DRAMEAttentats de novembre: Quatre mois après, les victimes du Stade de France se sentent comme «les oubliés»

Attentats de novembre: Quatre mois après, les victimes du Stade de France se sentent comme «les oubliés»

DRAMEIl y a eu en tout 56 blessés à Saint-Denis...
20 Minutes avec AFP

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13 novembre: 90 morts au Bataclan, 39 aux «terrasses» et un homme tué au Stade de France. «Une seule victime»? Ils sont pourtant 56 à avoir été blessés à Saint-Denis, grièvement pour certains. Quatre mois après, ils ont l'impression d'avoir «disparu des écrans radars».

Ils sont pourtant 56 à avoir été blessés à Saint-Denis

13 novembre: 90 morts au Bataclan, 39 aux «terrasses» et un homme tué au Stade de France. «Une seule victime»? Ils sont pourtant 56 à avoir été blessés à Saint-Denis, grièvement pour certains. Quatre mois après, ils ont l'impression d'avoir «disparu des écrans radars».

A 21h07 ce soir-là, Stéphanie peste devant la porte H en attendant ses amis retardataires. Pour passer le temps, cette trentenaire, attachée de recherches cliniques, enregistre un message vocal pour une amie sur WhatsApp. On y entend la première explosion. Puis, d'une voix blanche et méconnaissable, un monologue psalmodié où il est question de «panique», de «gens qui courent» et de «policiers partout». Une énorme détonation interrompt l'enregistrement: le deuxième kamikaze était à moins de dix mètres d'elle.

«Je ne pouvais plus bouger. J'ai regardé ma jambe, le sang coulait comme si on avait ouvert un robinet», se souvient cette Franco-Cubaine.

«Un film d'horreur»

C'est le début d'un «film d'horreur»: «les morceaux sur le sol, comme du steak», le Quick transformé en hôpital de campagne abritant les corps mutilés, la troisième explosion et les discussions des pompiers qui font minute par minute le décompte des morts au Bataclan. Puis l'hôpital, où elle est opérée pour retirer l'écrou venu se loger dans sa jambe.

Quatre mois plus tard, Stéphanie a quitté son fauteuil roulant pour des béquilles, et a découvert que «Paris n'était vraiment pas faite pour les handicapés». Sa crainte: devoir un jour être amputée. Mais il y a aussi ce sentiment douloureux «d'être sortie des écrans radars». «J'ai écouté le procureur faire le bilan des attentats: il a donné le nombre de morts et de blessés pour le Bataclan, les terrasses. Et pour le Stade? Un mort, point. Et nous? Je n'ai même pas réussi à savoir combien de personnes ont été blessées là-bas», s'énerve la jeune femme. «On est les victimes des premiers attentats kamikazes de l'histoire de France, on ne peut pas nous oublier comme ça! D'ailleurs, je me sens pire qu'oubliée: ignorée.»

Mohamed, qui était lui aussi à quelques mètres du deuxième kamikaze, parle avec amertume d'un «dossier classé». Comme Stéphanie, cet agent de sécurité de 47 ans refuse de donner son nom de famille, au cas où les jihadistes chercheraient à le «retrouver», pour l'«achever».

Il raconte «les morceaux qui tombaient du ciel, un mélange de tissu et de chair brûlée, comme de la pâte à modeler», dont ses vêtements et chaussures ont été maculés. Les boulons, «numéro 10» précise-t-il, sous sa peau. Ce sang dont sa tête a été recouverte, mais qui n'était pas le sien.

La première victime du 13 novembre au Stade de France

Après une nuit d'errance, Mohamed a mis ses vêtements dans un sac en plastique et les a emmenés à la police, «pour l'ADN». Depuis, il vit comme Stéphanie les nuits blanches, la «peur» de la mort, la déprime, les psychologues. Et partage avec elle ce sentiment d'«oubli». «Depuis le 13 novembre, je suis les médias: ils sont aux terrasses, au Bataclan, mais ne parlent jamais du Stade de France. Faut-il remplir un quota de morts pour qu'on s'intéresse à nous?»

Des spectateurs quittent le stade France à Saint-Denis dans la banlieue parisienne après le match de amical de football France-Allemagne, le 13 novembre 2015
Des spectateurs quittent le stade France à Saint-Denis dans la banlieue parisienne après le match de amical de football France-Allemagne, le 13 novembre 2015 - FRANCK FIFE AFP

Sophie Dias a perdu au «Stade» son père adoré. Manuel Dias, un chauffeur portugais de 63 ans, a été la première victime du 13 novembre. «J'ai entendu dire que c'était des attentats ratés et ça, je ne peux pas l'accepter», lâche-t-elle. «Pour nous, c'est une famille qui est brisée. Qu'on ne parle que des terrasses et du Bataclan alors que la douleur est la même pour tous est très injuste.» La jeune femme s'interroge: «aurait-il fallu que tout le stade saute pour qu'on parle de nous?».

Lors des attentats, les blessés ont vécu «un moment de solitude radicale face à la mort et éprouvé un sentiment d'abandon difficile à réparer», explique Thierry Baubet, psychiatre spécialiste des traumatismes collectifs à l'hôpital Avicenne de Bobigny (AP-HP). «C'est pour ça que c'est important que l'on parle d'eux, qu'il y ait des réparations, des représentants de l'Etat qui viennent poser des plaques: ce sont ces hommages symboliques qui témoignent du soutien de la société», dit-il.

Un enquêteur de la police judiciaire de Seine-Saint-Denis l'admet: «c'est triste à dire, mais vu ce qui s'est passé après ce soir-là, le Stade de France, c'est devenu anecdotique. Une petite histoire».