On s’attendait à une menace nucléaire, c’est finalement la fleur au fusil que la Corée du Nord attaquera les Jeux olympiques d’hiver de PyeongChang (9-25 février). Embourbé dans un concours de gros boutons avec son ennemi juré Donald Trump et abonné aux menaces envers quiconque s’opposerait aux aspirations nord-coréennes, Kim Jong-un a donc décidé, le 9 janvier, que son pays participerait aux JO 2018. À ce moment précis, seul un couple de patineurs - Ryom Tae-ok et Kim Ju-sik - est éligible grâce à ses performancespour les Jeux de Pyeongchang.
Une dizaine de jours et on ne sait combien d’heures de négociations intercoréennes plus tard, cette liste est élargie à 22 sportifs. On apprend en outre que la Corée défilera sous bannière unifiée, que l’équipe féminine de hockey sur glace ne sera ni du Nord, ni du Sud, que des sportifs du Sud iront s’entraîner au Nord avant les JO et que Pyongyang enverra journalistes, pom-pom girls et taekwondistes pour grossir les rangs de sa délégation à Pyeongchang. Bref, un flot d’informations qui ne fait que complexifier une situation (géo) politique pas loin d’être aussi illisible que l’écriture de votre médecin traitant. Mais pas de panique, on vous explique tout en une FAQ improvisée.
>> La fin du monde partira-t-elle de Pyeongchang ?
A priori non, ou alors Kim Jong-un réussira, en plus de semer le chaos et la terreur en Corée du Sud, à ringardiser Homère avec un remake 2.0 du cheval de Troie pendant la guerre du même nom. Car de fait et comme nous l’a trop modestement suggéré le patineur Guillaume Cizeron – l’une de nos plus grandes chances de médaille – « on se dit que s’il y a tout le monde aux JO, c’est plutôt une bonne nouvelle. Si tous les pays sont là-dedans et même si je suis nul en politique, j’imagine que ça réduit les risques d’attaques pendant la compétition. »
Et même s’ils n’avaient pas été présents, les Nord-Coréens n’auraient sans doute pas cherché à attaquer les JO 2018. C’est la théorie d’Antoine Bondaz, chercheur à la fondation pour la recherche stratégique et spécialiste de la question coréenne. Ce dernier soutient que « la crainte d’une attaque de la Corée du Nord pendant les JO a toujours relevé de l’ordre du fantasme. » La star du biathlon allemand Laura Dahlmeier, prête en novembre à zapper l’olympiade hivernale en cas de danger majeur, pourra donc profiter des neiges coréennes en toute sérénité.
>> Quels sont les intérêts Nord et Sud-coréens ?
Évidemment, ce n’est pas non plus le monde des Bisounours. Si les deux frères ennemis se rapprochent, c’est que chacun y trouve son compte. Antoine Bondaz :
- « Pour la Corée du Sud, il s’agit de s’assurer que les Jeux olympiques se passent bien et de favoriser la reprise du dialogue avec le Nord [l’une des promesses phare des progressistes arrivés au pouvoir au printemps 2017]. »
- « Pour la Corée du Nord, il y a l’idée de donner une meilleure image du pays et de mettre au second plan la question balistique, mais aussi une volonté de montrer que la Corée entière organise les JO. Il faut renvoyer l’idée que ce sont des jeux coréens et pas seulement sud-coréens. »
Mais il n’y a pas que ça. En se rapprochant l’une de l’autre, la Corée du Nord et du Sud instaurent un dialogue direct. « À l’extérieur, c’est un pied de nez de Pyongyang à Donald Trump dans le sens où ce dernier est marginalisé », explique Juliette Morillot, spécialiste de la péninsule coréenne et auteure de Le monde selon Kim Jong-un, Guerre ou paix? (Éditions Robert Laffont). « Ce qui est partagé par les Corées, c’est que ce sont toujours les grandes puissances qui ont décidé du destin du pays. Donc c’est une sorte de point commun des deux Corées, de vouloir jouer sur la corde du destin placé pour une fois entre leurs propres mains. » Avec, peut-être, à la clé, l’organisation de retrouvailles entre les familles scindées par la guerre de Corée et dont les survivants sont de moins en moins nombreux.
>> Ça ressemblera à quoi, cette équipe de hockey unifiée ?
