JO 2016: Les Bleus sont devenus les Experts grâce au «plus gros vol de l'histoire du handball» en 2007
HANDBALL•L’horrible défaite aux Mondiaux avait rendu dingue toute la France. Claude Onesta, lui, s’en est servi pour la suite…B.V. (avec R.B)
De notre envoyé spécial à Rio,
« C’est le plus gros vol de l’histoire du handball international, peut-être même de l’histoire du sport. » Si vous avez oublié cette demi-finale du Mondial 2007 de handball c’est soit que 1) vous en avez rien à faire du hand 2) vous avez la mémoire très sélective 3) vous êtes Allemand. Parce que ce jeudi 1er février 2007, toute la France a crié sa rage après la défaite de Jérôme Fernandez et ses petits potes face à l’Allemagne, chez elle.
« On s’était fait voler, persiste encore aujourd’hui l’ancien capitaine des Bleus, consultant pour France Télévisions. On est dans le match tout le temps mais au bout d’un quart d’heure, j’ai vu que l’arbitrage n’était pas correct. La prolongation, ça a été le comble. Roggisch faisait ce qu’il voulait, il mettait des parpaings en toute impunité. » Mention spéciale à ce but de l’égalisation refusé sans raison à Michael Guigou à 15 secondes de la fin de la deuxième prolongation.
aNeuf ans plus tard, tout a changé. Au moment de retrouver l’Allemagne en demi-finale des JO, les Bleus sont devenus les Experts, la meilleure équipe de l’histoire de leur sport. Et le « drame de Cologne » n’y est pas pour rien. « Ça a été un moment décisif pour nous, explique justement Guigou. Cette défaite nous a concrètement fait gagner après. Elle a été très importante pour notre construction, dans le fait qu’il faut se concentrer sur soi-même, ne pas attendre des décisions. On a compris que malgré le contexte, on aurait dû être capable de gagner le match ».
Quasi mystique, le sélectionneur Claude Onesta développe (attention, c’est long, mais tout à fait passionnant) :
« A ce moment-là, personnellement, j’en avais plus perdu que gagné. Donc on n’en était pas encore à faire de la philosophie, on essayait de survivre à chaque compétition. Et après cette compétition, avec les problèmes d’arbitrage, c’était la première fois que je ne me faisais pas assassiner en sortant, les gens nous plaignaient presque car on était victimes d’une injustice. Passés deux ou trois jours, j’ai compris le piège : si vous arrivez à suffisamment bien expliquer vos défaites, vous les faites passer inaperçues. On aurait pu se contenter de la pitié que les gens nous envoyaient : " Les pauvres ! l’injustice ! En plus contre ces salauds d’Allemands ! ". Mais j’ai immédiatement demandé à mon staff de remettre tout en chantier car le seul truc sur lequel on peut agir c’est le jeu, la gestion. Ça, ça nous appartient. L’arbitrage, les délégués, le public, on n’aura jamais de prise dessus : on a perdu et on a pas su gérer des éléments qui étaient à proximité de nous. Alors c’est pas la peine de se réfugier là-dedans. Notre travail, c’est de faire en sorte que si notre jeu s’améliore et que notre équipe s’améliore, un jour elle le sera suffisamment pour ne plus subir ces environnements négatifs. Le fameux " On apprend de ses erreurs ", bah ce jour-là on a vraiment commencé à bien apprendre. »
>> France-Allemagne est à suivre en direct sur « 20 Minutes » à 20h30
Onesta change alors ses méthodes. Concrètement, voilà ce que ça donne :
- Une responsabilisation des joueurs : « J’ai beaucoup investi à ce moment-là sur une forme d’autonomie des joueurs, sur le fait de les amener avec nous dans la construction pour qu’ils soient aussi avec nous dans la gestion et la régulation du jeu, mais aussi dans l’analyse et le bilan. Ils sont devenus adultes. On avait des gens qui étaient devenus des acteurs intelligents. »
- Une remise à zéro tactique : « C’était le moment de vraiment réanalyser le jeu, identifier les éléments dans lesquels on était défaillants. Notamment sur le jeu rapide, en transition (entre attaque et défense), où les autres nations étaient meilleures »
- Une remise en question globale : « On s’est fait mal en se disant qu’on n’était pas bons alors qu’on avait plutôt tendance, jusque-là, à être consensuels. Vous devez convaincre des joueurs qu’il y a des choses qu’ils ne réalisent pas bien, parce que le propre du joueur c’est de croire qu’il fait tout bien. Il a donc fallu leur prouver pendant plusieurs mois, avec des études ou l’analyse des autres nations, que dans certains secteurs de jeu, certains étaient beaucoup plus efficaces que nous. Ils ont accepté le bilan et de ne plus mettre un mouchoir sur les petits défauts qu’on voyait et qu’on ne préférait pas aborder. »
L’effet est instantané. Champions olympiques l’année suivante puis en 2012, les Experts gagnent aussi le Mondial en Croatie face à la Croatie (2009), puis le Mondial en Suède face au Danemark (2011) et enfin le Mondial au Qatar face au Qatar (2015). Autant dire dans des ambiances similaires à 2007. « Cette frustration a fait que, quand on a eu la main derrière, on n'a plus rien lâché, analyse Jérôme Fernandez. On s’est dit " Une fois mais pas deux ". Ça nous a donné la force d’aller gagner chez les hôtes. Ça nous a donné une rage contre le système dont on s’est servis. »
Tant de succès qui nous amèneraient presque à baiser les pieds de messieurs Hakansson et Nilsson, les arbitres de ce France-Allemagne. Fernandez conclut : « Aujourd’hui, les arbitres ne s’amuseraient plus à nous faire ça. » Le privilège des puissants.