Joie du buteur, ivresse à retardement et nouvelles sensations… La vidéo va-t-elle tuer l’émotion dans le football?
FOOTBALL•L'assistance vidéo sera utilisée pour les quarts de finale de Coupe de la Ligue...Aymeric Le Gall
L'essentiel
- Comme lors des barrages L1/L2 la saison dernière, l’assistance vidéo va être testée à l’occasion des quarts de finale de Coupe de la Ligue.
- Avec son apparition dans le foot français, on se demande si les émotions que procure ce sport vont être bouleversées.
«Il est très difficile de mettre des mots sur les émotions ressenties au moment d’un but. On explose, on hurle, on serre un pote dans ses bras, on se tape, on chiale même parfois, c’est presque paradoxal, une libération et en même temps, l’aveu d’une addiction terrible. Mais quand ce putain de ballon franchit cette ligne, c’est l’extase, la joie pure. »
Jérôme Reijasse et les vrais savent. Comme l’auteur de Parc, tribune K-bleu bas, une ode de 200 pages sur l’addiction aux tribunes, si on aime tant le foot, c’est parce qu’il nous permet de nous extasier sur un but de notre équipe favorite, et ce même si on a assisté à une purge à faire passer le match du dimanche 15 heures pour un moment de douce volupté.
Sauf que cette volupté est en danger. L’assistance vidéo fait son apparition dans le foot français à l’occasion des quarts de finale de la Coupe de la Ligue ces mardi et mercredi et une crainte s’empare de nous : et si la vidéo tuait cette émotion pure, cette sensation indescriptible qui nous envahit quand notre équipe marque un but ?
aL’idée n’est pas d’être pour ou contre la vidéo – de toute façon il faudra bien faire avec – mais de se demander si elle ne va pas changer à jamais notre perception du jeu. « Oui, la vidéo symbolise philosophiquement la mort du foot, tranche Reijasse. Le foot n’est pas multiple, il ne doit pas s’accommoder des tendances, jamais ! Le foot, c’est l’indécision, l’injustice, le vice, le vide, l’inconnu, l’appartenance et c’est surtout un rythme. »
Le football est en effet le sport par excellence qui ne supporte pas les coupures incessantes. Or, avec les appels multiples à la VAR, c’est précisément ce qu’il risque d’arriver. Jordan Veretout, qui a rejoint la Fiorentina l’été dernier, côtoie l’arbitrage vidéo depuis six mois en Italie. « Au début c’était bizarre, confie-t-il. Ça durait longtemps, l’arbitre devait aller voir lui-même sur un écran toutes les actions qu’il jugeait litigieuses. Et donc ça coupait vachement le jeu, le rythme, c’était chiant. Mais ils ont travaillé dessus et maintenant c’est assez fluide et les décisions sont prises assez rapidement. »
L’ivresse à retardement ?
Le public exultera-t-il de la même façon qu’il le fait aujourd’hui après un but quand, habitué (blasé ?) à voir l’arbitre dessiner dans l’air un écran de télé avec ses doigts, il sait que sa joie est peut-être morte dans l’œuf ? « Les secondes de folie qu’il y a quand un but est marqué ne vont pas s’arrêter parce qu’il y a l’arbitrage vidéo, avance Robert Zuili, coach et psychologue clinicien spécialiste des émotions. Les gens ne vont pas essayer d’anticiper et de raisonner leur explosion émotionnelle, en se disant ‘tiens, je vais exulter seulement quand le but sera validé’. L’émotion prime en termes d’instantanéité sur la raison, c’est irrépressible. »
Julien Candelon, ancien marqueur d’essais de Perpignan, a vécu l’arrivée de la vidéo dans le monde du rugby (en 2006 dans le Top 14). Il raconte : « Le système de l’assistance vidéo enlève un peu ce côté euphorique. Très souvent, ça fait l’effet d’un ascenseur émotionnel. Vous allez vous émerveiller d’une action qui se conclut par un essai et puis tout d’un coup il y a un appel à la vidéo qui peut tout annuler. On le voit bien au stade. Tu vois le public se lever, être euphorique, les gens se serrent dans les bras, et puis en fait non (rires), tout retombe. Il y a un monsieur qui a vu quelque chose et qui fait se rasseoir tout un public d’un seul coup, c’est assez étrange. »
Oh tiens, de nouvelles émotions
On peut aussi se dire, comme le fait Robert Zuili, que la VAR va « ajouter des émotions nouvelles plutôt que d’en retirer. » « Le but qui a été annulé va finalement générer la même joie chez les supporters à qui profite cette annulation que chez ceux qui, au début, ont pensé voir leur équipe inscrire le but. C’est un peu le paradoxe du système : on pourrait penser que la vidéo, dans le cas d’un but annulé, va tout faire retomber, mais non, ça va au contraire créer de l’émotion. Parce que quand les supporters des deux camps vont se retrouver à attendre la décision de l’arbitre, tous partageront alors l’espace d’un instant la même émotion : la peur, l’angoisse. »
Adam, fan de rugby et supporter de Clermont, n’a pas mis longtemps à s’habituer à ces émotions nouvelles quand il va au stade. « La vidéo est devenue aujourd’hui un fait de jeu qui peut décupler l’ambiance. En effet, les images vidéo sont diffusées au moment où l’arbitre demande l’arbitrage vidéo, du coup tout le stade se met dans la peau de l’arbitre, il va se mettre à siffler ou à crier pour influencer la décision, ça donne des moments assez folkloriques. A titre personnel, j’apprécie ce genre de moment car ton cœur se met à battre un peu plus vite, tu attends la réponse avec impatience. Si l’arbitre lève le bras, tu exploses de joie, s’il refuse l’essai tu boudes quelques instants, mais tu te remets tout de suite dans ton match. »
C’est exactement ce qu’il s’est passé l’autre jour dans le derby milanais en Italie. Alors que l’Inter pensait avoir ouvert le score et que les tifosi nerazzurri entraient en transe, l’arbitre a fini par demander l’intervention de la vidéo et refuser le but. Résultat, un immense cri de joie qui s’est élevé de la Curva Sud, le virage des ultras de l’ AC Milan, tandis que les Intéristes hurlaient leur colère et adressaient des doigts d’honneur à l’homme en jaune.
Romain, supporter du Milan AC, n’a jamais été contre la vidéo. Et ce jour-là, elle le lui a bien rendu. « La vidéo crée de nouvelles sensations, la frustration d’un but (justement) annulé ou alors l’explosion de joie après quelques secondes de stress. C’est passionnant. Lors du derby, quand on prend le but je me suis dit "c’est bon, on va encore prendre une taule, j’en ai marre". Puis d’un coup je vois que la VAR est demandée. Je stresse, j’espère, puis explosion de joie. C’était fantastique ! » Que les puristes se rassurent, leur état de transe n’est donc pas près de disparaître.