Grève du 7 mars : « Juste une matinée de merde de plus »… On a cherché du positif dans cette journée galère
Reportage•« 20 Minutes » est parti à la recherche des bons moments de vie pour et entre les usagers dans cette journée de grèveJean-Loup Delmas
L'essentiel
- Nouvelle journée de mobilisation contre la réforme des retraites en ce mardi 7 mars, où les syndicats avaient fait la promesse de « bloquer » le pays.
- Effectivement, à écumer Paris, les galères sont nombreuses pour les usagers : train annulé, métro ralenti, école fermée…
- Malgré ces difficultés, de nombreux travailleurs nous ont gratifié de beaux moments. On en a saisi cinq pour vous.
De notre envoyé spécial dans la galère,
Tout comme on évite de se mettre sous un arbre lors d’un orage, on s’arrange habituellement pour éviter la gare du Nord un jour de grève nationale. Epicentre des RER B et D, qui y déposent la France qui se lève tôt et pour qui le télétravail est impossible, la gare parisienne se transforme en une certaine idée de l’enfer lorsque deux tiers des trains ne roulent pas. Comme en ce mardi, en raison du mouvement de contestation contre la réforme des retraites.
Après trois semaines de teasing pendant lesquels les syndicats ont promis de « bloquer le pays », tandis que le gouvernement était à deux doigts de nous annoncer les sept plaies d’Egypte si la grève se prolonge trop, nous y voilà. Un matin de grève, planté sur le quai, un café à la main et trop de candeur dans le cœur, à la recherche d’un peu d’humanité et d’optimiste dans cette journée où chaque camp a prédit l’enfer.
Des patrons plus sympas
Les rares RER qui arrivent à destination sont plus bondés que l’armoire à trophée de Lionel Messi, et les gens fuient sur le quai à la recherche d’un peu d’air et d’espace. Mais l’usager lambda de la gare du Nord est résilient et en a vu d’autres. Ahmed reprend sa respiration après un trajet au bord de l’asphyxie. Puis relativise : « Attendre une demi-heure pour un métro ou voir plein de trains supprimés, ce n’est pas tellement extraordinaire par les temps qui courent ». Depuis quelques mois, le réseau Ile-de-France subit de fortes perturbations. « Le RER B, ça a toujours été le bordel, c’est juste une journée un peu plus galère que les autres, mais pas franchement un grand écart », poursuit l’homme qui a patienté 45 minutes sur un quai à Drancy avant de pouvoir monter. « Une matinée de merde de plus ou de moins sur le front du RER, vous savez », relativise-t-il en haussant les épaules, qu’il peut enfin déployer dans toute leur largeur après avoir été compressé durant le trajet.
Après le relativisme arrive la bonté humaine qu’on était venu chercher : « D’habitude, on sait qu’on va se faire passer un savon en cas de retard au boulot. Mais aujourd’hui, notre patron a prévenu qu’il serait coulant sur les horaires, en raison de la grève. Alors pour une fois, je vais pas courir de la gare du Nord jusqu’au taf. »
Un deuxième café à Châtelet, où on découvre Sophie, partagé entre son ordinateur et son Macchiato. Là aussi « grâce » à un boss un peu plus laxiste que les autres jours : « Normalement, le télétravail nous est interdit, mais aujourd’hui on a exceptionnellement le droit. Je dis pas que c’est la panacée, mais avouons que travailler dans ce café, c’est quand même plus sympa que mon open space pourri. Et j’ai pas à subir mes collègues relous ». Pas de petit plaisir dans ce genre de journée.
« Si c’est ça l’enfer, promis, ça devrait aller »
Et puisque nous aussi, nous sommes en quelque sorte en télétravail à écumer Paris, on en a profité pour faire un aller-retour de cartons pour notre déménagement (on s’excuse auprès de notre chef qui relit ces lignes). Alors qu’on galérait à transporter une plante jusqu’à notre nouvel appartement - pour notre défense, un pachira qui tutoie les deux mètres –, une gentille âme nous a proposé de nous aider à bouger le monstre végétal. « Moi aussi, je suis censé bosser, mais je profite du télétravail obligatoire pour faire un tour dehors », confie Thomas, le cœur sur la main et les biscottos bien utiles.
Le pachira installé, on continue à côtoyer de la verdure au parc le plus proche. L’occasion d’un énième café et de papoter avec Christelle, forcée de ne pas bosser aujourd’hui pour garder son marmot, la faute à une école en grève. « Ne dites pas que cette journée est une chance pour moi ou que je me la coule douce », nous gronde-t-elle presque, le regard à moitié méfiant, à moitié en train de surveiller la marmaille qui court dans l’herbe. « Ce congé, je l’aurais volontiers pris ailleurs que dans une journée grise en plein milieu de semaine ! » Passé l’avertissement, Christelle concède : « Il y a pire qu’un mardi avec son fils. Si c’est ça, l’enfer promis depuis des semaines, ça devrait aller ».
Sur le retour, on croise Martin, costume trois-pièces et mallette à la main. Il se prépare à rentrer chez lui à pied - comptez 1h30 et 14 kilomètres de marche. « C’est long… Mais à ma façon, je désengorge les métros pour les travailleurs qui ne peuvent faire autrement. Cette grève s’annonce longue, alors il faut qu’on s’entraide. » Quitte à faire un semi-marathon par jour pour aller au taf ? « Il fait presque beau aujourd’hui, c’est un signe pour marcher », dit-il en zieutant un bout de ciel bleu qui perce les nuages. Certes, mais la grève est reconductible et à partir de mercredi, il pleut sur Paris… « On va faire de mauvaise fortune bon cœur. Il pleut demain ? Eh bien, j’irais au travail en chantant sous la pluie ».