MALADIE«La dépression a pris le contrôle de mon cerveau», Cédric Anselin se confie

«La dépression a pris le contrôle de mon cerveau»… La descente aux enfers de Cédric Anselin, ancien joueur des Girondins

MALADIEL'ancien milieu de terrain a tenté de mettre fin à ses jours à deux reprises…
Antoine Huot de Saint Albin

Antoine Huot de Saint Albin

L'essentiel

  • Formé aux Girondins de Bordeaux, Cédric Anselin est tombé en dépression en Angleterre.
  • Pendant sa dépression, il n'a jamais parlé de sa maladie à son entourage.
  • Désormais, il fait de la prévention auprès des jeunes footballeurs contre cette maladie

«Quand tu commences au plus haut, tu peux facilement terminer au plus bas. » C’était en mai 1996, à l’époque où la finale de la Coupe UEFA se jouait encore en match aller-retour. Face au grand Bayern Munich, si les Girondins s’inclinent, une petite tête blonde fait son apparition en fin de match au Stade olympique de Munich et au Parc Lescure. A 19 ans, Cédric Anselin est encore stagiaire avec l’équipe bordelaise mais a les yeux qui brillent de fouler la même pelouse que Zidane, Lizarazu et Klinsmann. Son « rêve » de devenir footballeur pro est alors tout près de devenir une réalité. Pourtant, la suite de sa carrière ne sera pas celle espérée. En manque de temps de jeu en Gironde, le milieu de terrain décide de traverser la Manche pour tenter une nouvelle expérience. Il rejoint l’Angleterre et Norwich. La suite ne sera qu’une lente dégringolade. Dépression, escroquerie, tentative de suicide… Cédric Anselin s’est confié sur cette période sombre, pour que « le monde du football prenne conscience de cette maladie ».

Quand vous êtes-vous rendu compte que vous étiez en dépression ?

Ça a commencé en Angleterre. Passer des Girondins à Norwich, c’était un peu difficile, parce qu’à Bordeaux, j’étais le petit jeune de centre de formation qui jouait la Coupe d’Europe. A Norwich. Tout le monde me regardait car j’étais international français (U21), j’avais joué la Coupe d’Europe, j’étais un coéquipier de Zidane. J’avais plus de responsabilités et de pression, les médias venaient me poser des questions. Je n’étais pas préparé, éduqué pour ça. L’entraîneur qui m’avait fait venir à Norwich a été viré, et ça a été plus difficile avec son suppléant. Je ne jouais pas tout le temps, j’avais du mal à m’adapter, je ne connaissais pas grand monde. A la fin de la deuxième saison, où je n’avais pas beaucoup joué, l’entraîneur m’a dit que je ne faisais pas partie de ses plans et ils ont décidé de me laisser partir.

Comment avez-vous réagi ?

Moi, j’aimais beaucoup la ville de Norwich, j’y ai connu ma future femme, la région me plaisait et les supporters m’aimaient bien. Je me suis senti délaissé, ça a été difficile, on m’a poussé vers la sortie. Quand t’es au centre de formation de Bordeaux, t’es chouchouté. Je n’étais pas préparé à avoir des obstacles dans ma vie. Quand on m’a dit que je devais partir de Norwich, j’étais perdu. Je pensais que j’étais rejeté. Je me disais que je n’étais pas fait pour le foot pro, je doutais de mes qualités. Je n’étais pas préparé à cette brutalité. Et ensuite, tout s’est enchaîné.

La médaille de finaliste de la Coupe UEFA 1996.
La médaille de finaliste de la Coupe UEFA 1996. - C. A.

Vous n’avez pas réussi à rebondir ?

