Autorisations thérapeutiques: Peut-on tricher pour avoir le droit de se doper légalement?
DOPAGE•Des tests drastiques sont effectués pour accorder ces fameuses autorisations, mais...Nicolas Camus
Les asthmatiques peuvent remercier les Fancy Bears. On ne s’est jamais autant intéressé à cette pathologie que depuis l’intrusion des hackers russes , en même temps que dans les médias du monde entier. Les documents confidentiels publiés montrent à quel point les autorisations d’usage à des fins thérapeutiques ( ) de produits considérés comme dopants sont largement répandues. Et notamment pour des problèmes d’asthme, comme , Bradley Wiggins, Laszlo Cseh ou Dimitri Bascou, tous médaillés aux jeux de Rio.
L’une des observations souvent entendues depuis est qu’il ne paraît pas impossible, pour des athlètes de haut niveau bien entourés et mal intentionnés, de tronquer les résultats des tests afin de se procurer une AUT sans être asthmatique pour autant. Et donc, pour être clair, de se doper en toute impunité.
L'AUT de Chris Froome douteuse
« Si on veut tricher, on peut toujours créer une altération bronchique au moment des consultations et des tests pour qu’au final, les examens montrent qu’il y a un état asthmatique. Là, on rentre dans un domaine un peu plus complexe où il faut que les gens connaissent les choses », avançait ainsi le médecin de l’équipe de France d’athlétisme Jean-Michel Serra .
« J’ai du mal à voir comment ce serait possible, répond Xavier Bigard, conseiller scientifique à (AFLD). On ne peut pas simuler une crise d’asthme ni un état asthmatique, il y a des examens suffisamment objectifs pour pouvoir éliminer cette possibilité. » Voilà à quoi est soumis un athlète lorsqu’il fait une demande d’AUT pour de l’asthme :
- Des épreuves fonctionnelles respiratoires, avec un masque, pour mesurer les débits respiratoires.
- Ensuite, pour lever la constriction (le rétrécissement des voies aériennes qui se produit pendant ou après l’effort), des produits par inhalation qui vont dilater les bronches sont administrés.
Des compléments médicaux peuvent également être demandés au sportif. Avec tous ces éléments, un dossier médical est constitué et envoyé à trois experts (médecins du sport libéraux ou hospitaliers) qui remettent un rapport commun pour signifier leur accord ou non pour une autorisation.
Ces médecins indépendants doivent répondre aux trois questions suivantes pour que la demande soit acceptée :
- Existe-t-il une alternative, un préjudice en absence de traitement ?
- Le traitement améliore-t-il la performance ?
- L’usage de cette substance n’est pas la conséquence d’une substance antérieure dopante.
Les conclusions de ces experts doivent également indiquer quel type de traitement est possible avec l’AUT, par exemple l’utilisation d’aérosols pouvant contenir des bronchodilatateurs ou des corticoïdes, considérés comme dopants.
C’est là qu'apparaît la zone d’ombre laissée par ce système. « La difficulté est de savoir quels médicaments on permet d’utiliser », résume , professeur en biotechnologie à l’école Centrale de Paris et spécialiste du dopage. Le cas fait de ce point de vue particulièrement débat. « Il a eu une AUT accordée pour des corticoïdes par voie générale [c’est-à-dire par prise orale]. Pour un asthme... C’est plus puissant qu’avec un aérosol et cela donne un avantage sportif. Surtout à ces doses. Dès que vous prenez des corticoïdes par voie générale à 40mg pendant sept jours, ça vous donne un boost indiscutable. »
Pourquoi alors est-il autorisé à recevoir un tel traitement ? Son AUT est signée par le docteur Zorzoli, médecin de l’Union cycliste internationale aujourd’hui suspendu. « Dans ce cas, il ne s’est pas conformé à la réglementation internationale. Il a octroyé l’AUT sans passer par un comité d’experts », assure Xavier Bigard, tout en s’interrogeant sur sa validité.
Plus généralement, les autorisations thérapeutiques peuvent constituer une source d’inégalités entre athlètes. Il est normal de soigner, mais pas toujours facile d’évaluer les conséquences. « Lorsqu’un médicament actif est utilisé pour une pathologie, il faudrait que les gens soient arrêtés sportivement pour en bénéficier, suggère Gérard Dine. Entre réparation et préparation, la frontière est mince. » Et aujourd’hui la zone grise évidente.