ContestationLes blocus des lycées et universités contre la réforme peuvent-ils durer ?

Réforme des retraites : Blocages, AG, sacrifices… Comment les étudiants peuvent peser dans la durée ?

ContestationLa mobilisation contre le projet du gouvernement se déroule aussi devant les établissements éducatifs bloqués par des poubelles, des chaises ou des barrières
Diane Regny

Diane Regny

L'essentiel

  • Précarité, inquiétude pour l’avenir, les étudiants et lycéens ont de nombreuses raisons d’être en colère et de vouloir rejoindre le mouvement contre la réforme des retraites.
  • A Rennes, Lyon, Paris ou Toulouse, de premiers blocages d’établissements ont eu lieu, alors que les organisations de jeunesse ont pris date pour jeudi.
  • Les jeunes vont-ils peser dans la suite du conflit ? Selon quelles modalités ? « 20 Minutes » s’est penché sur la question grâce à l’éclairage du sociologue Michel Fize et de la présidente de l’Unef Lyon, Manon Moret.

Poubelles, chaînes, barrières de chantier… Alors que la contestation contre la réforme des retraites reprend ce mardi, étudiants et lycéens organisent leur participation. La contribution des jeunes au mouvement s’exprime souvent à travers le blocage des établissements. Le « blocus » est l’une « des deux manières de s’engager pour les jeunes, avec la manifestation classique », note le sociologue Michel Fize, auteur de L’école à la ramasse.

Le 19 janvier dernier, lors de la première journée de mobilisation contre la réforme des retraites, quelques dizaines d’établissements universitaire ont été bloqués, notamment à Toulouse, Rennes ou Paris. Certains lycées de la capitale ont emboîté le pas, comme Turgot ou Lamartine. L’organisation la Voix lycéenne a revendiqué près de 150 établissements touchés tandis que la police a, elle, évoqué 14 blocages. « Ce n’est pas un évènement inédit », rappelle Michel Fize, spécialiste de la jeunesse et de l’éducation, qui cite plusieurs mouvements comme celui de 1986 contre la réforme Devaquet qui voulait notamment instaurer une sélection à l’entrée des universités. Bloquer un établissement scolaire ou universitaire permet aux jeunes de se faire entendre.

Des conséquences « concrètes » pour les jeunes

« Le blocage est un outil de mobilisation mais aussi un outil politique et symbolique très fort », souligne Manon Moret, présidente de l’Union nationale des étudiants de France (Unef) de Lyon. Mais pour que l’action perdure dans le temps, il est nécessaire de convaincre. Dans le cadre de la réforme contre les retraites, la mobilisation des jeunes est beaucoup interrogée. De nombreux observateurs estiment que le sujet ne les concerne pas. C’est « une imbécillité », balaye Michel Fize. « C’est un sujet loin dans le temps », reconnaît-il, mais « la retraite les concernera évidemment un jour ». Et peut-être même plus vite qu’on pourrait l’imaginer.

« Ça paraît lointain mais les conséquences seront très concrètes. Avec cette réforme, on va maintenir les plus vieux dans l’emploi, ce qui va mécaniquement aggraver le chômage des jeunes », s’inquiète Manon Moret, rappelant que ce dernier atteint 18 % en France. C’est aussi une réforme « injuste socialement », estime la jeune militante qui estime qu’il s’agit de « la dernière pierre d’un gouvernement qui reste sourd à nos revendications et veut nous enfermer dans un tunnel de précarité tout au long de notre vie ». Les étudiants ont déjà commencé à bloquer l’université Lumière Lyon-2 lundi matin, provoquant la fermeture administrative de l’établissement. Et organisations syndicales comme étudiants mobilisés ne comptent pas s’arrêter là.