Je suis parti à Ross County, en Ecosse. Ça a été compliqué. Je suis parti seul, j’ai vécu toute l’année dans un Bed & Breakfast. A la fin de la saison, je n’ai pas été renouvelé. Je me suis retrouvé au chômage et le mental en prend un coup… Le téléphone ne sonne plus. Toi, quand t’appelles, personne ne veut te parler, tes copains s’éloignent. Par la suite, j’ai accepté une offre d’un club bolivien (Oriente Petrolero), parce que je n’avais rien du tout. Mais les deux premiers mois, j’ai attrapé la malaria, je ne jouais pas beaucoup et l’adaptation a été très difficile, avec une nouvelle langue à apprendre, j’étais tout seul dans un hôtel et j’ai décidé de rentrer en Angleterre au bout de six, huit mois…

Vous étiez toujours dans l’optique de faire du foot votre métier ?

A mon retour de Bolivie, j’ai appris que j’avais des problèmes d’argent, alors que je me pensais à l’abri. Une personne de ma famille m’a escroqué, faisait des falsifications de papiers, des transferts d’argent… J’ai perdu 500 000 €, je n’avais plus rien. Tout ce que j’ai construit s’est effondré, j’ai dû vivre dans une caravane pendant une année. En plus de ne pas avoir de club, de ne pas pouvoir jouer au foot, j’ai été trahi par ma propre famille… Ça m’a détruit, je n’avais plus confiance en personne. je me suis renfermé sur moi-même, je ne voulais plus sortir, je me demandais ce que j’allais devenir. Quand t’es dans le foot, t’es dans une bulle, tu ne penses qu’à ça, mais dès lors que ça s’arrête, c’est compliqué. Tu te retrouves vraiment seul. C’est là que la dépression a vraiment commencé.

« « Je me préparais dans mon salon pendant deux heures, à regarder le mur, avant de sortir de chez moi. Quand j’étais avec des gens, je me forçais à avoir le sourire. » »

Ça s’est traduit comment ?

J’ai fait une première tentative de suicide en 2012. Mais ma femme m’a sauvé. Un jour de septembre, elle est même venue me dire qu’un entraîneur français était à Cambridge et que je devais l’appeler. C’était Hervé Renard. Je suis parti à Cambridge et Renard m’a reconstruit mentalement et physiquement. Je lui dois beaucoup, il a été comme mon père, il savait tout de mon parcours, même si je ne lui ai jamais dit que j’étais en dépression. Mais il s’est fait virer en décembre. Dans ma tête, je me suis dit que tout recommençait comme à Norwich. Après des essais non concluants en Grèce et à Southend, je pensais que c’était la fin… J’ai signé dans des petits clubs à Norwich, me suis mis à la recherche d’un boulot et j’ai commencé à passer mes diplômes d’entraîneur. Mais mentalement, j’étais ailleurs.

Comment ça s’est passé avec votre femme et vos proches ?

Je n’ai rien dit à personne et personne ne s’en doutait. Je me préparais dans mon salon pendant deux heures, à regarder le mur, avant de sortir de chez moi. Quand j’étais avec des gens, je me forçais à avoir le sourire. Quand on a eu des enfants, je pensais que ça allait me permettre d’aller mieux. Mais ça n’a fait qu’empirer les choses. je ne voulais rien faire avec eux. La dépression avait pris le contrôle total de mon cerveau. Même quand on a recommencé à tout reconstruire avec ma femme, j’étais toujours au plus mal, je prenais des cachets, je buvais beaucoup d’alcool, je me suis remis à fumer…

Cédric Anselin avec le maillot de Bordeaux
Cédric Anselin avec le maillot de Bordeaux - C.A.

Vous n’êtes pas allé voir un médecin pour essayer de vous soigner ?

