INTERVIEWPour un commandant, quitter le navire en dernier, «c'est une obligation morale»

Pour un commandant, quitter le navire en dernier, «c'est une obligation morale»

INTERVIEWUn ancien capitaine explique que le commandant d'un navire est le seul responsable des personnes et des biens de son bateau...
Propos recueillis par Enora Ollivier

Propos recueillis par Enora Ollivier

Hubert Ardillon est président de l’Association française des capitaines de navire (Afcan), et ancien commandant de pétrolier. Il revient notamment sur le rôle et les devoirs imposés par la fonction, alors que Francesco Schettino, le commandant du Costa Concordia, est accablé par tous après le naufrage de son bateau.

Un seul homme, en l’occurrence le commandant, est-il l’unique responsable du navire?

Oui, le commandant est bien le seul maître à bord de son navire. Bien sûr, cela dépend des personnes: il peut y avoir des capitaines très autocratiques tandis que d’autres délèguent davantage. Mais à la fin, la décision et la responsabilité reviennent toujours au commandant.

C’est le commandant qui décide de la route que va suivre son bateau?

Lorsqu’un navire part d’un port vers un autre port, un «passage planning» (ou plan de traversée) est effectué pour définir de façon précise l’itinéraire. C’est quelque chose d’obligatoire, qui fait partie des règles internationales de navigation. Généralement, ce plan est réalisé par un lieutenant, mais dans tous les cas, il est vérifié, validé et signé par le commandant. Je suis persuadé que le «passage planning» du Concordia est actuellement entre les mains des autorités italiennes. C’est un document important, qui va permettre de savoir avec certitude si la route effectuée par le bateau était déterminée à l’avance ou non.

On reproche notamment au commandant du Concordia d’avoir abandonné son navire avant la fin des opérations de sauvetage. C’est une faute?

Des traités internationaux comme le Solas ne le stipulent pas. Mais par exemple en droit français, dans le code des transports, il est stipulé que le commandant doit être le dernier à rester à bord [le contrevenant encourt 2 ans de prison]. Cependant, même si ce n’est pas écrit, il s’agit d’une obligation morale car c’est le commandant qui est responsable des biens et des personnes. Si le commandant du Concordia a vraiment quitté son navire avant tout le monde, franchement, ce n’est pas ce qu’il fallait faire.

Francesco Schettino se serait approché des côtes pour saluer les habitants du rivage. C’est une pratique courante?

En tout cas, c’est une pratique qui n’est certainement pas officielle. Mais il faut bien se rappeler que sur des paquebots comme le Concordia, il y a beaucoup de touristes. Alors quand le bateau s’approche du rivage, tout le monde est content de prendre des belles photos. Il y a deux façons de concevoir la chose: d’un côté, on peut se dire que ce n’est pas bien, car cela ne correspond pas à la route que le navire était censé suivre; d’un autre côté, commercialement, c’est chouette. Le problème est qu’il suffit de pas grand-chose pour qu’il y ait un accident. Dans ce cas précis, c’est peut-être sur 50 mètres que tout s’est joué, ce qui n’est pas une distance énorme par rapport à la taille du bateau [le Concordia mesurait 290 mètres de long].

La taille des paquebots, qui vont vers plus de gigantisme, peut-elle être pointée du doigt?

La taille en elle-même n’est pas un souci: techniquement, on sait construire et conduire ces bateaux. Le problème vient de la «cargaison», en l’occurrence les humains. Si un accident survient et si un mouvement de panique se propage – ce qui est bien normal dans ce genre de situation – il sera forcément plus difficile de secourir 8.000 personnes que 400. Il y a en fait un problème de gestion de la crise et de la foule.

Cet accident peut-il mener à des changements, en termes de navigation?

Il y aura des conséquences. Je pense que d’ici peu, l’Italie pourrait proposer à l’Organisation maritime internationale (OMI) des nouveaux couloirs maritimes sur ses côtes. Cela veut dire que des passages dangereux seraient étroitement surveillés, et que les bateaux seront obligés d’emprunter certaines voies, sous risque de procès.