JO 2018: Altitude, mutation génétique... Crédibles, les arguments des fondeurs français contre les soupçons de dopage?
POLEMIQUE•290 fondeurs, dont 18 Français, ont fait l'objet de contrôles sanguins anormaux dans les années 2000. A Pyeongchang, l'équipe de France de ski de fond tente de s'expliquer...Jean Saint-Marc, avec Aymeric Le Gall
L'essentiel
- Le Sunday Times et plusieurs médias européens ont révélé que 290 skieurs ont fait l'objets de tests sanguins anormaux entre 2001 et 2010.
- Dopage ou capacités naturelles exceptionnelles? L'équipe de ski de fond Français se défend, avant le début des JO de Pyeongchang.
De notre envoyé spécial à Pyeongchang (avec l’aide d’un collègue « nul en bio »),
Rien de nouveau sous le soleil (glacial) de Pyeongchang : les sportifs n’aiment pas beaucoup les questions « dopage ». Trois types de réactions, ce mercredi, au club France de Pyeongchang, quand on a causé des données révélées par leSunday Times avec les fondeurs Français :
- Le déni de Lucas Chanavat : « Bof, j’ai pas trop suivi tout ça. On en a parlé vite fait à droite à gauche, rien de plus. Ce ne sont pas trop des choses qui m’intéressent. »
- La colère de Maurice Manificat : « C’est une fake news, c’est n’importe quoi. Ça nous fait vraiment chier, notre sport est très peu connu, si en plus on dit des choses fausses pour mettre la suspicion… Il n’y a pas de dopage, n’y a pas d’info. Je garde mon calme mais j’ai un peu envie de frapper tout le monde ! »
- Les tentatives d’explication, de Baptiste Gros et du staff de l’équipe de France. Nettement plus intéressant que les deux premières options, on va donc développer (attention, ça va envoyer de l’hématocrite et de la VO2 max)
Commençons par préciser les choses : les révélations du Sunday Times et de la chaîne de télé ARD ne portent pas sur des tests « positifs » à tel ou tel produit, mais sur des variables physiologiques « anormales ». Selon nos confrères, « la probabilité que ces données sanguines soient dues à autre chose qu’au dopage est de 1 %. » C’est sur ce point-là que les fondeurs français nient, les yeux dans les yeux. Baptiste Gros, par exemple :
« C’est comme si on disait : « les basketteurs font tous plus de 2 mètres, c’est un scandale ! » On fait un sport qui nécessite énormément de VO2 max… Donc oui, on retrouve à haut niveau des gens qui ont des capacités sanguines qui leur permettent un très bon transfert de l’oxygène dans le sang. C’est plutôt logique. »
La VO2 max, pour rappel, est la consommation maximale d’oxygène par les muscles pour produire de l’énergie. C’est le secret, dans les sports d'endurance. François Faivre, l’entraîneur du fond français, embraye : « Quand on dit anormal, ça veut juste dire que ça sort de la norme… Mais la VO2 max de Maurice (Manificat), elle est à des valeurs insoupçonnées pour le commun des mortels ! On ne peut pas faire le lien entre dopage et valeur sanguine atypique pour des sportifs qui ont TOUT d’atypique. »
Trois explications avancées, plutôt «crédibles» selon un médecin
Comment ont-ils réussi à pousser leurs variables physiologiques si haut, alors ? Nos fondeurs brandissent trois explications :
- l’entraînement, évidemment.
- le fait d’être né en altitude/d’y vivre/de s’y entraîner régulièrement (voire dans certains cas les trois à la fois).
- une anomalie génétique.
Quoi ? Oui oui, nous aussi, ça nous a fait tiquer. C’est le DTN du ski français Fabien Saguez qui s’est lancé dans un petit court de bio sur une mutation du gène HFE, « porté par 32 de nos athlètes sur la période », a-t-il glissé.
Auprès de 20 Minutes, le médecin biologiste Gérard Dine confirme. Il a écrit une étude-clé sur la question, en partenariat avec les skieurs français (entre autres). Et il juge les explications de nos fondeurs « crédibles » : « On a effectivement constaté une forte prévalence chez les meilleurs skieurs de mutations génétiques. » Une mutation qui « pouvait provoquer une suspicion de dopage sanguin. » A tort, vous l’aurez compris : Jean-Marc Gaillard, par exemple, avait été interdit de départ aux JO de Turin, avant d’être blanchi.
Un peu de transparence dans ce bas monde
S’est-il passé exactement la même chose dans le cas des contrôles anormaux révélés par le Times et la télé allemande ? Probablement, estime Gérard Dine :
« Ce sont des données anciennes, connues, qui étaient identifiées par l’ensemble des institutions. Par ailleurs, elles sont fragmentaires : certains des skieurs n’ont été contrôlés qu’une seule fois, et pour les autres on a plusieurs contrôles, mais seulement trois données différentes, et pas l’ensemble du passeport biologique. Ce qui m’ennuie dans ce déballage, c’est qu’on n’est pas certains que les experts qui ont statué sur ces données étaient informés que parmi les sportifs suspectés, il y avait ces sportifs prédisposés génétiquement. »
Gérard Dine attend tout de même avec impatience « la suite » de l’affaire : une publication exhaustive des résultats par les médias qui les possèdent. A moins que ce soient les athlètes eux-mêmes qui fassent le grand déballage de leurs passeports biologiques ? « C’est peut-être une transparence vers laquelle il faut aller », souffle timidement l’entraîneur des fondeurs François Faivre, qui martèle n’avoir « aucun doute » concernant ses athlètes, avec qui il passe « 200 jours » par an.
Eux aussi sont très sereins. Baptiste Gros, par exemple : « Moi, en taux d’hémoglobine, je suis passé de 14 à 15,4 (gramme par décilitre), à peu près, depuis que j’habite en altitude. Un gars qui avait 16 au départ, il va forcément monter à 17 et être au-dessus des limites habituelles ! Mais le souci, c’est le gars qui part de 14 et finit à 18 !» Ce n'est pas encore le grand déballage rêvé... Mais on peut déjà saluer ce petit exercice de transparence.