Six mois après les JO, «le mec au drapeau de Sarreguemines» court toujours (et ses histoires sont dingues)
GLOBE-TROTTER•Devenu célèbre lors des JO, Cédric Schramm sera mardi au 16e de finale de Coupe de France de son club de Sarraguemines. Toujours avec son drapeau...Nicolas Camus
Il était encore là, dimanche, pour assister au sacre de l’équipe de France de handball à Bercy. Normal, après avoir été à Nantes puis à Lille pour suivre le début d’aventure des Bleus, il ne pouvait pas en rater l’apothéose. « Il », c’est Cédric Schramm. Son nom ne vous dit peut-être pas grand-chose, et pourtant, si vous regardez ne serait-ce qu’un peu le sport à la télé, vous connaissez forcément cet homme. Cédric Schramm est « le mec au drapeau de Sarreguemines ».
L’été dernier, lors des Jeux olympiques de Rio, on l’a vu PAR-TOUT. Il est rapidement devenu la vedette des réseaux sociaux. Amusés, un peu intrigués aussi, les internautes se sont amusés à recenser chacune de ses apparitions. Et la mairie de Sarreguemines a reçu d’innombrables appels pour demander qui était ce supporter présent sur les épreuves d’athlé, de natation, de judo, de gym, de triathlon, de VTT et on en passe.
Cinq mois plus tard, le championnat du monde de hand était une belle occasion de rencontrer ce supporter pas comme les autres. Pour revenir sur son fol été brésilien, bien sûr, mais surtout pour connaître l’histoire derrière ce fameux drapeau qui n’était, visiblement, pas une simple hype.
Première surprise, Cédric Schramm doit être l’une des dernières personnes sur Terre à ne pas avoir de téléphone portable. Et on parle même pas d'éventuels compte Facebook ou Twitter. Une singularité qui colle finalement assez bien au personnage, indépendant et qui aime vivre les choses au premier degré. Et qui avoue avoir été dépassé par le battage provoqué par les Jeux.
« J’ai été reçu à la mairie pour être fait citoyen d’honneur, au même titre qu’Aurélie Muller et Nicolas Peifer, nos deux athlètes locaux, raconte-t-il. Jamais je n’aurais pensé ça un jour. Est-ce que je le mérite ? Moi, personnellement, je pense que non. Je me balade juste dans les stades et j’accroche mon drapeau. J’ai conscience, maintenant, que ça a fait un énorme buzz. Mais un honneur comme ça, c’est peut-être trop. »
Ne croyez pas, toutefois, que tout ça n’a été qu’un hasard. S’il n’a pas cherché cette relative notoriété, ce Sarregueminois pur jus, qui a achevé ses Jeux en allant fêter ses 40 ans aux chutes d’Iguazu (le 23 août), agit avec l’objectif d’être vu. Il essaye toujours de placer son drapeau dans l’axe des caméras, même si lui est assis ailleurs dans les tribunes. Au prix de longues négociations, parfois. A la base, c’était pour que sa famille ses amis arrêtent de lui dire « t’es toujours dans les stades, mais on te voit jamais ». Et puis c’est devenu un jeu.
Le plus drôle dans l’histoire, c’est que tout ça ne se serait jamais passé sans le zèle du service de nettoyage de la ville de Göteborg. On est en mai 2015, Cédric part avec des amis courir un semi-marathon dans la deuxième ville de Suède - cet admirateur de l’Ethiopien Hailé Gébrésélassié a un record personnel à 2h31 sur marathon (Berlin en 2013), les puristes apprécieront. « J’avais amené ma banderole de l’époque, qui était jaune et bleu [les couleurs de son club de triathlon] avec juste le code postal de Sarreguemines dessus. Je l’avais accrochée à un endroit pour nous faire un point de repère pour se retrouver après la course. Mais à l’arrivée, elle n’y était plus. Les organisateurs m’ont dit qu’elle gênait, et qu’il ne savait pas où elle était. Elle a dû être jetée à la benne. »
« Fais bleu-blanc-rouge, avec le nom de la ville. Comme ça, ça sera voyant »
De retour chez lui, il a entrepris d’en fabriquer une autre, dans l’optique des Mondiaux d’athlétisme de Pékin, en août. « J’ai sondé les amis et la famille, ils m’ont tous dit "non, ne fais pas la même. Parce que ça ne parle à personne à part nous et quelques personnes à Sarreguemines. Fais bleu-blanc-rouge, avec le nom de la ville. Comme ça, ça sera voyant". Bon, il faut croire qu’ils avaient raison », se marre-t-il aujourd’hui.