« Mobiliser et conscientiser » les étudiants

Pour continuer à barricader l’entrée des établissements, il faut convaincre. « Comme toujours, toute la difficulté pour les organisations syndicales est d’accrocher la masse à la protestation », souligne Michel Fize qui précise qu’il ne s’agit pas d’une particularité étudiante. « Pour que le blocage tienne dans la durée, il faut conscientiser et mobiliser les étudiants au maximum, faire un travail de pédagogie et leur expliquer pourquoi ça les touche aussi très concrètement », déroule Manon Moret. Au-delà des barricades, les discussions sont essentielles. « Les étudiants se sont massivement réunis en assemblée générale », se félicite la présidente de l’Unef Lyon, qui avance un chiffre de 300 étudiants.

« Les assemblées générales sont une des modalités pour inscrire le mouvement dans la durée. On continue à parler de ces questions, pour qu’un blocage ou un défilé ne soit pas qu’une parenthèse », analyse Michel Fize. Parce que le blocus n’est qu’une des actions d’une mobilisation plus globale. « Le matin à bloquer, l’après-midi à défiler et l’AG pour discuter », énumère le sociologue. De quoi inciter les étudiants à continuer à s’interroger sur la réforme. De plus, « on voit bien qu’à chaque fois qu’une AG se réunit, qu’un blocage est organisé, les nombres augmentent », note Manon Moret. La mobilisation entraîne la mobilisation.

Passer son année ou manifester

« Mardi sera un test car les chiffres sont importants pour convaincre », explique Michel Fize. En bloquant leur campus, les étudiants donnent aussi à leurs camarades le moyen de se mobiliser. « L’outil du blocage permet de ramener des étudiants dans une mobilisation : quand on bloque le matin, on a pour objectif que la faculté soit fermée administrativement et, comme les cours n’ont pas lieu, les étudiants ont alors la possibilité de se mobiliser », décrypte Manon Moret. Car les étudiants ne sont pas des « travailleurs comme les autres », souligne Michel Fize. Ils n’ont pas de droit de grève et sont soumis à une obligation de présence, pour certains cours du moins. Ce qui fait de l’assiduité un « enjeu essentiel » de la mobilisation.

« Dans les contextes de mouvements sociaux, les étudiants doivent parfois choisir entre la défaillance et donc le risque de ne pas valider leur année, et la mobilisation », explique Manon Moret. Une problématique d’autant plus prégnante pour les étudiants boursiers dont l’aide mais aussi parfois le logement et l’accès à des tarifs préférentiels sur l’alimentation dépendent de leur assiduité. Bloquer les établissements permet ainsi de forcer la fermeture administrative et de laisser à tous les étudiants le choix de leur engagement dans la mobilisation.

« Toutes les bonnes raisons du monde d’être en colère »

Dans la ville des lumières, « les dates de blocage ne sont pas publiques mais les étudiants de Lyon seront mobilisés chaque jour de la semaine », assure la présidente de l’Unef de Lyon. L’intersyndicale a appelé à mettre « la France à l’arrêt » dès mardi. Les organisations étudiantes et lycéennes ont appelé à « durcir le mouvement » contre la réforme avec une journée de mobilisation de la jeunesse le jeudi 9 mars. « Mai 68, au départ, c’était des manifestations étudiantes et il y avait tous les éléments pour que ça ne se produise pas, notamment une économie florissante », explique Michel Fize.

« Aujourd’hui, il y a toutes les bonnes raisons du monde pour être en colère. Les jeunes mangent mal, ont du mal à se loger, ne se soignent pas parce qu’ils n’ont parfois pas l’argent pour le faire, travaillent parce qu’ils n’ont pas beaucoup de moyens », énumère le sociologue. D’après une étude de l’association Linkee sur 4.000 étudiants, deux étudiants sur trois sont en situation d’extrême précarité et n’ont que 50 euros par mois pour vivre après avoir payé leurs factures. « Sauf pour la guerre, la mobilisation générale ne se décrète pas », glisse Michel Fize. Mais avec l’inflation et une réforme à laquelle 66 % des Français sont toujours opposés d’après le baromètre politique d’Odoxa publié mardi dernier, le gouvernement pourrait être assis sur une poudrière.