INTERVIEW«L'OM ne comprend pas ses ultras», estime le chercheur Sébastien Louis

OM: «La direction ne comprend pas ses ultras», estime le chercheur Sébastien Louis

INTERVIEWSébastien Louis, spécialiste du mouvement ultra, est aussi un ancien du virage sud. Il analyse le rapport entre les nouveaux dirigeants et les supporters olympiens...
Jean Saint-Marc

Propos recueillis par Jean Saint-Marc

L'essentiel

  • Pour le chercheur Sébastien Louis, la nouvelle direction de l’OM « ne comprend pas comment fonctionne un groupe de supporters. »
  • Pour lui, c’est un problème global en France, avec des politiques très répressives envers les ultras.

C’est avec un peu d’émotion dans la voix que Sébastien Louis nous raconte son premier déplacement pour suivre l’OM, quand il est « tombé amoureux » du club - et surtout de ses ultras : « Je ne comprenais pas les gens qui ne chantaient pas. » Vingt ans plus tard, l’ancien membre du Commando Ultra est historien, professeur à l’Ecole européenne de Luxembourg, et récemment auteur d’une somme sur le supportérisme : Ultras, les autres protagonistes du football ( Mare & Martin). Et c’est cette fois avec la voix assurée et mesurée d’un chercheur qu’il nous livre son analyse sur les relations entre la direction de l’OM et ses supporters.

Sébastien Louis était également conseiller scientifique pour l'exposition «Nous sommes foot» au MUCEM.
Sébastien Louis était également conseiller scientifique pour l'exposition «Nous sommes foot» au MUCEM.  - Giovanni Ambrosio- Black Spring

Y a-t-il une spécificité du mouvement ultra à Marseille ?

Oui, c’est une certitude ! C’est lié à l’ère Tapie : il avait compris l’importance des supporters dans le foot business. Il a délégué, laissé l’animation en tribunes aux groupes, avant de leur confier la vente des abonnements. Ça a permis aux supporters de faire des déplacements, des animations, d’avoir des places à des tarifs préférentiels.

Ça a créé des tensions dans certains groupes, car certains ont profité de la situation. Et ça a généré la mythique ambiance au Vélodrome des années 1990-2000, une des meilleures en Europe. Si elle est bien plus rare, c’est en partie lié aux tensions entre les groupes et à la cassure entre le public et ces groupes. Mais pas seulement : dans tous les milieux ultras, il y a des divisions sur les conceptions du supportérisme. Tous sont persuadés d’incarner la pureté des idéaux !

La fin de la vente directe des abonnements par les groupes, avant le rachat par McCourt, a-t-elle aussi perturbé un certain équilibre ?

Ça n’a pas été très bien géré… Les supporters étaient demandeurs de plus de transparence. Ils ont accepté, mais ils ne voulaient pas non plus se faire avoir. Il y a une contradiction entre ce que veulent les supporters et ce que veut la direction.

Les Fanatics déploient une banderole hostile à Patrice Evra.
Les Fanatics déploient une banderole hostile à Patrice Evra. - C. Paris / AP / SIPA

C’est typique du football spectacle. L’OM a été racheté par quelqu’un qui veut faire de l’argent. Et il sait qu’aujourd’hui, le meilleur actif, ce sont les supporters. L’idée, c’est de reprendre en main les tribunes, mais tout en maintenant une ambiance exceptionnelle. Le meilleur exemple de ça, c’est quand la direction tente d’imposer une scénographie géante pour OM-PSG. Un projet que les groupes ont refusé.

Ça traduit un vrai divorce, selon vous ?

Il y a une désaffection depuis quasi une décennie, à Marseille, avec l’exception Bielsa. Il y a une cassure oui, liée au manque de résultats, mais aussi aux mauvais choix des différentes directions. Et c’est difficile de retrouver l’esprit supporter avec des administrateurs qui, aujourd’hui, sont des gestionnaires. Et qui prennent le club pour ce qu’il est devenu : un projet d’industrie de loisirs.

Des dirigeants qui, d’ailleurs, ne viennent pas du monde du football…

Ils sont habitués à des environnements plus rationnels, mais ils ont affaire à quelque chose qui leur échappe. L’incertitude du sportif, le microcosme local et la passion populaire : ils ne connaissent pas tout ça. La direction de l’OM, comme celle d’autres clubs, ne comprend pas ses ultras.

Les groupes sont furieux par rapport à ce qu’on leur a promis… C’est logique ! Ils sont dans leur rôle de syndicalistes du club, parce que les dirigeants passent, les joueurs passent, et eux défendent l’institution. Donc c’est normal que les groupes contestent. Et à côté de ça, on a une direction qui veut reprendre en main les tribunes, avec une ambiance un peu disneylandisée, où on chante pour dire que tout va bien, sans jamais critiquer !

L’affaire Evra a encore aggravé cette cassure, non ?

Avec leurs déclarations, ils ont jeté de l’huile sur le feu. Et demander aux responsables de groupes de dénoncer d’autres supporters… Ils ne savent pas comment fonctionne un groupe !

Il y a tout de même un dialogue qui existe à Marseille, avec des réunions régulièrement entre les groupes et la direction…

C’est vrai, et c’est une autre particularité locale : les groupes sont parfois aidés financièrement, pour des déplacements notamment, ce qui est rare en France. Mais cela crée aussi une dépendance, négative. L’OM manie la carotte et le bâton, en ne finançant pas, par exemple, le déplacement à Konya. L’argent perturbe toujours les relations…

Est-il possible de faire autrement ?

En Allemagne, par exemple, il y a des réunions tous les mois, avec de vrais échanges. Les contreparties sont symboliques, pas seulement financières : par exemple, le Dynamo Dresde a accepté, après discussions, de renoncer à son projet de mascotte.

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Les clubs français n’ont pas compris que pour remplir leurs stades, il faut s’opposer à ces arrêtés d’interdiction, faire pression sur les préfectures, défendre leurs groupes de supporters ! Et comprendre qu'il y a différentes formes de public dans les stades...