JO 2016: Gestion du temps, calme, but au buzzer… La dernière minute des Experts face à l’Allemagne est un chef-d’œuvre
HANDBALL•« A ce moment-là, on porte ses couilles et on tire »…B.V.
De notre envoyé spécial à Rio,
Là, on n'est pas bien. Il reste une minute à jouer dans cette demi-finale des JO et l’Allemagne vient d’égaliser à 28-28, alors que la France avait quatre buts d’avance à dix minutes du terme. C’est la crise, mais les Bleus vont avoir le dernier ballon pour essayer de l’emporter. Ce qu’ils vont faire au terme d’une gestion absolument incroyable de sérénité et d’un but dingue de Daniel Narcisse. Ca n’y parait pas comme ça, mais être aussi lucide à ce moment-là d’une demie des JO, c’est tout simplement incroyable.
Le contexte
Lorsque les Bleus récupèrent la balle à 28-28, il reste pile une minute à jouer et ils sont actuellement en train de subir un « tsunami » de la part des Allemands, dixit le coach Claude Onesta. « On est dans le dur depuis sept ou huit minutes », confirme son joueur Kentin Mahé. « Les arbitres faisaient tout pour essayer de faire revenir les Allemands », poursuit le consultant de Canal+ Grégory Anquetil. Bref, c’est chaud pour les Bleus.
L’objectif
L’idée, c’est de « manger le temps », dixit Valentin Porte, pour que les Français prennent le dernier tir du match et empêchent les Allemands de remettre la main sur le ballon. De cette manière, la prolongation est au moins assurée et les Bleus auront une chance « gratuite » de l’emporter sur un tir.
Le déroulement
Concrètement, voilà comment ça s’est passé :
- Les Bleus font tourner le ballon pendant 15 secondes.
- A 59’15, Didier Dinart, le coach adjoint des Bleus, décide de poser un temps mort
- Au retour du jeu, les Bleus refont tourner le ballon pendant 20 secondes jusqu’à ce que les arbitres lèvent le bras pour indiquer la menace « du refus de jeu ». Il faut tirer ou le ballon sera rendu à l’Allemagne.
- A 59’35, après deux passes, Daniel Narcisse va s’affaler contre deux défenseurs pour obtenir une faute. Le temps s’égraine et les arbitres ne peuvent pas siffler le refus de jeu.
- La balle est remise en jeu à 59’48. Les Bleus ont obligation de tirer très vite. Après trois passes, Narcisse part en un contre un vers l’extérieur et déclenche son tir à 59’57. But. Fin du match.
Le décorticage
Résumé comme ça, ça parait simple. Sauf que ça ne l’est pas du tout : la France est sous pression, fatiguée, et l’on parle quand même d’une demi-finale des JO. Et pourtant, « à aucun moment, ils ne paniquent, analyse Greg Anquetil. C’est le métier, mais il faut avoir fait dix finales de championnats d’Europe, du monde et de JO pour pouvoir maîtriser à ce point. Ils en ont vécu tellement que ça reste calme. »
Exemple : la bonne faute grattée par Narcisse, qui « savait qu’il fallait tirer le plus tard possible ». Mahé raconte d’ailleurs que tout s’est joué lors du court arrêt de jeu appelé pour passer la serpillère après cette faute. Le temps est arrêté quelques secondes et les Bleus en profitent pour « annoncer une petite combinaison qui devait finir sur Daniel Narcisse. » L’intéressé confirme :
« « Niko [Karbatic] annonce dans les dix dernières secondes un truc qu’on a pas fait depuis je sais pas combien de temps. Je me dis merde, qu’est ce qui se passe ? (rires). Et puis ok : il a vu quelque chose, il faut le jouer à fond. » »
Dans cette équipe depuis 2010, Kentin Mahé savoure : « C’est ça qui fait notre force, les mecs évoluent depuis longtemps à ce niveau-là. C’est à ça qu’on voit que les affinités sont très fortes. On se sent les uns les autres. ». Et l’expérience des anciens fait le reste. Claude Onesta : « C’est un peu pour ça qu’ils sont là les vieux ! A ce niveau-là, on sait que c’est ces joueurs-là qui vont devoir prendre le ballon et savoir le jouer. Ils sont partis sur un mouvement qu’ils connaissaient bien sauf que tu peux faire tous les mouvements de la terre, il y a un moment où le mec qui a le ballon en main doit le mettre dans le but. »
Ce coup-ci, c’était pour Narcisse. Et c’est peut-être le truc le plus improvisé de toute l’action. Parce qu’une fois la combinaison mise en place, il faut se le créer, son tir. « Il va se jeter la tête en avant et va trouver un tir la tête par terre, le bras en haut, une jambe d’un côté, le pied de l’autre… Il n’y a pas grand-monde qui est capable de faire ça », rigole Anquetil. Mahé est lui admiratif : « A ce moment-là, on porte ses couilles et on tire. »
Avec d’autres mots, Narcisse raconte sa version des faits :
« « Tu tires, c’est tout, tu cherches pas. Il fallait attendre les dernières secondes avant de tirer. Je regarde le gardien, j’étais poussé, je pars du côté droit, je sais que le gardien va venir sur ce côté-là et je tire croisé. » »
La morale de l’histoire ? La France a gagné un match qu’elle était en train de perdre parce qu’elle a appris à le faire. Valentin Porte : « Même si l’expérience ne fait pas tout. Elle paye toujours sur la fougue et la jeunesse. »