À une immense tour de Babel. Si les deux Corées ont gardé le même alphabet après la scission à la sortie de la deuxième guerre mondiale, leur langue a fini par emprunter des chemins différents. La bifurcation se ressent sur le langage sportif, et particulièrement le hockey sur glace, largement marqué par les anglicismes dans le Sud capitaliste. Le patinage, « skating » en anglais, est devenu « seu-ke-ee-ting » à Séoul là où il est devenu « apuro jee chee gee » au Nord. On vous passe les divergences sur d’autres thèmes plus techniques que nous ne maîtrisons guère.
aPour escalader cette barrière linguistique, les dirigeants de l’équipe réunifiée ont dressé une liste de tout ce vocabulaire et l’ont distribuée aux joueuses avant leur premier entraînement dimanche. La liste comprend aussi la prononciation anglaise de termes nord-coréens, apparemment à l’intention de Sarah Murry, l’entraîneuse canadienne des Sud-Coréennes. Bonjour pour maîtriser la novlangue en dix jours et s’en servir à chaud pendant un match olympique.
Pour ce qui est de l’ambiance, ça se passe plutôt pas mal en revanche : l’agence sud-coréenne News1, qui cite un responsable de la KIHA évoque une atmosphère « sérieuse mais amicale », ajoutant que de nombreuses hockeyeuses nord-coréennes ont fait preuve d’une « grande concentration et détermination à se battre ».
>> Des pom-pom girls, un champion de taekwondo et des journalistes à la parade… Mais pour quoi faire ?
Les 22 sportifs nord-coréens ne marcheront pas seuls à Pyeongchang. Une délégation de haut niveau, des pom-pom girls (234 pour être précis), des artistes, des journalistes et une équipe de démonstration de taekwondo, entre autres, les épauleront tout au long de leur périple au sud de la péninsule. On vous voit venir : vous êtes sceptiques sur les taekwondistes et les cheerleaders. Pour les premiers, on botte en touche.
Pour les secondes, Juliette Morillot explique que ce n’est pas une première : « ils en avaient déjà envoyé à la Coupe du monde de foot [en 2002] en Corée du Sud/Japon et lors de la Coupe du monde féminine, en 2007 en Chine], d’ailleurs la femme de Kim Jong-un était l’une des pom-pom girls qui étaient allées en Corée du Sud. » Car ces cheerleaders ne sont pas n’importe qui : elles doivent impérativement mesurer plus d’1m63 et être issues de bonnes familles.
Tout ça, c’est bien joli, mais ça ne nous explique pas le pourquoi de la présence de ce beau monde à ces JO d’hiver. Antoine Bondaz a une théorie:
« La présence de performeurs et sportifs qui n’ont rien à voir avec les JO, ce n’est pas innocent. Le fait d’avoir un certain nombre de personnes sur place leur permettra de prendre de nombreuses photos qui seront utilisées pour la propagande. » »
Là encore, c’est donc avant tout une affaire d’image. « Il s’agit donc pour la Corée du Nord de montrer son excellence à l’international, de le montrer avec la Corée du Sud et en plus sous la bannière de Corée unifiée. Je dirais que c’est une démonstration de bon élève de la part de Kim Jong-un », analyse quant à elle Juliette Morillot.
>> Les Jeux de la paix, réalité ou utopie ?
La réponse est évidente: non, ce ne seront pas les Jeux de la paix. Si on pouvait résoudre un conflit en envoyant des athlètes aux JO, il y a bien longtemps que les colombes parcourraient les cieux, rameau dans le bec. « Les Jeux de la paix, ça veut tout et rien dire dans le sens ou ça s’appelle une trêve olympique », s’en amuse Juliette Morillot.
« Il faut quand même comprendre que depuis 1972, la Corée du Nord a participé à tous les JO sauf deux. Donc du calme: c’est bien de les voir à Pyeongchang, mais ce n’est pas extraordinaire, on ne va pas commencer à se dire "oh, là, là ils ont jamais été ensemble dans les équipes, ils ne sont jamais allés aux Jeux olympiques, etc." » »
On ajoutera que les deux Corées avaient déjà défilé sous bannière unifiée aux Jeux de Sydney (2000), Athènes (2004) et Turin (2006). Seule la fameuse équipe de hockey féminin apparaît comme inédite. « Le fond du problème, c’est la question nucléaire. Et dans les faits, est-ce que le rapprochement juste avant les JO va résoudre la question nucléaire [le programme nucléaire est inscrit depuis 2012 dans la Constitution du pays, Kim Jong-un ne fera donc pas marche arrière sur la question] ? Rien n’est moins sûr », s’interroge Antoine Bondaz. Et Juliette Morillot de conclure : « le 8 février, il va y avoir un gros défilé militaire du côté Nord, une démonstration de force. Et là il n’y aura pas de pom-pom girls, ni de taekwondo. Ça sera moins sexy. »