Colère des agriculteurs : Les prix planchers sont-ils hors sol ?
agrO-économie•Samedi, lors de sa visite houleuse au Salon de l’agriculture, Emmanuel Macron a lancé l’idée d’instaurer des prix planchers pour les exploitants agricolesGuillaume Novello
L'essentiel
- Emmanuel Macron a souhaité samedi lors de son passage au Salon de l’agriculture « qu’on puisse déboucher » sur « des prix planchers qui permettront de protéger le revenu agricole ».
- Une proposition, plutôt portée par la gauche, qui n’a pas trop plus à la FNSEA, le syndicat majoritaire.
- Or les prix fixes existaient jusqu’en 1992 en Europe mais leur retour n’est pas simple, et nécessite d’être porté au niveau européen, comme le réclame Philippe Gosselin, député LR de la Manche.
Bientôt des kolkhozes dans la Beauce ? On ne serait pas loin d’y croire au vu de certaines réactions à la proposition faite samedi par Emmanuel Macron d’établir des prix planchers pour assurer un revenu décent aux agriculteurs. « Je ne pense pas que le souhait du président […] soit de soviétiser l’économie », a ainsi commenté le boss de la FNSEA, Arnaud Rousseau. « C’est un truc de système soviétique », abondait sur Europe 1 Marc Fesneau, le ministre de l’Agriculture, au sujet de la proposition LFI d’instaurer des prix planchers, qui pourtant ne semble guère éloignée de l’initiative présidentielle. Cent ans après sa mort, Lénine s’est-il réveillé comme le chantait Michel Sardou ?
Pas vraiment. Déjà parce que les prix planchers ont existé par le passé, et un passé pas si lointain. « Dans le cadre de la PAC, jusqu’en 1992, il y avait des prix garantis au niveau européen », rappelle Hervé Guyomard, directeur de recherche à l’Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement). En gros, quand le prix de marché était trop faible, la CEE de l’époque achetait les surplus pour faire remonter les prix et permettre aux agriculteurs d’écouler leur marchandise. Soit la CEE (l’UE d’alors) achetait directement soit subventionnait des stockeurs privés.
Le beurre et l’argent du beurre
« Le problème c’est que, par exemple, on s’est retrouvés avec des montagnes de beurre et qu’on ne savait pas quoi faire de ces stocks, pointe Hervé Guyomard. On parvenait à en écouler une partie chez des pays tiers grâce à des subventions à l’importation. » Avec ces dernières, l’agriculture était compétitive sur les marchés mondiaux même si ça faussait le commerce planétaire. Et justement, l’OMC n’a pas trop aimé ces combines et a interdit les subventions à l’exportation en 1992, ce qui, par ricochet, a entraîné l’abandon des prix garantis, face à l’accumulation des stocks. Au vu de l’organisation économique mondiale, instaurer des prix planchers en France paraît donc particulièrement complexe. « On ne peut pas jouer tout seul », confirme le directeur de recherches. De fait, les prix planchers pourraient surtout profiter aux exportateurs des autres Etats-membres.
Néanmoins, pour Philippe Gosselin, député LR de la Manche, il faut creuser le sillon des prix planchers et profiter du momentum, comme diraient nos collègues sportifs, au niveau de l’UE. « Il y a un mouvement européen de contestation qui n’a pas été vu depuis plusieurs années, constate l’auteur en 2015 (déjà) d’une proposition de résolution « tendant à la création d’une commission d’enquête relative à la fixation des prix en agriculture ». On a peut-être enfin une fenêtre de tir sérieuse pour changer les choses au niveau européen. C’est le moment d’agir. »
Même s’il se méfie des « usines à gaz et de ceux qui trouvent des chemins de traverse pour contourner les dispositifs », le député LR enjoint le gouvernement à profiter de la loi d’orientation agricole pour aborder le sujet et surtout de « porter tout ça au niveau européen ».
Doper la loi Egalim
Concrètement, Emmanuel Macron, qui n’a pas fait l’ENA pour rien, s’est bien gardé préciser comment il comptait mettre en place ces prix planchers et s’il entend les porter au niveau européen. D’ailleurs, il souhaite surtout « qu’on puisse déboucher », ce qui augure de longues et âpres négociations, notamment au vu de l’opposition de la FNSEA.
Notre dossier sur la crise agricolePour Hervé Guyomard, une piste pourrait être de renforcer la loi Egalim en rendant les prix planchers obligatoires dans les contrats entre producteurs, industriels et distributeurs. En gros, actuellement, ces prix sont déterminés par les interprofessions elles-mêmes, mais toutes ne le font pas ou avec modération. L’idée serait que l’Etat, face à la défaillance de l’initiative privée, fixe les prix planchers pour les contrats.
Réformer la PAC, encore et toujours
D’apparence, ça paraît simple mais évidemment plein de difficultés surgissent. Déjà, il faut que les pouvoirs publics aient les capacités et les compétences pour déterminer ces prix, ce qui n’a rien d’évident. Ensuite, souligne Hervé Guyomard, « les prix planchers sont basés sur un coût moyen » alors même qu’il y a une hétérogénéité forte entre les producteurs. En conséquence, les gros exploitants, grâce à leurs économies d’échelles, profiteraient à fond des prix planchers, alors que les petits, qui sont le plus en difficulté et aux coûts de production plus lourds, ne verraient pas leur quotidien changer. Pas forcément le but de la manœuvre.
Une autre possibilité pour soutenir le revenu des agriculteurs, serait de modifier les conditions d’attribution des aides de la PAC. Aujourd’hui, elles sont attribuées à l’hectare donc plus on possède d’hectares, plus on est aidés. Un système pas forcément favorable aux petites exploitations alors que, comme le souligne Hervé Guyomard, ce sont elles qui sont le plus en difficulté. C’est pourquoi il salue l’annonce par Emmanuel Macron samedi d’un « plan de trésorerie d’urgence » à destination des fermes les plus fragiles. Tant qu’il ne les contraint pas à la collectivisation.