Grève du 7 février : A Pamiers, au-delà de la retraite, « c’est le ras-le-bol des milieux ruraux » qui s’exprime
Réforme des retraites•Depuis le début du mouvement contre la réforme des retraites, la mobilisation en Ariège est importante. Au même titre que dans d’autres territoires ruraux, c’est aussi un sentiment de « délaissement » qui s’exprimeBéatrice Colin
L'essentiel
- Depuis le début du mouvement social contre la réforme des retraites, des villes moyennes d’Occitanie enregistrent une forte mobilisation.
- A l’instar de Rodez ou Figeac, en Ariège, les manifestants expriment leur « ras-le-bol » contre l’inflation ou encore le « délaissement » des milieux ruraux par les gouvernements successifs.
- Le passé ouvrier et militant de ce département ancré à gauche explique aussi la capacité des syndicats unis à mobiliser.
«Si je suis là, c’est pour un ras-le-bol général, plus que pour les retraites ». Léo n’a pas trente ans, mais cela fait déjà trois fois qu’il vient grossir les rangs des manifestations contre la réforme des retraites organisées en Ariège. Comme lui, ils sont nombreux à faire porter leur grogne au-delà de la question des 64 ans, pointant les difficultés du quotidien, l’inflation des produits alimentaires ou encore le prix à la pompe dans un département où la voiture est indispensable pour la majeure partie des déplacements.
« J’ai une voisine qui s’est suicidée la semaine dernière parce qu’elle ne pouvait pas nourrir ses enfants. Ma copine m’a dit l’autre jour qu’elle ne pourrait pas partir en vacances parce que son budget bouffe a été multiplié par deux », raconte le jeune homme au cœur de la manifestation qui a rassemblé mardi à Pamiers près de 12.000 personnes, selon l’intersyndicale, 2.800 selon la préfecture.
Inflation, désindustrialisation, le combo de la colère
« Quand on regarde les ratios, on a un taux de mobilisation supérieur à celui de la Haute-Garonne où il y a plus d’un million d’habitants. La semaine dernière à Foix, nous étions 15.000, alors que le département compte 150.000 habitants, ce qui veut dire que près de 10 % de la population a défilé. L’Ariège a une capacité de mobilisation, cela tient à son histoire industrielle et ouvrière, une histoire de résistance où les valeurs socialistes au sens large sont ancrées », justifie Didier Mézin de la CGT.
Un passé qui s’est nourri de plusieurs luttes pour sauver des emplois lorsque de grandes entreprises qui faisaient vivre certaines vallées les ont quittées. « Ici, nous avons beaucoup de chômage, beaucoup de pauvreté. C’est un département économiquement fragile, où la désindustrialisation nous a touchés de plein fouet. Nous avons des soucis, des préoccupations locales dans nos villes qui ne sont pas forcément prises en compte. La question de la retraite est centrale, mais le gouvernement a pris le problème par le biais financier alors qu’il s’agit d’un problème global », appuie Jeanine Monge, la secrétaire départementale de la CFDT en tête du cortège qui sillonne les rue de la ville de 15.000 habitants où un certain nombre de commerces ont baissé leur rideau depuis longtemps.
En parallèle des départs de bon nombre d’entreprises, certains services publics ont aussi été fermés. Et les batailles des représentants politiques locaux pour les conserver en Ariège n’ont pas toujours porté. « C’est le cas pour les hôpitaux, pour voir un spécialiste on est souvent obligé d’aller à Toulouse se faire soigner. Pour nous, manifester, ce n’est pas qu’une question de retraite, c’est une question de conditions de travail et de vie », relève Catherine venue ce mardi à Pamiers, avec ses amis Jordane, Arlette, Chantal et Patrick.
Une France à deux vitesses
Ce sentiment d’une France à deux vitesses, ils sont nombreux à la déplorer dans les rangs du cortège. « Sous-jacent, il y a le ras-le-bol qui préexiste depuis des années dans nos milieux ruraux. Il y a un réel sentiment de délaissement, celui que tout va à la ville et tout fout le camp dans les campagnes. La question du pouvoir d’achat est prégnante en milieu rural : ici le réseau de transport en commun est très peu développé et le prix du carburant a un fort impact sur les budgets. Dans toutes ces villes petites et moyennes, c’était déjà là qu’il y avait eu un fort mouvement des gilets jaunes, aujourd’hui la colère ne fait que ressurgir », analyse Antoine Loguillard de l’Unsa.
Lui a vu des gens qui ne faisaient jamais grève se mobiliser au cours des trois journées d’action. Le 31 janvier, mais aussi ce 7 février, ce phénomène s’est produit aussi à Rodez, Saint-Gaudens, Tarbes ou encore Figeac, des villes moyennes d’Occitanie où la colère s’est exprimée en nombre.
A Pamiers, comme ailleurs, les syndicats savent qu’il va falloir jouer serrer pour faire durer le mouvement surtout quand les fins de mois sont déjà compliquées à boucler. « Financièrement c’est dur, mais les gens prennent des RTT ou des congés pour venir. On table sur samedi à Pamiers pour que les familles puissent participer et montrer leur opposition à cette réforme », conclut Denis Denjean, de Force ouvrière de l’Ariège, pour qui la mobilisation en « terre courage », comme le disait le slogan, va perdurer.