sur le circuit. Rory McIlroy, plus souvent ciblé que ses collègues par la pollution sonore dans les tournois en raison de la popularité de ses compagnes, monte au créneau pour tout le monde, et en particulier pour Tiger Woods. Le retour inespéré du numéro 1 mondial contribue à l’atmosphère déchaînée sur les greens. On croit voir le roi venu guérir les écrouelles des manants, et c’est à peine si sa majesté peut se concentrer sur son jeu dans tout ce barnum.
« « Je vous jure qu’avec cette foule autour de lui, ça coûte à Woods deux coups par tournoi. Espérons que l’agitation se calmera une fois que les gens se seront habitués à le revoir et que sa présence ne sera pas une nouveauté. Parce que là, jouer avec lui, c’est devenu si fatiguant que j’ai besoin de quelques dolipranes pour soulager mon mal de tête » »
Évidemment, l’hystérie finit toujours pas dépasser les bornes, comme ce spectateur coupable d’avoir hurlé « Mets-là dans le trou » avant que Tiger ne lâche son putt et pratiquement lynché par la foule au Farmers Insurance Open en janvier.
aLe Nord-Irlandais a bien une piste à proposer aux organisateurs du Masters d’Augusta, qui a lieu jusqu’à dimanche. Interdire la consommation d’alcool sur le parcours. « Je pense qu’il faut qu’ils fassent quelque chose à ce propos, parce que les joueurs se plaignent un peu plus chaque semaine. Avant, les gens achetaient de la bière, mais aujourd’hui, tout le monde se pointe avec un verre d’alcool fort. Je ne sais pas, peut-être qu’il faut revenir à la tradition de laisser les gens se balader avec leurs bières ».
Interdire l'alcool sur les parcours?
Passons sur l’idée toute britannique que la bière ne fait de mal à personne et disons-le tout net à ce bon Rory: le type qui décidera d’arrêter l’alcool sur son parcours peut aussi arrêter le golf tout court. Au club national d’Augusta, seul tournoi du Grand Chelem qui a lieu tous les ans au même endroit, on prend note discrètement de ce nouveau phénomène. Un journaliste spécialisé révélait en début de semaine que toutes les équipes chargées se la sécurité sur le site se baladaient avec une feuille A4 comprenant toutes les expressions qui vaudraient exclusion immédiate à ceux qui se risqueraient à les prononcer pendant le week-end.
Bryce Ritchie, puisque c’est comme ça que s’appelle le brave homme, prétend ne pas avoir pu jeter un œil à la feuille en question. Mais il a un exemple à nous donner. « Dilly Dilly ». Il nous a fallu une bonne demi-heure pour comprendre. L’expression bannie fait référence à une publicité très connue d’une marque de bière aux États-Unis. Pour faire court : c’est comme si on décidait de virer à coups de pied tout spectateur du Chatrier qui se mettrait à hurler « Kinder Bueno » sur un match de Tsonga. Perspective compliquée, puisque cela voudrait dire finir la bataille à huis clos, mais c’est un autre débat.
En fouillant un peu pour le fun, on est tombé sur cette fameuse liste de « gros mots », dont il est impossible de vérifier l’authenticité. A première vue, c’est un mélange de phrases parodiques et de références culturelles très américaines. On vous met la seule qu’on a pu saisir sans chercher de quoi il en retournait.
« Dinklage for president » [Du nom de l’acteur de Game of Thrones]
En vrai, ça sent le fake, mais la liste a le mérite d’exister, ce qui semble suffire au bonheur du président de la PGA, pas vraiment compatissant lors de sa seule intervention sur le sujet : « Le comportement des supporters fait partie des choses que les joueurs doivent accepter. Dans beaucoup de disciplines, vous jouez parfois à l’extérieur devant des supporters qui ne sont pas là pour vous encourager ». Il existe moins de disciplines, en revanche, où le joueur a un club en fer dans la main pour se faire justice lui-même. L’avertissement est signé Billy Horschell, 87e mondial :
«Dans beaucoup de disciplines, vous êtes obligés de jouer à l'extérieur»
« J’ai dit à la PGA que si quelqu’un s’en prenait nommément à ma famille et dépassait les bornes, ils auraient un gros problème sur les bras. Prenez-le comme vous voulez, mais on est à ça de voir un joueur marcher vers la foule et régler la situation de lui-même s’il y a un prochain incident ». Pour peu que ce soit Tiger qui s’en charge personnellement, c’est le record de vues de Despacito sur YouTube qui tombe. Confiance absolue dans le public de Géorgie pour nous offrir ce grand moment.