Si, je suis allé voir un médecin, sans rien dire à personne. Et il m’a envoyé voir un psychologue. Pendant six semaines, je suis allé le voir, je lui parlais de mes soucis mais ça ne m’a pas aidé. Je me disais : « Mais pourquoi je parle à un mec que je ne connais pas ? » Du coup, j’ai arrêté, ça ne me servait à rien, j’avais toujours mes problèmes à la tête, j’avais toujours envie de m’ôter la vie. Ma vie n’avait pas de sens, j’étais complètement perdu. Pourtant, j’avais tout pour être heureux, avec une femme et des enfants, je passais mes diplômes. Mais non, le matin, je ne voulais pas me lever, je restais dans le noir, je ne répondais plus au téléphone… J’étais au fond du puits et je ne voyais personne qui pouvait me sortir de là.

« Je suis rentré chez moi pour mettre fin à mes jours. J’avais tout préparé : j’avais acheté la corde la veille, tout était prêt dans le grenier. »

Du coup, la dépression a dû augmenter au fil des mois ?

En septembre 2015, ma femme a voulu reprendre les études, à Londres, pour passer son diplôme de dentiste. J’étais d’accord, car j’avais fait tout ce que je voulais moi dans ma vie. Mais je me suis retrouvé seul à Norwich avec les enfants et mon nouveau métier d’entraîneur en sport études. Pendant une année, sur ce rythme, je me suis enfoncé encore plus. Je ne disais rien à ma femme, car j’avais peur qu’elle arrête ses études. Au mois de juin 2016, je suis allé la voir et je lui ai dit : « Je ne suis plus amoureux de toi. » Mais ce n’était pas vrai, j’attendais juste une réaction positive de sa part, qu’elle me dise : « Tu fais un super boulot avec les enfants, t’es un papa génial. » C’est tout ce que je voulais entendre. Mais elle ne m’a rien dit. On a continué ensemble mais quelques semaines après, elle m’a trompé. On s’est séparé en octobre 2016 et elle est partie avec les enfants.

C’est à ce moment que vous avez fait votre deuxième tentative de suicide ?

Je suis resté dans la maison où on vivait, mais il y avait tellement de souvenirs à l’intérieur que ça en devenait destructeur. Je rentrais du boulot, j’étais seul, il n’y avait aucun bruit. Je ne pouvais plus vivre tout ça. Et un lundi, au milieu de l’entraînement avec mon sport études, je suis rentré chez moi pour mettre fin à mes jours. J’avais tout préparé : j’avais acheté la corde la veille, tout était prêt dans le grenier. Au moment de sauter, j’ai tourné mon téléphone et la lumière m’a ébloui les yeux. Je me suis dit qu’il fallait que j’appelle un ami, Clarke Carlisle, un ancien joueur de Queens Park Rangers, qui a aussi souffert de dépression et avait eu envie de se suicider. Et je lui ai tout dit.

C’est-à-dire ?

Clarke, c’est la première personne à qui j’ai tout raconté, alors que j’avais la corde au cou. J’étais en pleurs. Il m’a compris. A deux, on voulait monter une retraite pour anciens footballeurs professionnels qui souffraient de dépression mais on n’avait pas de finances pour, la Ligue anglaise ne voulait rien savoir. Lui ne savait pas que j’étais dans un tel état. Quand je lui ai tout balancé au téléphone, il m’a dit d’aller voir un ami et d’aller consulter un docteur et de tout lui répéter. Du coup, au lendemain de ma tentative de suicide, je suis resté une heure dans le cabinet du médecin et je l’ai supplié de m’aider. Il a appelé un hôpital psychiatrique qui est venu me récupérer. Ils m’ont gardé pendant un mois et demi, même si j’avais le droit de sortir pour voir des amis. Avant de partir, la directrice de l’hôpital m’a dit : « T’es un grand nom à Norwich, pourquoi tu ne parles pas dans un journal de tes soucis ? »

« La première chose que mon aîné m’a dit après que je suis sorti de l’hôpital, c’est : "Papa, est-ce que tu vas mourir ?" Ça m’a complètement retourné. »

Vous l’avez fait ?

