Saut à la perche: Pour Romain Mesnil, Renaud Lavillenie a battu «le record le plus mythique de l'athlétisme»
INTERVIEW•L'ex-perchiste décrit le nouveau maître de la discipline…Propos recueillis par Romain Baheux
Il a vu grandir le phénomène. Ancien numéro 1 français du saut à la perche, Romain Mesnil a côtoyé Renaud Lavillenie en équipe de France dans les dernières années de sa carrière. Le double médaillé mondial (2007-2009) revient sur le record du monde de la discipline, battu par le Clermontois samedi avec un saut à 6,16 m, et évoque la personnalité de son ex-rival.
Vous attendiez vous à voir Renaud Lavillenie battre ce record dès maintenant?
Les centimètres sont tellement difficiles à gratter à cette hauteur là et le voir battre ce record maintenant à Donetsk, ça faisait un peu trop écrit. Beaucoup de sportifs français se plantent dans ce genre de cas. Et puis là, il passe cette barre au premier essai, c’est phénoménal. Je suis totalement surpris.
Pensiez-vous le voir tomber un jour?
Oui, mais je ne voyais pas quel perchiste pouvait le faire. Je me disais qu’il n’était pas né. Quand je venais de faire 5,93 m, des gens de mon entourage me disaient que je pouvais viser le record du monde. Je leur répondais d’arrêter de rêver. C’est la différence entre un perchiste de haut niveau normal et Renaud. Lui, il y pensait depuis très longtemps.
Etait-ce le record le plus mythique de l’athlétisme?
Je suis perchiste mais je pense quand même que oui. Bubka a tellement dominé, il améliorait la marque centimètre par centimètre alors que la concurrence était loin derrière. On va voir si celui d’Usain Bolt sur 100 m devient aussi mythique mais il faut encore attendre.
Renaud Lavillenie peut-il encore l’améliorer?
Ça devient possible. Ce record du monde, on le trouvait inaccessible. Sur des vidéos, on voyait même que Bubka était capable de passer 6,30 m. Maintenant que cette barrière est tombée, Renaud va pouvoir peut-être gratter quelques centimètres, sans avoir à la base le potentiel de Bubka. De toute façon, on lui a toujours mis des limites qu’il a franchies. A un moment, on pensait que ça serait un bon perchiste à 5,80 m et l’année suivante, il fait 6 m. Et une fois ça accompli, il devient champion olympique. C’était une grosse étape, c’est là où il a pris le plus de confiance. Il n’a pas de limites ni de barrières mentales.
Franchir 6,16 m va-t-il le rassasier?
Non, pas pour l’instant. C’est un insatiable. Même champion olympique, il n’a pas fait semblant et a continué d’enchaîner les sauts.
Symboliquement, est-il passé devant Sergueï Bubka?
Il en prend la tournure mais il n’a pas autant de titres mondiaux. Je pense que c’est ce qui va lui permettre de continuer à s’améliorer. Cette volonté d’essayer d’être au-dessus de Bubka même sur le plan de l’image.
Quel perchiste était-il à ses débuts?
Certains vont dire le contraire maintenant mais personne ne pensait le voir passer 6 m un jour. Il sautait relativement bien techniquement et il moulinait très vite des jambes. Par contre, il prenait énormément de risques et partait dans tous les sens. Il a manqué je ne sais pas combien de fois de se faire extrêmement mal. Même en 2009, quand il passe 6 m, ça pouvait encore partir dans tous les sens. Puis il a mis de la rigueur et a continué à progresser. C’est un garçon qui avait toujours envie de tout bouffer.
Comment le décririez-vous?
Il est très agréable au quotidien mais dès qu’il y a un peu de compétition, il devient insupportable. Que ce soit dans la perche ou dans un autre domaine, il veut tellement être le meilleur que c’est parfois fatiguant.