Voilà comment la vie de Cédric Schramm s’est trouvée bouleversée. Parce que cela fait en réalité des années que, influencé par cette pratique qui se fait beaucoup en Allemagne et dans les pays anglo-saxons, il trimballe des drapeaux siglés au nom de sa ville dans les stades. Il a commencé petit, lorsqu’il allait voir le grand Milan AC époque Rijkaard-Gullit-Van Basten avec son père et son jeune frère, Vincent. Il ne s’est jamais arrêté, de la Coupe du monde 98 à l’Euro 2016, en passant par les matchs de Youri Djorkaeff à Kaiserslautern, les Mondiaux de hand et d’athlé en France en 2001 et 2003, l’Euro 2004 au Portugal, les Jeux d’Athènes en 2004, ceux d’hiver de Turin en 2006, etc, etc, etc.
Oui, discuter une heure avec Cédric Schramm, c’est se rendre compte au fur et à mesure que l’on parle avec quelqu’un qui a assisté à quasiment tous les plus grands événements sportifs mondiaux des 20 dernières années. Dingue. « Des anecdotes, j’en ai plein, confirme-t-il. Des amis me disent que je devrais écrire un livre. Je ne sais pas… J’ai tout dans la tête, et quand les gens me demandent, j’adore raconter. Mais c’est tout, c’est pour moi en fait. »
Mais comment fait-il niveau finances ?
Forcément, quand il dit qu’il « adore le sport en live, parce que ça procure des émotions qu’on n’a pas devant sa télé », on a tendance à le croire. Mais comme tout le monde, on se pose LA question : Mais comment fait-il ? Comment fait-il pour trouver le temps, l’argent, l’énergie de faire tout ça ? « Ah, les finances… Je sais que c’est la question qui revient tout le temps. Ça et le temps mis à disposition par mon employeur ».
Opérateur dans le fret à la SNCF, célibataire, il met en place une organisation sur toute l’année. « Je mets tous mes jours de repos et tous mes congés là-dedans. S’il faut travailler à Noël, au nouvel an, moi je m’en fous. Je travaille, et je récupère après, explique-t-il. Il faut pas croire, ce n’est pas toujours facile. Des fois, une semaine avant un événement, ce n’est pas encore réglé. Je m’arrange avec des collègues au dernier moment. »
Après, question sous, c’est autre chose. Il assure n’avoir aucune idée du budget qu’il consacre chaque année à sa passion. Son salaire, en tout cas, n’a rien d’extravagant. « Au quotidien, je ne vis pas dans le luxe, déjà. Je prends ça en compte tout le temps. Après, le truc c’est de toujours trouver le bon filon. Pour les hébergements, c’est auberge de jeunesse, Airbnb ou chez l’habitant, même. Je me débrouille ».
Depuis cet été, le Lorrain peut compter, aussi, sur un réseau d’amis qui s’est largement étendu. C’est l’un des effets inattendus de Rio, Cédric Schramm a éveillé des vocations. Certains supporters se sont mis à confectionner un drapeau à leur tour… et viennent demander au maître s’ils peuvent l’accrocher à côté du sien. « Une grande fierté », exprime ce dernier, qui voit aussi de plus en plus de personnes venir à sa rencontre juste pour voir qui il est et le féliciter.
Tout ça fait que le quadra n’est pas près de ranger sa banderole. « Tant que la santé et les finances suivent, je continue ! », assure-t-il. Le prochain grand rendez-vous, c’est dès ce mardi soir. Et il est très particulier. Chez lui, au stade de la Blies, le Sarreguemines FC, qui évolue en CFA2, va tenter de poursuivre son épopée face à Niort en 16e de finale de Coupe de France.
« Je leur ai fait une petite infidélité lors du tour précédent [contre Reims, déjà une Ligue 2], je ne pouvais pas être là parce que j’avais prévu depuis longtemps d’aller faire du ski de fond. Mon petit frère avait pris le relais et accroché la banderole. Mais cette fois, je serai bien là. » Il ne devrait pas avoir trop de problèmes pour la placer où il veut, bien en face de la caméra.