Ça a mis du temps, mais j’ai finalement accepté. Après trois semaines, je me suis mis en contact avec un journaliste et j’ai tout expliqué. L’article est paru et depuis ce moment-là, j’en parle tous les jours, je sauve des vies. Cet article m’a servi de thérapie. Aujourd’hui, je parle de dépression dans les écoles, les collèges, les centres de formation de clubs professionnels : je suis parti évoquer cela à Ispwich Town, Norwich City, Cambridge, Southend. Et j’en parle aussi à mes enfants, avec qui je suis honnête. La première chose que mon aîné m’a dit après que je suis sorti de l’hôpital, c’est : « Papa, est-ce que tu vas mourir ? » Ça m’a complètement retourné. Maintenant, mes enfants, c’est ma priorité. Ils savent très bien que je suis sous médicaments, que parfois je ne suis pas bien, ils comprennent.

Comment a réagi votre ex-femme en apprenant tout ça ?

Elle m’a beaucoup aidé quand elle a appris que j’ai fait une tentative de suicide. Je lui ai dit tout ce qui s’était passé dans ma tête pendant quatorze ans. Elle a complètement dégringolé, elle pensait que c’était de sa faute, qu’elle n’était pas une bonne mère. Mais le problème, ce n’était pas elle, c’était moi, dans ma tête. Moi, je n’ai rien dit à personne, car je voulais être le mari parfait.

Cédric Anselin est devenu entraîneur chez les jeunes.
Cédric Anselin est devenu entraîneur chez les jeunes. - C.A.

Vous allez mieux maintenant ?

Oui, beaucoup mieux. J’ai encore des moments difficiles, mais ma vie a changé complètement. Je mange beaucoup mieux, je ne bois plus d’alcool, je m’entraîne. Mais la chose qui m’a aidé, c’est d’avoir accepté ma maladie, quand le docteur a mis un nom dessus pour me dire que c’était une dépression. Ça a été le déclic. Mon ex-femme, avec qui je suis très ami maintenant, est fière du chemin que j’ai parcouru.

« Les joueurs, c’est comme des oranges, on les presse pour avoir du jus et une fois qu’il n’y en a plus, on les jette. »

Quand vous intervenez dans des clubs, vous dites quoi aux joueurs ?

Je leur raconte mon histoire. Je les avertis surtout que, si on n’arrive pas à être footballeur, il faudra penser à quelque chose d’autre. Le problème qui se pose dans les centres de formation, c’est qu’on dit aux jeunes qu’ils vont être footballeurs pro, et pas l’inverse, alors que la grande majorité ne le devient pas. Il faut être honnête avec eux. On les programme à être des machines à gagner. On ne les éduque pas à l’échec, que ce soit scolairement, professionnellement ou humainement. Les joueurs, c’est comme des oranges, on les presse pour avoir du jus et une fois qu’il n’y en a plus, on les jette. Ils ne sont pas prêts mentalement à ça. Et si on n’en parle pas, ça va être de pire en pire.

Existe-il une omerta dans le foot au sujet de la dépression ?

Evidemment. Pourquoi, moi, je n’en parlais pas ? Parce que je pensais être le seul, que ça ne venait que de moi. Il faut accepter de voir la dépression comme une maladie. Sauf que c’est une maladie que personne ne peut voir. Quand on dit qu’on est en dépression, les gens ont peur, ils pensent qu’on est fou. Du coup, tu as honte d’en parler. Mais plus on en parle, plus les gens vont savoir comment réagir. Et ce qui est arrivé à moi peut arriver à d’autres. Gary Speed, ancien joueur et sélectionneur du pays de Galles, s’est suicidé, Aaron Lennon (Everton) a été hospitalisé pour dépression. Quand, du jour au lendemain, tu n’es plus à la une des journaux, que tu as moins de sollicitations, tu peux vriller mentalement. Quand tu n’es plus joueur pro, tu deviens une personne normale, où tu dois tout faire toi-même, tu n’es pas préparé à cela. Les clubs, les fédérations doivent aussi veiller sur l’après-carrière des joueurs.