11-Novembre: L’incroyable Lubin-Lebrère, miraculé de la Première Guerre mondiale et rugbyman international borgne
CENTENAIRE•Après avoir perdu un œil et frôlé la mort pendant la Première Guerre mondiale, Marcel-Frédéric Lubin-Lebrère a repris sa carrière, au Stade Toulousain comme en équipe de France…Nicolas Stival
L'essentiel
- Mémoire du Stade Toulousain, Henri Fourès se souvient d'un rugbyman et d'un homme hors du commun, décédé en 1972.
- Rescapé de la Grande Guerre, ce deuxième ligne n’a jamais cessé d’honorer la mémoire de ses camarades morts au combat.
EDIT: A l'occasion du centenaire de l'armistice de la Première guerre mondiale, nous vous proposons de relire cet article paru le 11 novembre 2017.
Aujourd’hui, son souvenir se résume à un nom de rond-point, qu’empruntent sans y prêter attention les supporters du Stade Toulousain pour se rendre à Ernest-Wallon. Un hommage un peu court, quand on se penche sur la vie romanesque de Marcel-Frédéric Lubin-Lebrère (1891-1972), ce miraculé de la Première Guerre mondiale.
Bien avant l’actuel Briviste Florian Cazenave, le deuxième ligne international a évolué au plus haut niveau malgré la perte d’un œil. Surtout, Lubin, comme tout le monde l’appelait, a entretenu jusqu’au bout la flamme de ses compagnons jamais revenus de l’enfer des tranchées.
La voix des morts du Stade. « Prrrésent ». Un timbre fort, un accent rocailleux. Tous les 11 novembre, Lubin répondait à la place de ses anciens coéquipiers stadistes, tombés pour la France, devant le monument aux morts de l’Héraklès, inauguré en 1925 au bord du canal de Brienne. Quatre-vingt-un jeunes Rouge et Noir, dont l’emblématique Alfred Mayssonnié, ont succombé au cours du premier conflit mondial.
Le natif d’Agen a quant à lui été laissé pour mort dans la Somme, avec entre sept et quatorze balles dans le corps, selon les sources. Récupéré et soigné par l’ennemi allemand, fait prisonnier, Lubin reviendra à Toulouse. Meurtri, borgne mais vivant. « C’était un fort personnage, avec un gabarit impressionnant pour l’époque [1,81 m, 92 kg] et une voix de stentor », se rappelle Henri Fourès (92 ans), président de l’association des Amis du Stade Toulousain.
Un champion, avant et après-guerre. Arrivé au Stade Toulousain en 1913, après un passage par Montauban, Lubin fêtera les trois premières de ses quinze sélections (selon la FFR) lors du Tournoi des V Nations 1914. Le deuxième ligne, occasionnellement pilier, retrouvera le XV de France après le conflit, le 1er janvier 1920 lors du « match des borgnes » contre l’Ecosse au Parc des Princes : outre le Toulousain, le Racingman Thierry ainsi que les Ecossais Hume, Laing et Wemyss avaient laissé un œil sur le front…
Lubin étirera sa carrière internationale jusqu’en 1925, disputant au passage la très rugueuse finale des Jeux olympiques 1924 contre les Etats-Unis, qui provoquera le bannissement du rugby du programme olympique durant 92 ans… Il participera aussi activement à la conquête des trois titres consécutifs de champion de France du Stade Toulousain, en 1922, 1923 et 1924.
Après une fin de carrière en pente douce avec les équipes 2 et 3 stadistes, Lubin troquera short et crampons pour le long pardessus qu’il ne quittait que rarement. « Jusqu’à sa mort [à 81 ans], il est resté dirigeant du club, relève Henri Fourès, lui-même ancien deuxième ligne des Rouge et Noir et du XV de France, mais aussi tout jeune résistant et combattant pendant la Seconde Guerre mondiale. Il assistait à tous les entraînements. C’était le vrai Toulousain, franc et droit. Quelqu’un de chaleureux que l’on aimait rencontrer. »
Une fidélité et des qualités humaines récompensées en 1963 par le titre de membre d’honneur à vie du Stade Toulousain, également attribué à son ancien coéquipier Clovis Bioussa.
« Monsieur le maire » et la Marseillaise de Dublin. « Lubin était très populaire au club, mais aussi dans la ville », raconte Henri Fourès. Un drôle de personnage, d’abord employé municipal, puis salarié d’une briqueterie, qui héritera du surnom incongru de « Monsieur le Maire ». Selon le journaliste Jean-Louis Lafitte, tout serait parti d’une blague de ses coéquipiers du XV de France, qui l’avaient présenté comme tel lors de la réception d’après-match à Twickenham, le 31 janvier 1920.
Deux mois plus tard, le soi-disant premier magistrat se retrouvera (brièvement) en prison à Dublin, en marge de la première victoire des Bleus à l’extérieur dans le Tournoi des V Nations. Son tort ? En balade dans la ville, ce fervent patriote s’était joint à un groupe de personnes qui chantait La Marseillaise. Le Toulousain ignorait qu’il s’agissait de républicains irlandais : en pleine guerre d’indépendance (1919-1921), ces derniers avaient fait de l’hymne français un symbole de leur lutte contre l’occupant britannique…